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qui ne leur appartenaient pas, soit en changeant, altérant ou modifiant leur nom de manière à lui donner une apparence aristocratique, une loi du 28 mai 1858 a ajouté au texte de l'art. 259 une disposition ainsi conçue :

« Sera puni d'une amende de 500 fr. à 10,000 fr. quiconque, sans droit et en vue de s'attribuer une distinction honorifique, aura publiquement pris un titre, changé, altéré ou modifié le nom que lui assignent les actes de l'état civil. -Le tribunal ordonnera la mention du jugement en marge des actes authentiques ou des actes de l'état civil dans lesquels le titre aura été pris indûment ou le nom altéré. Dans tous les cas prévus par le présent article, le tribunal pourra ordonner l'insertion intégrale ou par extrait du jugement dans les journaux qu'il désignera. Le tout aux frais du condamné. »

Cette loi complète la législation sur les noms, en ce qu'elle incrimine spécialement, non plus, comme la loi du 6 fructidor an 11, un changement quelconque dans les noms ou prénoms portés à l'acte de naissance, mais seulement le changement du nom de famille fait en vue de s'attribuer une distinction honorifique ; outre ce fait elle incrimine, ce que la loi de l'an 1 ne faisait pas, l'altération ou la modification du nom de famille faite dans le même but; enfin, de plus encore que la loi de l'an п, elle érige en délit punissable l'usurpation de titre, qui depuis la révision du Code pénal en 1832 avait cessé d'être punie. Tous ces faits, pour être punissables, doivent avoir été commis publiquement.

Il faut le dire, la pratique n'a pas justifié les espérances que les promoteurs de la loi fondaient sur son efficacité. Les usurpations de ce genre se manifestent surtout dans les cartes de visite, dans les lettres de faire part, dans la signature des lettres, dans les insignes et armoiries placés sur les boutons des livrées de domestiques, sur les panneaux des voitures, brodés au coin d'un mouchoir, gravés sur une bague ou sur un cachet: et c'est, en définitive, dans toutes les relations de la vie privée. Il est résulté de là que le poids de la loi nouvelle est tombé sur les fonctionnaires et sur les officiers publics, qui ont été mis en demeure de dépouiller tous les vains ornements dont ils s'étaient parés jusque-là. Quant aux simples particuliers, dont beaucoup d'ailleurs peuvent passer leur vie sans avoir à faire aucun acte public, ils en ont été quittes pour rendre momentanément hommage à la loi dans les rares circonstances où ils ne pouvaient pas faire autrement, sauf à reprendre leurs prétentions en sortant de chez le notaire ou de chez le percepteur.

Il y avait d'ailleurs une immense difficulté, d'abord à établir des généalogies qui souvent remontaient fort loin, et que la perte ou la destruction des registres arrêtait parfois tout court; et puis, par le temps où nous vivons, les chartriers et les généalogistes n'abondent pas. Quand on pense que c'est un principe incontesté en matière de noblesse, que la meilleure et la mieux établie est celle dont on ne peut découvrir l'origine, on voit où pourrait conduire la recherche des preuves d'une infraction au § 2 de l'art. 259 du Code pénal. D'un autre côté, on ignore assez généralement que le « de » ne signifie absolument rien comme désignation nobiliaire, puisqu'on peut être parfaitement noble sans avoir dans son nom ni un «<de>> ni même un « d'», tandis qu'on peut avoir trente quartiers et plus de pleine roture avec un « de» et même un «la » à la suite de sorte que tous ceux

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qu'on poursuivrait pour avoir modifié leur nom en y ajoutant un «de», c'est le plus grand nombre, pourraient répondre qu'ils n'ont pas agi dans le but de s'attribuer une distinction nobiliaire, le « de » n'étant pas une qualification noble, puisqu'il indiquait seulement, avant la Révolution, la possession d'une terre féodale et rien de plus.

Quoi qu'il en soit, l'art. 259 du Code pénal, à part les difficultés d'application, est une loi d'ordre public puisqu'il a pour objet de faire rester chacun à sa place.

Si la noblesse n'a plus de priviléges, elle reste du moins l'expression d'une grande idée sociale: celle de l'hérédité de l'honneur. Quoi qu'on en dise, tant qu'il y aura des hommes de cœur dans le monde, on trouvera juste de reporter sur les descendants l'héritage de l'honneur de leurs ancêtres : nobles, bourgeois, paysans, nous vivons tous sur cette idée, et elle nous donne bien du courage pour lutter contre les difficultés de la vie. Et autant la noblesse est une chose honteuse pour ceux qui n'y voient que le droit de vivre malhonnêtement et aux dépens de braves gens qui travaillent, autant elle est respectable quand elle vient ajouter à l'honneur d'une belle vie l'éclat d'un grand nom.

C'est ce que Molière a exprimé magnifiquement dans la scène du Festin de pierre, où Don Louis vient faire de si terribles remontrances à son fils : « Ainsi nous n'avons part à la gloire de nos ancêtres qu'autant que nous nous efforçons de leur ressembler; et cet éclat de nos actions qu'ils répandent sur nous, nous impose un engagement de leur faire le même honneur, de suivre les pas qu'ils nous tracent, et de ne point dégénérer de leur vertu, si nous voulons être estimés leurs véritables descendants. Ainsi, vous descendez en vain des aïeux dont vous êtes né; ils vous désavouent pour leur sang, et tout ce qu'ils ont fait d'illustre ne vous donne aucun avantage : au contraire, l'éclat n'en rejaillit sur vous qu'à votre déshonneur, et leur gloire est un flambeau qui éclaire aux yeux d'un chacun la honte de vos actions. » (Le Festin de pierre, acte iv, scène vi.) Port illégal de décorations ou de médailles françaises ou étrangères. — Qu'on nous permette d'achever la citation. La fin du discours de Don Louis met trop. bien en relief la supériorité absolue du mérite personnel sur toutes les distinctions sociales, pour que nous puissions résister au désir de la rappeler à nos lecteurs : « Apprenez enfin qu'un gentilhomme qui vit mal est un monstre dans la nature; que la vertu est le premier titre de noblesse; que je regarde bien moins au nom qu'on signe, qu'aux actions qu'on fait, et que je ferais plus d'état du fils d'un crocheteur, qui serait honnête homme, que du fils d'un monarque, qui vivrait comme vous. »

Les décorations accordées à tous les citoyens sans distinction de classe, en récompense de leur mérite personnel, sont la consécration visible du principe social si énergiquement exprimé dans le passage que nous venons de rapporter : principe si vrai que, même sous Louis XIV, devant une cour composée de tout ce que la France avait de plus noble, il était permis à des comédiens de le proclamer en présence du grand roi.

Il est en effet quelque chose de plus beau que la noblesse : c'est la vertu, c'està-dire le mérite personnel; et il y a, d'un noble qui perpétue l'honneur de sa

race, à un parvenu fils de ses œuvres, autant de différence qu'entre suivre un exemple et le donner.

Aussi la loi pénale, par un rapprochement dont la portée ne doit pas nous échapper, réunit-elle dans la même disposition l'usurpation de costume, l'usurpation de titres nobiliaires, l'usurpation de décorations. Nous avons cru devoir rattacher la première de ces incriminations aux délits contre l'autorité; l'usurpation de décorations, comme atteinte aux principes de la noblesse individuelle, devait naturellement faire suite à l'usurpation de titres nobiliaires.

En effet une décoration est un signe de noblesse, de distinction, d'honneur, comme on voudra la définir; c'est par conséquent une véritable recommandation à la confiance et à la considération publiques, et celui qui l'usurpe usurpe des avantages auxquels n'ont droit que ceux qui le méritent, sans compter qu'une distinction cesserait d'exister si tout le monde pouvait se l'attribuer.

Aux termes de l'art. 259 du Code pénal, modifié par la loi du 28 mai 1858, toute personne qui aura publiquement porté une décoration qui ne lui appartiendrait pas sera punie d'un emprisonnement de six mois à deux ans. La publicité est ici une condition essentielle de l'incrimination.

Par « décorations »> il faut entendre aussi bien toutes les médailles portatives décernées par le Gouvernement, que les croix des différents ordres; il y faut comprendre aussi les insignes d'officier d'académie ou d'officier de l'instruction publique, qui sont de véritables décorations.

En ce qui concerne les ordres étrangers, le décret du 13 juin 1853, reproduisant d'ailleurs une disposition qui a toujours existé, a subordonné le droit d'accepter et de porter un ordre étranger à l'autorisation du chef de l'État. (Art. 2.) L'art. 3 du même décret dispose en outre : « Il est formellement interdit de porter d'autres insignes que ceux de l'ordre et du grade pour lesquels l'autorisation a été accordée, sous les peines édictées en l'art. 259 du Code pénal. »

L'art. 1er du même décret, en statuant quant aux décorations qui n'auraient pas été conférées par une puissance souveraine, place également les porteurs de ces ordres sous le coup de la même incrimination. Ce texte est ainsi conçu : Art. 1. «Toutes décorations ou ordres étrangers, quelle qu'en soit la dénomination ou la forme, qui n'auraient pas été conférés par une puissance souveraine, sont déclarés illégalement et abusivement obtenus, et il est enjoint à tout Français qui les porte de les déposer à l'instant. »

La suspension, la révocation, l'exclusion, la dégradation, peuvent être, aux termes des décrets des 16 mars et 24 novembre 1852, prononcées contre les membres de l'ordre de la Légion d'honneur; les dispositions du premier de ces décrets ont été, par divers décrets dont nous donnerons les dates à l'article ci-après, étendues successivement à la médaille militaire, à la médaille de SainteHélène et aux autres médailles créées par la France à l'occasion des campagnes de Crimée, de la Baltique et de Chine. L'art. 9 du décret du 24 novembre 1852 a déclaré passible des peines de l'art. 259 du Code pénal tout individu qui, suspendu ou privé des droits et prérogatives attachés à la qualité de membre de la Légion d'honneur ou de décoré de la médaille militaire, en porterait les insignes

ou ceux d'un ordre étranger: d'autre part, l'art. 13 du décret du 13 juin 1853 a déclaré applicables aux Français décorés d'ordres étrangers toutes les dispositions relatives à la Légion d'honneur, ce qui comprend par conséquent la discipline l'art. 259 du Code pénal est dès lors applicable aux titulaires soit de ces médailles soit de décorations étrangères, qui seraient, par suite d'une condamnation disciplinaire, interdits du droit de les porter, et toute condamnation de ce genre prononcée contre un membre de la Légion d'honneur ou décoré de la médaille militaire a pour effet d'interdire en outre au condamné le droit de porter une décoration étrangère.

D'autre part, lors des campagnes de Crimée, de la Baltique, d'Italie et du Mexique, lors de l'expédition romaine de 1867, les souverains alliés à la France ont voulu donner à nos soldats un témoignage de reconnaissance et de confraternité. Des décrets spéciaux ont été rendus relativement à l'acceptation et au port de ces médailles. Ce sont pour la médaille décernée par Sa Majesté la reine d'Angleterre en souvenir de l'expédition de la Baltique, et pour la médaille de la Valeur militaire accordée par Sa Majesté le roi de Sardaigne en souvenir de la campagne de Crimée, le décret du 19 juin 1857; pour la médaille du Mérite militaire accordée par Sa Majesté l'empereur Maximilien à l'occasion de la campagne du Mexique, le décret du 16 juin 1865; pour la croix commémorative décernée par le Saint-Père à l'armée française, le décret du 3 mars 1868.

Tous ces décrets soumettent l'acceptation et le port de ces diverses médailles aux dispositions du décret du 26 avril 1856.

Indépendamment des suspensions ou des déchéances disciplinaires que peuvent encourir, en vertu du titre vi du décret du 16 mars 1852, les membres de la Légion d'honneur, ils peuvent, par les mêmes causes qui suspendent ou font perdre la qualité de Français, perdre soit la qualité soit l'exercice des droits et prérogatives de membres de l'ordre. Les art. 38 et 39 du décret disposent en effet: « La qualité de membre de la Légion d'honneur se perd par les mêmes causes que celles qui font perdre la qualité de Français. (Art. 38.)- L'exercice des droits et des prérogatives des membres de la Légion d'honneur est suspendu par les mêmes causes que celles qui suspendent les droits de citoyen français. >> Ajoutons qu'aux termes de l'art. 10 du décret du 26 août 1811, le Français qui se fait naturaliser à l'étranger sans l'autorisation de l'Empereur est déchu des ordres français, et son nom doit être « biffé des registres et états ».

Il n'est pas inutile de rapporter ici les dispositions du livre 1er, ch. 2, section 1re du Code Napoléon, sur la privation des droits civils par la perte de la qualité de Français:

Art. 17. « La qualité de Français se perdra, 1° par la naturalisation acquise en pays étranger; 2° par l'acceptation, non autorisée par l'Empereur, de fonctions publiques conférées par un gouvernement étranger; 3° enfin par tout établissement fait en pays étranger sans esprit de retour. Les établissements de commerce ne pourront jamais être considérés comme ayant été faits sans esprit de retour.

Art. 18. « Le Français qui aura perdu sa qualité de Français pourra toujours la recouvrer en rentrant en France avec l'autorisation de l'Empereur, et en décla

rant qu'il veut s'y fixer et qu'il renonce à toute distinction contraire à la loi française.

Art. 19. « Une femme française qui épousera un étranger suivra la condition de son mari.- Si elle devient veuve, elle recouvrera la qualité de Française, pourvu qu'elle réside en France, ou qu'elle y rentre avec l'autorisation de l'Empereur, et en déclarant qu'elle veut s'y fixer.

Art. 20. « Les individus qui recouvreront la qualité de Français, dans les cas prévus par les art. 10, 18 et 19, ne pourront s'en prévaloir qu'après avoir rempli les conditions qui leur sont imposées par ces articles, et seulement pour l'exercice des droits ouverts à leur profit depuis cette époque.

Art. 21. « Le Français qui, sans autorisation de l'Empereur, prendrait du service militaire chez l'étranger, ou s'affilierait à une corporation militaire étrangère, perdra sa qualité de Français. Il ne pourra rentrer en France qu'avec la permission de l'Empereur, et recouvrer la qualité de Français qu'en remplissant les conditions imposées à l'étranger pour devenir citoyen : le tout sans préjudice des peines prononcées par la loi criminelle contre les Français qui ont porté ou porteront les armes contre leur patrie. »>

Nous avons, non sans dessein, rapporté le texte de l'art. 19, relatif aux femmes, parce qu'on décore aussi quelques femmes, quoiqu'il leur faille déployer, pour obtenir cette distinction phénoménale, plus de courage ou de génie que vingt légionnaires de l'autre sexe pris ensemble n'en ont mis pour gagner leurs croix. Discipline des membres de la Légion d'honneur, des décorés de la médaille militaire ou de médailles commémoratives d'expéditions militaires, et des titulaires d'ordres étrangers. L'ordre de la Légion d'honneur est une noblesse, avec ses droits et ses prérogatives, mais aussi avec ses devoirs, devoirs proportionnés à la dignité exceptionnelle dont ses membres ne doivent jamais s'écarter. C'est une des grandes institutions de l'Empire que cette organisation d'un ordre formé de l'élite de la nation et lié par le plus noble des sentiments, celui de l'honneur. Aussi une haute discipline a-t-elle été instituée pour gouverner ce grand corps. Après diverses modifications, l'organisation de la Légion d'honneur a été définitivement établie par le décret organique du 16 mars 1852.

Le titre VI de ce décret règle ce qui a trait à la discipline des membres de l'ordre.

Après avoir, dans ses art. 38 et 39, établi que la qualité et l'exercice des droits et prérogatives de membre de l'ordre se perdent et sont suspendus par les mêmes causes que celles qui font perdre ou suspendent la qualité de Français, le même titre, art. 42 et 43, dispose:

Art. 42. « Les procureurs généraux auprès des cours d'appel et les rapporteurs auprès des conseils de guerre ne peuvent faire exécuter aucune peine infamante -contre un membre de la Légion, qu'il n'ait été dégradé.

Art. 43. « Pour cette dégradation, le président de la cour d'appel, sur le réquisitoire de l'avocat général, ou le président du conseil de guerre, sur le réquisitoire du rapporteur, prononce immédiatement après la lecture du jugement, la formule suivante : - «Vous avez manqué à l'honneur: je déclare, au nom de la Légion, que vous avez cessé d'en être membre. »

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