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épreuves? N'en peut-on pas dire autant d'une lithographie, dès que le dessin est achevé sur la pierre?

Et quant à l'imprimerie, un ouvrage composé, dont les formes n'attendent plus que le tirage, n'est-il pas un ouvrage contrefait?

Il faut donc, ici comme dans toute cette matière si délicate, se garder d'adopter des règles générales hors les cas d'évidence ou d'absolue nécessité; et dans ces sortes d'affaires, où des questions d'art et de métier viennent se mêler à la question de droit qu'à vrai dire elles dominent, la meilleure de toutes les règles sera l'avis des hommes spéciaux.

La reproduction, même partielle, est punissable, d'après le texte formel de l'art. 425. Ici encore s'élèvera, dans la pratique, la question de savoir ce qu'on doit considérer par « partie » d'un ouvrage. Un mot fait partie d'un ouvrage, et cependant on ne va pas incriminer du chef de contrefaçon les ouvrages où ce mot sera reproduit. Une phrase fait également partie d'un livre; on peut la reproduire, et d'autres avec; mais combien? c'est ce que le juge arbitrera suivant les circonstances, et ici, comme dans toutes les questions de fait, on peut dire que la meilleure de toutes les règles est de n'en pas avoir.

Nous venons de nous occuper de la reproduction d'une partie de l'ouvrage, ce qui suppose une reproduction complète et achevée mais ne comprenant pas la totalité de cet ouvrage.

La reproduction « en partie » peut aussi consister en une reproduction de l'ensemble moins quelques détails, ou même de tous les détails séparément, moins l'ensemble dans ce cas il n'y a pas de difficulté, puisque la contrefaçon est punissable, qu'elle soit partielle ou qu'elle soit complète.

A ces observations il est à peine besoin d'ajouter que la contrefaçon, étant un délit, n'est pas punissable si les faits qui la constituent n'ont pas été accompagnés d'une intention criminelle. Dans ce cas la loi pénale ne s'appliquerait pas mais l'auteur lésé par le fait de sa contrefaçon n'en aurait pas moins une action en dommages-intérêts, aux termes de l'art. 1382 du Code Napoléon.

Le législateur de 1793 n'avait donné au droit des auteurs que la sanction des dommages-intérêts. Il en avait fixé le chiffre, par l'art. 4 du décret, à une somme équivalente au prix de trois mille exemplaires de l'édition originale.

Le Code pénal a sanctionné par une amende les droits des auteurs. Aux termes de l'art. 427 de ce Code, le contrefacteur est puni d'une amende de 100 fr. à 2,000 fr., avec confiscation de l'édition contrefaite, ainsi que des planches, moules et matrices des objets contrefaits.

Le produit des confiscations, aux termes de l'art. 429, sera remis au propriétaire à compte sur l'indemnité qui lui sera allouée, et dont le surplus sera réglé par les voies ordinaires.

Débit d'ouvrages d'art ou de littérature contrefaits. L'art. 427 du Code pénal punit le débitant d'un ouvrage contrefait, d'une amende de 25 fr. à 500 fr., avec confiscation de l'édition contrefaite et des planches, moules ou matrices des objets contrefaits, confiscation dont le produit, aux termes de l'art. 429 du Code pénal, est remis au propriétaire pour l'indemniser d'autant, le surplus de l'indemnité restant à régler par les voies ordinaires.

Le débit comprend aussi bien l'exposition en vente que la vente. Il commence au moment où les exemplaires passent de l'atelier dans le local affecté, soit à la vente, soit aux expéditions.

L'expédition, soit à des acheteurs directs, soit à des commissionnaires pour la vente, est aussi un débit; il en est de même de la commission donnée, à des courtiers ou commis voyageurs, de procurer des acheteurs pour un ouvrage publié ou en cours du publication.

En ce qui touche les souscriptions, il faut distinguer. La réception de souscriptions à un ouvrage qui doit paraître en volumes sera un débit, si l'ouvrage est imprimé ou suffisamment commencé d'imprimer au moment de la souscription : s'il ne l'est pas, il n'y aura pas de débit, puisqu'il n'y aura pas encore de contrefaçon.

Que s'il s'agit d'un ouvrage destiné à paraître par livraisons, le fait de recevoir des souscriptions constituera un débit à partir du moment où la première livraison aura été imprimée, et même avant que les exemplaires aient été sortis de l'imprimerie, puisqu'ils sont achetés d'avance par suite du contrat intervenu entre le souscripteur et l'éditeur. Le placement d'exemplaires, soit des livraisons, soit de l'ouvrage en volume, fait dans les mêmes circonstances par un courtier ou commis voyageur, constituera également le débit, puisqu'il s'appliquera à un ouvrage existant.

Il faut observer, du reste, que les intermédiaires qui, sur l'ordre de l'éditeur, auraient participé au débit, ne seraient punissables qu'autant qu'ils auraient eu connaissance de la contrefaçon ceci n'est que l'application des principes du Code pénal en matière de complicité.

Quant à l'éditeur, qu'il ait débité par lui-même ou par l'intermédiaire de commissionnaires ou de préposés, il n'en est pas moins auteur principal du débit, ce qui est d'autant moins douteux, qu'en fait il aura toujours livré à ces agents des exemplaires de l'ouvrage contrefait et que par là il l'aura débité.

La loi n'a pas déterminé un nombre d'exemplaires nécessaire pour constituer le débit, pas plus qu'elle ne l'a fait pour la contrefaçon. La contrefaçon d'un seul exemplaire est un délit ; le débit d'un seul exemplaire contrefait est également un délit.

La loi n'a pas davantage limité l'application de la peine à une seule condamnation par édition contrefaite : il est donc certain que le contrefacteur, condamné une première fois pour débit d'un ou de plusieurs exemplaires d'une édition contrefaite, pourra l'être de nouveau, à raison de la vente d'un second exemplaire, et ainsi de suite tant qu'il recommencera. Il ne faudrait cependant pas conclure de là qu'il encoure, lors de chaque poursuite, autant de condannations cumulées qu'il sera convaincu d'avoir vendu d'exemplaires : il s'agit ici d'un délit, où la peine la plus forte doit être seule prononcée, à la différence des contraventions, où les peines se cumulent et doivent être prononcées autant de fois qu'il y a eu de contraventions.

Enfin, en ce qui concerne l'annonce d'un ouvrage contrefait, soit dans un catalogue, soit dans des affiches ou prospectus, il est évident, d'après la nature

même de l'incrimination, qu'on n'y saurait voir un délit, puisque annoncer n'est pas débiter, et que c'est le débit qui est punissable.·

Introduction, sur le territoire français, d'ouvrages français contrefaits à l'étranger. « Le débit d'ouvrages contrefaits », porte l'art. 426, « l'introduction sur le territoire français d'ouvrages qui, après avoir été imprimés en France, ont été contrefaits chez l'étranger, sont un délit de la même espèce. »

Cela veut dire que les peines sont les mêmes, c'est-à-dire, d'après l'art. 427, d'une amende de 100 fr. à 2,000 fr., avec confiscation de l'édition et des planches, moules et matrices, confiscation dont le produit sera donné au propriétaire à compte sur les dommages-intérêts qui lui sont dus.

L'art. 426 incrimine à la fois le débit et l'introduction des ouvrages contrefaits à l'étranger, mais l'art. 427 punit ces deux délits de peines distinctes.

Débit, en France, d'ouvrages français contrefaits à l'étranger. - La peine est, contre le débitant, d'une amende de 25 fr. à 500 fr.; les condamnations. accessoires sont les mêmes.

Remarquons d'ailleurs que le même individu peut être condamné pour débit et pour introduction, s'il est l'auteur de ces deux délits, qui sont distincts, ainsi que nous l'avons remarqué.

Contrefaçon, en France, d'ouvrages d'art ou de littérature publiés à l'étranger. Le décret du 28 mars 1852, dont nous avons donné le texte à l'article « de la contrefaçon des œuvres d'art et de littérature », a comblé une lacune qui se faisait vivement sentir dans les lois ou, pour mieux dire, dans l'honneur de la France.

Jusque-là, on avait le regret de voir la loi française amnistier la contrefaçon lorsqu'elle n'était nuisible qu'à une nation étrangère, et la punir lorsqu'elle pouvait nuire à la France; amnistier l'expédition à l'étranger d'ouvrages étrangers contrefaits en France, tandis qu'elle punissait l'introduction et le débit en France d'ouvrages français contrefaits à l'étranger.

Le décret du 28 mars 1852, en érigeant en délit la contrefaçon, le débit, l'exportation et l'expédition d'ouvrages publiés à l'étranger et contrefaits en France, marque un des plus beaux progrès qu'aient faits nos lois pénales dans cette voie de solidarité morale entre tous les peuples, voie trop longtemps fermée par la haine et la rivalité de nation à nation. Ce n'est d'ailleurs, il faut l'avouer, que la reconnaissance d'un principe de stricte justice, et ce n'est pas sans quelque confusion peut-être qu'on se verrait réduit à se féliciter de ce qui n'est qu'un simple retour à un devoir jusque-là violé, si, en comparant ce que nous sommes à ce que nous voudrions être, tout progrès dans la vérité morale, quelque modeste qu'il soit, n'était pas une récompense et un encouragement pour tout homme de bien.

L'art. 3 du décret renvoie, pour l'application des peines, aux art. 427 et 429 du Code pénal, et prend soin, pour éviter toute difficulté, de déclarer que l'art. 463 du même Code pourra être appliqué. La peine est l'amende de 100 fr. à 2,000 fr., plus les condamnations accessoires.

<< Néanmoins,» dispose l'art. 4 du décret, «la poursuite ne sera admise que sous l'accomplissement des conditions exigées relativement aux ouvrages publiés en France, notamment par l'art. 6 de la loi du 19 juillet 1793. »

Ces conditions consistaient, d'après la loi de 1793, dans le dépôt de deux exemplaires, soit à la Bibliothèque impériale, soit au Cabinet des estampes. Mais il est reconnu que, depuis l'ordonnance du 9 janvier 1828, dont les dispositions se combinent avec celles du décret du 5 février 1810, le dépôt d'un exemplaire, à la préfecture, suffit pour assurer le droit de l'auteur.

Il est assez difficile, en présence de ces textes, de savoir précisément quelles sont les conditions nécessaires pour établir le droit des auteurs étrangers à poursuivre la contrefaçon de leurs œuvres en France. Ces conditions, y est-il dit, sont celles «<exigées relativement aux ouvrages publiés en France » ; jusque-là rien de plus clair: et si on se reporte à ce que la loi et la jurisprudence ont établi, on voit que les conditions exigées, relativement aux ouvrages publiés en France, pour établir les droits de l'auteur, se réduisent au dépôt, par l'imprimeur, d'un seul exemplaire à la préfecture, en province, et à la préfecture de police, à Paris. Ainsi, quoique les auteurs doivent en outre déposer deux exemplaires à la Bibliothèque, ce dépôt n'est pour rien dans l'établissement de leur droit, qui résulte entièrement et uniquement du dépôt d'un exemplaire à la préfecture.

Mais le même texte ajoute: « notamment par l'art. 6 de la loi du 19 juillet 1793 ». Or nous venons de rappeler que le dépôt prescrit par l'art. 6 de la loi de 1793 n'est pas une condition imposée aux auteurs français pour assurer la garantie de leurs droits: le décret de 1852, tout en paraissant avoir voulu mettre les auteurs étrangers dans la même position que les auteurs français, laisse pourtant une nuance, puisqu'il subordonne la garantie du droit des auteurs étrangers, non-seulement à la condition du dépôt qui suffit pour établir le droit des auteurs français, mais en outre à celle du dépôt à la Bibliothèque : il aurait fallu, dans le texte de l'art. 4, ne pas dire « notamment», qui n'est pas exact, mais dire: «<et, en outre, à condition d'avoir effectué le dépôt prescrit par l'art. 6 de la loi du 19 juillet 1793 ».

Quelle qu'ait été l'intention du législateur de 1852, le texte de l'art. 4 du décret n'en est pas moins formel, et il en résulte que les auteurs étrangers n'auront pas leurs droits garantis s'ils n'ont pas fait, en outre du dépôt d'un exemplaire, celui de deux exemplaires à la Bibliothèque impériale.

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Débit, en France, d'ouvrages d'art ou de littérature étrangers contrefaits en France. L'art. 2 du décret du 28 mars 1852 assimile à la contrefaçon le débit, sur le territoire français, d'ouvrages publiés à l'étranger et contrefaits en France. La loi assimile expressément au débit l'exportation et l'expédition. Les peines sont celles prononcées par les art. 427 et 429 contre le débitant: une amende de 25 fr. à 500 fr., plus les condamnations accessoires.

Sur les caractères constitutifs du débit, nous prions le lecteur de se reporter à l'article: Débit d'ouvrages d'art et de littérature contrefaits, ci-dessus.

Quant aux moyens de garantie du droit des auteurs, nous venons de nous en occuper dans l'article qui précède le présent.

De la contrefaçon des œuvres dramatiques. Les œuvres dramatiques sont de deux sortes littéraires ou musicales. Nous avons déjà fait remarquer, lorsque nous avons traité des moyens d'établir la propriété des œuvres littéraires ou

artistiques, que le droit des musiciens sur leur œuvre est double, par la raison qu'elle se manifeste à la fois par l'écriture et par l'exécution. Nous avons fait, en ce qui touche la musique non dramatique, des observations sur la manière dont on interprète le mot « reproduction », mais nous avons à nous occuper maintenant de la musique dramatique, et ici nous ne songerons pas à contester au musicien un droit pareil à celui du littérateur.

La contrefaçon écrite ou imprimée d'une œuvre dramatique, soit littéraire, soit musicale, ne diffère en rien de la contrefaçon de toute autre espèce d'ouvrages. Le texte de l'art. 425 du Code pénal, par les termes de « composition musicale », embrasse tous les genres de musique, y compris la musique dramatique; par les termes d'« écrits », il comprend de même, comme toutes autres compositions littéraires, les œuvres dramatiques.

Les incriminations des art. 425 et 426, les peines des art. 427 et 429 du Code pénal, s'appliquent donc sans difficulté à la contrefaçon écrite ou imprimée de ces sortes d'œuvres, ainsi qu'au débit et à l'introduction des contrefaçons. Il en est de même du décret du 28 mars 1852, qui n'est que le complément du Code pénal, dont il adopte complétement les incriminations et les pénalités.

Mais au point de vue du droit de représentation de leurs œuvres, la contrefaçon n'existe pas, et la nature des choses donne un caractère tout différent à l'atteinte portée au droit des auteurs.

De la propriété des ouvrages dramatiques, et des moyens de l'établir. - Et tout d'abord, avant d'arriver à l'infraction, constatons bien comment s'établit le droit des auteurs dramatiques sur leurs ouvrages: et pour cela, qu'il nous suffise de faire remarquer que ce droit, en ce qui concerne la reproduction imprimée ou manuscrite, résulte du dépôt d'un exemplaire par l'imprimeur, absolument comme pour tout autre genre d'ouvrages.

Le droit sur les représentations est établi du même coup: il résulte du dépôt sans qu'il soit besoin d'en faire un distinct: un seul exemplaire, déposé par l'imprimeur, assure donc les deux espèces de droit sur toute composition dramatique, soit littéraire soit musicale.

Il ne faut pas cependant conclure de là que le droit des auteurs dramatiques ne puisse jamais exister s'il n'a pas été fait un dépôt préalable d'un exemplaire de l'œuvre : car une œuvre dramatique peut n'être pas écrite. Ainsi une pantomine, un ballet, un proverbe, peuvent être composés et retenus de mémoire; il en est surtout ainsi de ces « pièces à tiroirs », dont le scenario seul est indiqué d'avance, souvent de vive voix, et dans lesquelles chacun des acteurs improvise son rôle. Nul doute qu'il n'y ait là une œuvre dramatique et que les auteurs n'en puissent réclamer le droit de jouissance exclusive: seulement ils auront à prouver qu'ils sont en effet les auteurs de l'œuvre. Il n'est pas besoin d'ailleurs d'observer qu'il faudra qu'il y ait réellement une œuvre, et non pas une de ces représentations traditionnelles d'une légende ou d'un conte, comme la Tentation de StAntoine, la Crèche de Noël, la Belle et la Bête, Barbe-Bleue, etc.

Ainsi, quoique cette espèce doive se présenter bien rarement, il faut reconnaître qu'un auteur dramatique y serait dans la même position que l'auteur d'un

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