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service télégraphique est seul en position de pouvoir commettre ces soustractions, qui seront d'ailleurs infailliblement découvertes, puisqu'on trouvera dans la dépêche mise à la boîte les noms et l'adresse de l'expéditeur et que, la dépêche ne partant pas puisqu'elle n'est pas affranchie, l'expéditeur sera là pour attester qu'il avait apposé un timbre-dépêche sur l'enveloppe de son télégramme.

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Observations générales sur les lois pénales relatives à la télégraphie. Nous ne terminerons pas ce titre sans faire observer que les dispositions du décret de 1851, quoiqu'elles ne s'appliquent par le fait qu'à des lignes de télégraphie publique, n'en sont pas moins faites pour protéger les lignes privées car rien dans le texte n'exclut les entreprises particulières du bénéfice de la répression.

Les télégraphes des chemins de fer et des canaux sont donc, comme ceux qui sont administrés par l'État, sous la protection de la loi; et les entreprises particulières, que le temps et la force des choses ne peuvent manquer de faire autoriser un jour, pourront à leur tour réclamer la même protection.

On remarque que la loi de 1851 n'a établi aucune espèce de répression pénale contre les agents des lignes télégraphiques qui manqueraient à leurs devoirs professionnels. On a pensé que le pouvoir disciplinaire de l'administration suffirait à les maintenir, et que d'ailleurs, s'ils commettaient quelqu'un des actes définis comme punissables, leur qualité ne les mettrait pas à l'abri de l'application de la peine.

Il y a cependant deux faits qu'il aurait été peut-être à propos d'incriminer : le premier, c'est la violation du secret des correspondances télégraphiques, fait que les termes de l'art. 187 du Code pénal ne permettent pas d'assimiler à la violation du secret des lettres; le second, c'est la connivence des agents d'une ligne télégraphique, lorsque cette connivence, sans aller jusqu'à présenter les caractères de la complicité punissable, aura néanmoins favorisé plus ou moins directement l'accomplissement des attentats. Quoi qu'il en soit, il n'est pas besoin de rappeler que les règles de la complicité seraient, dans les conditions spécifiées par le Code pénal, applicables à ces agents.

LIVRE NEUVIÈME.

L'ÉTAT.

De l'État. Nous avons parcouru, à la suite de la loi pénale, les divers degrés de l'organisation des sociétés humaines. Dans la première partie de cet ouvrage, nous avons suivi l'homme depuis l'instant où s'est formé le germe d'où il doit naître jusqu'au moment où, en pleine possession de la vie, maître de la terre par la propriété, maître de l'avenir par la famille, il a établi l'autorité pour contenir les méchants, institué la justice pour sanctionner le droit, et discipliné le pouvoir afin d'en prévenir l'abus.

Ainsi nous avons vu, par le seul effet du développement de la nature humaine, par la seule force de la loi de sociabilité qui la régit, se former, d'abord la famille, puis la cité. L'unité de la famille est l'homme, l'unité de la cité est la famille, et dans la société ainsi organisée, l'homme peut parcourir d'un terme à l'autre la carrière de la vie individuelle.

Il semble alors que sa destinée soit accomplie; et cependant il sent qu'une force invincible le pousse, au delà des limites de sa vie présente, à la recherche d'un avenir mystérieux. Cet avenir, la religion le lui montre dans le ciel; pendant quelques siècles il s'en contente, mais un jour vient où l'espoir même des voluptés célestes ne suffit plus à calmer la soif d'avenir qui le dévore, et, dans son inexprimable angoisse, il crie que ce n'est pas assez.

C'est à ce moment que l'humanité se révèle à lui.

Alors commence dans l'existence des peuples une phase nouvelle : la lumière se fait pour l'homme; il voit clairement d'où il vient, où il va; l'espérance et la foi raniment son cœur jusque-là comprimé par la crainte et par le doute; son âme semble prendre des ailes pour voler au-devant de cette aurore qui se lève à l'horizon; plus de découragement, plus d'angoisses, mais un sentiment profond de ses devoirs, une claire et pleine conscience de sa destinée : il n'est plus l'homme, il est l'humanité.

L'ère de la conservation s'est accomplie : l'ère du progrès commence.

La loi pénale, ainsi que nous l'avons vu dans la seconde partie de notre travail, a suivi l'homme dans sa marche vers l'avenir, et nous l'avons montrée, par les incriminations qui font l'objet des deux livres précédents, s'imposant au travail et à la pensée même. L'idée nouvelle, qui domine dans cette partie de la loi, c'est celle de la solidarité entre les hommes. Tous sont liés à l'accomplissement de l'œuvre commune: tous doivent y consacrer une part de leur vie, sous peine d'être déchus de la jouissance des biens sociaux accumulés par le travail commun,

De là ces peines pour obliger le citoyen, non-seulement à travailler, mais à travailler dans de certaines conditions; de là ces peines, non pas contre ceux qui pensent mal, car la pensée est libre, mais contre ceux qui jettent, au milieu d'une société fondée sur l'ordre et sur la justice, des pensées nuisibles ou dange

reuses.

On peut dire que, chez tout peuple où n'existent pas ces lois que j'ai appelées «<lois de progrès », la notion de l'État, c'est-à-dire, d'une personne humaine. collective, n'existe pas. Cela est vrai d'ailleurs quel que soit le degré de civilisation et de splendeur auquel une nation soit parvenue; cela reste vrai tant que les lois politiques demeurent en contradiction avec les lois de l'humanité.

Aussi Louis XIV proclamait-il une grande vérité quand il disait : « L'État, c'est moi. » Et en effet, dans ce temps-là, il n'y avait pas un État, c'est-à-dire une nation vivant de sa vie propre : il y avait d'abord un gouvernement institué par Dieu et incarné dans un vicaire de Dieu appelé roi; et puis, subordonné à cette créature supérieure, créé pour elle, et destiné de toute éternité à être gouverné par elle, un peuple. Où allait tout cela, c'est ce que Dieu seul pouvait savoir et que le roi ne savait pas lui-même, car, vertueux ou criminel, pacifique ou guerrier, il était dans tous les cas l'instrument de la Providence, et il n'avait qu'à se laisser aller au cours de son règne, à la grâce de Dieu. « L'homme s'agite, Dieu le mène » : ainsi se résumait toute histoire, et Bossuet, dans son Discours sur l'histoire universelle, en faisait voir à ce point de vue le magnifique dessein se poursuivant à travers les siècles chez tous les peuples de l'univers.

Sans doute il faut reconnaître que, de Pharamond à Louis XVI, la théorie du droit divin a parcouru cette courbe que tracent toutes les choses humaines depuis leur origine jusqu'à leur déclin; sans doute l'humanité commençait depuis bien des années à avoir conscience d'elle-même; mais il ne faut pas oublier que jusqu'à la dernière heure de l'ancien régime, les idées qui étouffaient le vieux monde n'ont pas cessé une minute de peser sur la poitrine de chacun de ceux qui vivaient dans ce temps-là; il ne faut pas oublier que, jusqu'à la veille de la Révolution, les droits les plus élémentaires, les plus sacrés de l'homme ne pouvaient être impunément invoqués ou affirmés par les publicistes ou par les orateurs; que la liberté individuelle, la liberté de conscience, la liberté de pensée, l'égalité civile, la justice, et tous ces biens inaliénables, dont nous lisons, avec une sorte d'étonnement, l'énumération dans la Déclaration des droits de l'homme, que tout cela n'existait qu'à l'état de besoin ou de cri séditieux et nous qui vivons et qui respirons au milieu d'une société régénérée par la réalisation de ce qu'on appelait des rêves coupables, nous qui sommes maîtres de notre personne, de nos pensées, de nos biens et de notre patrie, nous pouvons répéter qu'avec notre âge seulement a commencé d'exister ce grand être collectif formé de toutes les personnes, de toutes les pensées, de tous les biens, de la patrie enfin, et qui s'appelle l'État.

C'est cette pensée qui nous a inspiré le titre que nous donnons au présent livre, où nous avons réuni toutes les incriminations qui ont pour objet de garantir l'État, pris comme être moral, de toute atteinte et de toute dissolution. Ce sont là, à proprement parler, les lois politiques. Non pas que nous entendions les consi

dérer comme contingentes et subordonnées à l'existence de telle forme particulière de gouvernement; car les variations, dans la forme, ne changent rien aux éléments fondamentaux du gouvernement, qui sont l'ordre et la stabilité : mais bien au contraire parce que nous prenons le mot de politique dans le sens de « gouvernement de l'État », par opposition à celui de « polémique », sous lequel on l'entend le plus ordinairement.

Nous exposerons d'abord les lois d'ordre public, celles qui ont pour objet de maintenir l'ordre moral et matériel; nous aurons ensuite à examiner l'ensemble des incriminations qui protégent l'indépendance, le respect et l'existence même des pouvoirs politiques; les attentats et les complots contre l'Etat lui-même nous fourniront le sujet d'un titre spécial; enfin nous terminerons le livre par l'exposé des crimes contre la sûreté extérieure de l'Etat.

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De l'ordre public. - L'expression d' « ordre public » est une de celles qui, comme beaucoup d'autres employées dans le langage politique, ont plusieurs acceptions très-différentes; nous la prenons dans son sens propre, pour désigner par leur caractère spécifique les lois pénales dont l'objet est de maintenir l'ordre, c'est-à-dire de régler la mesure et le mode de fonctionnement de toutes les forces individuelles qui s'agitent dans le milieu social et qui, par leur nature même tendant incessamment à se développer dans tous les sens, s'entre-choqueraient en désordre si on ne les obligeait pas à suivre certaines directions générales

communes.

On voit combien la théorie des lois d'ordre public se rapproche de celle des lois de presse : elle n'en diffère même, à vrai dire, que par l'objet de son application et, dans la langue des affaires et de la jurisprudence, on n'a jamais songé à faire la distinction que nous proposons, et qui en effet est aussi inutile pour l'étude isolée des diverses lois répressives qu'elle est indispensable pour la méthode synthétique que nous avons adoptée.

Au point de vue de notre méthode, donc, et laissant de côté toute dissertation sur ce qui doit être ou non compris dans les lois de presse, nous considérerons comme lois d'ordre public, d'une part, celles qui ont pour objet de réglementer certains actes qui de leur nature ne sont ni injustes ni immoraux, tels que la résidence en certains lieux, l'exercice de certaines professions, l'association, la réunion au delà d'un certain nombre, la possession ou la fabrication d'armes, de poudres, de munitions de guerre; d'autre part, nous placerons dans la même catégorie les lois qui, sans s'appliquer à la répression des atteintes portées à telle personne ou à telle chose déterminée, incriminent l'attaque contre les principes de la morale sociale, c'est-à-dire l'ordre moral lui-même.

Infraction au ban de surveillance.- La surveillance de la haute police a été introduite dans nos lois par le sénatus-consulte organique du 28 floréal an xII; deux décrets des 29 ventôse an xш et 17 juillet 1806 vinrent régler l'application de cette mesure.

Le Code pénal de 1810 permettait au condamné d'être dispensé de surveillance moyennant une caution déterminée par l'arrêt de condamnation, et faute de laquelle il était obligé de résider d'une manière continue dans un lieu fixé par le Gouvernement. En cas d'infraction, l'administration pouvait appliquer au surveillé, sans jugement, un emprisonnement qui pouvait s'étendre jusqu'à l'expiration du temps de surveillance restant à courir.

Ce système, qui avait l'inconvénient de rendre les conséquences d'une condamnation beaucoup plus dures pour les pauvres que pour les riches, et où le cautionnement en argent ne donnait aucune garantie de moralité, laissait les surveillés sous le coup d'un arbitraire sans limites, par suite du droit laissé à l'administration de fixer la résidence et de faire détenir en cas d'infraction.

Le Code pénal de 1832 a substitué à ce régime des mesures plus douces. La détention administrative est abolie; l'infraction au ban de surveillance est désormais un délit de droit commun, jugé par les tribunaux correctionnels et puni de peines déterminées; le surveillé n'est plus astreint, comme autrefois, à se présenter tous les huit jours devant le maire de la commune de sa résidence : il doit seulement s'y présenter dans les vingt-quatre heures de son arrivée, et il ne peut changer de résidence sans avoir déclaré au maire, trois jours à l'avance, le lieu où il se propose d'aller habiter, et sans avoir reçu de lui une nouvelle feuille de route.

Quant au choix de la résidence, le décret du 8 décembre 1851 l'a rendu au Gouvernement, qui a d'ailleurs, par l'art. 4 du même décret, interdit d'une manière générale le séjour de Paris et de sa banlieue aux individus placés sous la surveillance de la haute police. Indépendamment de ces dispositions générales, des arrêtés peuvent être rendus par le ministre de l'intérieur contre tel ou tel surveillé personnellement dans ce cas l'arrêté est notifié au surveillé ainsi qu'aux maires de la commune qu'il doit quitter et de celle où il doit se rendre.

La surveillance est une peine accessoire, qui tantôt est facultative, et tantôt est encourue de plein droit: les art. 47 à 50 du Code pénal, dont nous reproduisons le texte, déterminent les conditions de son application :

Art. 47. « Les coupables condamnés aux travaux forcés à temps, à la détention et à la réclusion, seront de plein droit, après qu'ils auront subi leur peine, et pendant toute la vie, sous la surveillance de la haute police.

Art. 48. « Les coupables condamnés au bannissement seront de plein droit sous la même surveillance, pendant un temps égal à la durée de la peine qu'ils auront subie.

Art. 49. « Devront être renvoyés sous la même surveillance, ceux qui auront été condamnés pour crimes ou délits qui intéressent la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat.

Art. 50. « Hors les cas déterminés par les articles précédents, les condamnés

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