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livrés entièrement à la foi publique, le nombre des contraventions est au-dessous de tout ce qu'on pourrait croire. On se tromperait grandement, toutefois, si l'on voulait faire honneur de ce résultat uniquement au bon esprit des populations rurales. Ce qui est plus vrai, c'est que le télégraphe électrique est gardé jour et nuit par la plus vigilante des sentinelles : le fluide qui circule presque incessamment dans les fils est en effet un moniteur perpétuel, qui décèle à l'instant l'heure et le point précis où la ligne a été interrompue; et comme, à des intervalles suffisamment rapprochés, des surveillants sont stationnés, toujours prêts à partir, il n'est pas une atteinte qui ne soit l'objet d'une enquête immédiate. Or il est beaucoup plus facile qu'on ne le croit de savoir, dans les campagnes, qui se trouvait à telle heure sur tel point: les petits bergers qui, neuf fois sur dix, sont les auteurs de tous les méfaits commis dans les champs, savent très-bien pourquoi il ne ferait pas bon se jouer aux poteaux ou aux fils du télégraphe, et très-peu s'y risquent. Rien n'est plus propre que cette admirable invention à donner une idée exacte du pouvoir de la science. Il ne lui suffit pas, comme Prométhée, d'avoir, à la lettre, dérobé le feu du ciel pour en faire le messager docile de la pensée humaine: elle a fait plus encore, et le fluide invisible est devenu, pour les frêles appareils du télégraphe, un gardien sans lequel la loi même eût été impuissante à les protéger.

La télégraphie électrique est tous les jours l'objet de nouveaux perfectionnements. Après l'appareil Hughes, qui imprime lui-même la dépêche, l'appareil Caselli, ou autographique, est venu donner le moyen de transmettre des autographes et les dessins les plus compliqués: on peut donc, de Paris étant, apposer à Marseille sa signature au bas d'un écrit.

Des lignes électro-sémaphoriques ont en outre été établies sur les côtes, combinant ainsi la télégraphie électrique avec la télégraphie nautique : un bâtiment en mer peut de la sorte envoyer à un sémaphore une dépêche que celui-ci transmet à son tour par la voie du télégraphe, de sorte qu'on apprend à Paris, en quelques minutes, qu'un navire attendu est en vue à plusieurs lieues des côtes de France. L'année 1866 a vu, à la suite des persévérants efforts de M. de Chasseloup-Laubat, ministre de la marine, promulguer une convention qui rend commune à toutes les nations maritimes du globe une langue télégraphique fondée sur l'emploi d'un système uniforme de signaux de mer.

La loi du 27 mai 1863 a réglé ce qui concerne la taxe des dépêches privées transmises par les appareils dont nous venons de parler. Elle n'a d'ailleurs en rien modifié les dispositions du décret du 27 décembre 1861, qui sont, ainsi que nous l'avons dit plus haut, applicables à tous les genres d'appareils télégraphiques.

Mais l'activité même que le télégraphe électrique a donnée aux transactions n'a pas tardé à créer de nouveaux besoins. D'un autre côté, l'invention du télégraphe Caselli a rendu nécessaire un règlement pour l'usage de cet appareil. La loi du 13 juin 1866 est venue compléter sur tous ces points la législation sur la télégraphie électrique.

Par ses art. 1o et 2, cette loi établit la faculté, pour tout expéditeur, de recommander la dépêche :

Art. 1. « Les expéditeurs de dépêches télégraphiques ont la faculté de recommander leurs dépêches. Lorsqu'une dépêche est recommandée, le bureau de destination transmet, par la voie télégraphique, à l'expéditeur, la reproduction intégrale de la copie envoyée au destinataire, suivie de la double indication de l'heure de la remise et de la personne entre les mains de laquelle cette remise a eu lieu. Si la remise n'a pas été effectuée, ce double avis est remplacé par l'indication des circonstances qui se sont opposées à la remise et par les renseignements nécessaires pour que l'expéditeur puisse faire suivre sa dépêche, s'il y a lieu. Les dispositions de l'art. 5 de la loi du 3 juillet 1861, relatives au collationnement des dépêches, sont abrogées. Celles relatives à l'accusé de réception sont maintenues. >>

Art. 2. «La taxe de recommandation est égale à celle de la dépêche. »

L'art. 3, qui autorise à composer les dépêches télégraphiques en chiffres ou en lettres secrètes, tranche en faveur de la liberté la question, jusqu'ici réservée, de savoir si le Gouvernement devait interdire, dans la correspondance télégraphique privée, l'usage des chiffres. Du moment où la correspondance par la poste est secrète, et qu'on peut par conséquent s'y servir de chiffres sans que le Gouvernement ait aucun moyen d'en contrôler le contenu, il n'y a pas de raison suffisante pour priver le public d'un mode de correspondance qui, en affaires aussi bien qu'en d'autres matières, est dans certains cas indispensable à la sécurité des correspondants.

L'art. 6 établit encore deux innovations des plus heureuses, en permettant de « faire suivre » une dépêche, de bureau en bureau, à chacune des nouvelles adresses successivement indiquées à chaque bureau. La dépêche, grâce à ce système, court littéralement après le destinataire. Il faut, à cet effet, que la dépêche porte la mention « faire suivre »>.

Le même article donne au destinataire le droit d'indiquer lui-même une adresse autre que la sienne actuelle, et où les dépêches à son nom lui seront adressées en cas d'absence.

Enfin l'art. 8 de la loi applique aux dépêches télégraphiques la faculté de l'affranchissement. Cet article dispose : « L'administration des lignes télégraphiques est autorisée à faire vendre, au prix de vingt-cinq centimes, cinquante centimes, de un franc et de deux francs, des timbres spéciaux dont l'apposition sur une dépêche en opérera l'affranchissement. » L'art. 9 règle la taxe en cas d'affranchissement insuffisant; le destinataire doit acquitter : « 1° l'excédant de taxe dû au Trésor; 2o une surtaxe fixe de cinquante centimes. En cas de refus, la dépêche est mise au rebut. »

L'usage, la vente et la tentative de vente de timbres-dépêches ayant déjà servi; la contrefaction de timbres-dépêches ou l'usage de ces timbres contrefaits, sont déclarés passibles des peines édictées par la loi du 16 octobre 1849 et par l'art. 142 du Code pénal (art. 10 et 11, § 2). Quant au détournement de timbres par un employé du service télégraphique, l'art. 11 le punit d'une peine spé

ciale.

Nous consacrerons, dans le cours de ce titre, un article spécial à chacune de ces incriminations.

L'art. 12, pour éviter toute difficulté sur un point qui avait, en effet, besoin d'être résolu, dispose: «Les dispositions pénales relatives au transport des lettres en contravention ne sont pas applicables à ceux qui transportent les télégrammes que les expéditeurs envoient aux bureaux télégraphiques et les télégrammes que ces bureaux font remettre aux destinataires. >>

L'art. 13 réserve à un règlement d'administration publique le droit de déterminer les règles à suivre pour le calcul de la taxe des dépêches secrètes ou chiffrées, et pour tout ce qui concernera la fabrication, la vente et l'emploi des timbres-dépêches.

L'art. 14 établit la base du droit de transmission par les appareils autographiques. Ici, comme il ne s'agit plus de la transmission successive d'un certain nombre de signes, mais d'un tracé graphique pouvant reproduire aussi bien des signatures ou des dessins que des mots, il a fallu adopter une autre base que celle de la taxe des dépêches ordinaires. On a fixé le droit à vingt centimes par centimètre carré, mais on oblige l'expéditeur à employer au minimum une surface de trente centimètres carrés, de manière que la dépêche ne puisse coûter moins de six francs. La transmission par l'appareil autographique exige, dans l'état actuel de la science, du moins, des frais qui ne permettent pas d'abaisser au-dessous de cette somme le prix d'une dépêche. Mais l'art. 14 réserve au ministre de l'intérieur la faculté de réduire par des arrêtés l'étendue obligatoire et, par suite, la taxe de la dépêche.

Indépendamment de cette taxe, l'expéditeur a encore à payer le prix du papier spécial propre aux transmissions autographiques, et dont le prix est fixé, par le § 3 de l'art. 14, à dix centimes la feuille, quelle qu'en soit la dimension.

Nous ne devons pas oublier une disposition de détail de la nouvelle loi : c'est qu'à l'avenir, pour toutes les dépêches, les noms du département, de la commune et de la rue ne seront comptés chacun que pour un mot dans la dépêche.

Tels sont, exposés aussi complétement que nous avons pu le faire, les principes généraux de la législation qui régit la télégraphie électrique. Il est à croire que de nouveaux perfectionnements, de nouveaux besoins, nés de l'extension même que prend de seconde en seconde cette force nouvelle, appelleront de nouvelles lois, jusqu'au moment, prochain peut-être, où la loi ne sera plus assez puissante pour tenir dans ses mains ces milliers de fils que la pensée humaine sillonne avec la rapidité de l'éclair, et où la télégraphie deviendra libre comme la parole et comme l'écriture. Déjà, depuis le 27 juillet 1866, l'Europe et l'Amérique sont reliées par le câble transatlantique; et si l'on songe que le réseau télégraphique unit l'Europe avec l'Asie et avec l'Afrique, on voit que quatre des parties du monde sont déjà en communication.

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Transmission de signaux d'un lieu à un autre, sans autorisation. L'art. 1er de la loi du 27 décembre 1851, reproduisant, avec des aggravations de peine, l'incrimination établie par la loi du 2 mai 1837, dispose comme suit : « Aucune ligne télégraphique ne peut être établie ou employée à la transmission des correspondances que par le Gouvernement ou avec son autorisation. Quiconque transmettra sans autorisation des signaux d'un lieu à un autre, soit à l'aide de machines télégraphiques, soit par tout autre moyen, sera puni d'un emprison

nement d'un mois à un an et d'une amende de 1,000 fr. à 10,000 fr. En cas de condamnation, le Gouvernement pourra ordonner la destruction des appareils et machines télégraphiques. »

C'est là une disposition générale, qui n'a pas seulement pour objet d'interdire l'établissement de lignes de correspondance télégraphique, mais qui, plus radicale encore, incrimine « toute transmission de signaux d'un lieu à un autre, soit à l'aide de machines, soit par tout autre moyen ». Ce texte comprend donc dans ses termes l'établissement d'une ligne télégraphique et l'emploi de cette ligne à la transmission des correspondances; il comprend également la transmission des signaux.

Mais il importe de remarquer que c'est ce dernier fait seulement qui est punissable, car la loi n'attache pas de peine au fait d'établir une ligne télégraphique si on ne la fait pas fonctionner: ce n'est pas au moment où la ligne est établie, mais au moment où elle fonctionné, qu'un délit est consommé; et quant à la transmission des correspondances, c'est un fait qui se confond avec la transmission de signaux d'un lieu à un autre, fait incriminé par le § 2 de l'art. 1o.

Ainsi, quoique l'établissement sans autorisation d'une ligne télégraphique soit interdit, ce fait n'est pas punissable par lui-même : c'est tout au plus un moyen préparatoire d'exécution d'un délit qui n'existera que par la transmission de signaux. Il était inutile d'incriminer autre chose que ce dernier fait, puisque sans doute personne ne s'avisera d'établir une ligne télégraphique avec l'intention de ne pas s'en servir.

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Fait matériel, commis par imprudence ou involontairement, et pouvant compromettre le service de la télégraphie électrique. La disposition du § 1o de l'art. 2 est tout à fait spéciale à la télégraphie électrique, dont l'appareil, le plus ordinairement disposé le long des routes, réclamait une protection non moins efficace contre les accidents du fait de l'homme que contre les méfaits imputables à sa volonté. Ce texte punit d'une amende de 16 fr. à 300 fr. « quiconque aura, par imprudence ou involontairement, commis un fait matériel pouvant compromettre le service de la télégraphie électrique ».

Ce fait est pris comme contravention, et en tant qu'il n'a été dirigé par aucune intention coupable: « La contravention », ajoute le § 3 du même article, « sera poursuivie et jugée comme en matière de grande voirie. >>

Les faits matériels dont il est question dans cet article ne sont pas définis et ne pouvaient pas l'être. Un poteau renversé, un fil déplacé ou brisé, une communication établie avec la terre ou entre deux fils de la même ligne, sont autant de faits de nature à compromettre le service: il en est de même de toute atteinte, de tout dérangement aux appareils de réception, de transmission ou d'avertissement qui fonctionnent dans les bureaux de télégraphie; enfin les faits matériels peuvent aussi toucher les personnes employées au service des appareils, et compromettre ce service.

Il n'est pas nécessaire, pour que la contravention soit punissable, que le service de la télégraphie électrique ait été en effet entravé ou suspendu par suite du fait constaté à la charge du contrevenant les termes formels de la loi, non moins

que la compétence à laquelle elle attribue le jugement, ne laissent aucun doute à cet égard.

Dégradation ou détérioration d'appareils de télégraphie électrique ou de machines de télégraphie aérienne.— Les dispositions du § 2 de l'art. 2 punissent des mêmes peines que ci-dessus « quiconque aura dégradé ou détérioré de quelque manière que ce soit les appareils des lignes de télégraphie électrique ou les machines des télégraphes aériens ».

Ici la loi ne fait pas de distinction entre les télégraphes électriques et les télégraphes aériens. Mais si le fait est encore incriminé à titre de contravention, il ne suppose plus l'absence de toute intention coupable. Il ne s'agit plus ici, comme dans le § 1o du même article, d'un « fait matériel » commis « par imprudence ou involontairement », mais d'une dégradation ou d'une détérioration commise « de quelque manière que ce soit », ce qui s'applique aussi bien à un fait volontaire qu'à un fait involontaire ou d'imprudence.

Pour bien se rendre compte de la portée de cette disposition, il faut la comparer avec celle du § 1er de l'art. 2 et celle de l'art. 3.

Ce que le § 1o de l'art. 2 incrimine, c'est un fait matériel, qui peut aussi bien consister en une dégradation ou une détérioration des appareils qu'en tout autre acte ou accident; mais il faut que cet acte ou accident soit involontaire ou la suite d'une imprudence; il faut de plus qu'il soit de nature à compromettre le service de la télégraphie électrique; enfin l'incrimination n'est applicable qu'à la télégraphie électrique.

Les faits prévus par l'art. 3, et qui peuvent s'appliquer aussi bien à la télégraphie aérienne qu'à la télégraphie électrique, sont de véritables délits, commis volontairement et ayant eu pour effet de causer l'interruption de la correspondance télégraphique.

C'est entre ces deux incriminations que se trouve placée celle qui nous occupe, et qui par conséquent n'est réalisée qu'autant que la dégradation ou la détérioration, commise involontairement ou par imprudence contre les appareils des lignes électriques, n'aura pas été de nature à compromettre le service; car si elle est de nature à le compromettre, elle rentre évidemment dans les termes du § 1er de l'art. 2, la dégradation ou la détérioration étant un fait matériel.

Que s'il s'agit de dégradation des machines d'un télégraphe aérien, la distinction que nous venons de faire n'a plus lieu, puisque le § 1er de l'art. 2 n'est pas applicable à ce genre de télégraphe, et le § 2 du même article sera applicable, sans distinguer si la détérioration ou la dégradation a été volontaire ou involontaire, parce que dans ce cas la loi ne distingue pas. Que si, au surplus, le fait consistait dans une dégradation commise dans le but de causer l'interruption de la correspondance et ayant produit cet effet, alors on ne serait plus dans le cas de l'art. 2, mais dans celui de l'art. 3.

Interruption de la correspondance télégraphique électrique ou aérienne, volontairement causée par la rupture des fils, par la dégradation des appareils ou par tout autre moyen. — « Quiconque, par la rupture des fils, par la dégradation des appareils ou par tout autre moyen, aura volontairement causé l'interruption de la correspondance télégraphique électrique ou aérienne, sera puni d'un empri

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