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INTRODUCTION.

La société se partage aujourd'hui en deux peuples, confondus encore par des intérêts matériels,mais divisés sur tout ce qui tient à l'ordre moral. L'un croit tout ce que l'autre nie, aime tout ce que l'autre hait, défend tout ce que l'autre attaque; et comme on dispute des bases de la société, il s'agit pour elle, dans cette lutte, de l'existence même. Ces deux peuples, dont les forces se balancent encore, n'en font encore que des essais partiels. Selon que l'un ou l'autre obtient la prépondérance dans une nation, une révolution particulière éclate, une restauration partículière commence. Le monde, incertain de ses destinées, s'agitera dans ces alternatives, et flottera comme suspendu entre la vie et la mort, jusqu'au moment où l'un de ces deux peuples ayant acquis un ascendant irrésistible, la société descendra dans l'abîme, ou remontera vers les cieux.

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Ces deux peuples, quoique divisés sur tout le reste, s'accordent à reconnoître que le principe de leur séparation se trouve dans les doctrines opposées qui les dirigent; et, à l'exception de certains hommes qui veulent tout expliquer par les intérêts particuliers, parceque les intérêts particuliers seuls les touchent, il n'y a sur ce point qu'une voix dans l'Europe entière. Aussi, bien que cette guerre dure depuis trois siècles, les

deux sociétés ennemies, loin d'espérer un accord durable, ne conçoivent pas même la possibilité d'une trève; car on peut apaiser une guerre d'intérêt par des concessions réciproques, mais une guerre de doctrines, jamais. Le temps, qui calme toutes les autres dissensions, ne fait que fortifier cette lutte, parceque les doctrines contraires, en se développant, ne font que se diviser davantage ; et lorsque enfin, étendues à toutes leurs conséquences, elles se trouvent opposées en tout, comme aujourd'hui, on voit alors se réaliser sur la terre, dans les proportions que comporte l'état présent, cette séparation de l'ordre parfait, et du désordre sans borne, qui reçoit ailleurs sa consommation.

Dès qu'une fois on a compris le principe du choc terrible qui ébranle le monde, on ne peut se faire illusion sur le seul moyen qui puisse y remédier. La guerre règne dans la haute région de l'ordre social, dans le monde des esprits : c'est là que se sont formées les tempêtes : c'est de là seulement qu'on peut faire descendre la sérénité ; et la société, qui périt par l'anarchie des opinions, ne sera sauvée que par des croyances.

Or, dans ce combat de doctrines, il n'existe que deux principes réellement opposés, dont plusieurs esprits peuvent ne pas tirer toutes les conséquences, mais qui renferment tout ce qu'il y a de vrai ou de faux, d'utile ou de nuisible dans les pensées humaines. L'un est le principe catholique, qui, soumettant toutes les opinions particulières à l'autorité des croyances générales, établit une société parfaite entre les intelligences, et les met

dans l'heureuse nécessité de conserver à la fois toutes les vérités : l'autre est le principe philosophique, qui, soumettant les croyances générales aux caprices des opinions particulières, établit l'anarchie entre les intelligences, et leur donne la funeste liberté d'adopter à leur gré toutes les erreurs.

Il suit de là que, si l'on veut protéger avec succès l'ordre social, il faut de toute nécessité se placer sur la base catholique. C'est là seulement qu'on est fort, parceque c'est là seulement qu'on est conséquent. Quiconque, s'appuyant sur une autre base, prétend défendre la société contre la révolution, ne comprend ni ce qu'il défend ni ce qu'il combat: car, en rejetant l'autorité, qui peut seule coinmander aux intelligences, il établit par là l'indépendance de chaque esprit, qui est le principe même de la révolution qu'il attaque. Hors de la foi catholique, il n'existe que des opinions particulières; et le monde ne périt que parceque les opinions particulières, affranchies de toute règle, minent de toutes parts les croyances générales, sur lesquelles repose la société. Aussi tous ces systèmes qui, avouant au moins implicitement le principe même des systèmes anarchiques, s'efforcent d'être sociaux dans leur application, non seulement n'ont aucune action sur les esprits (car l'erreur conséquente est plus forte que la vérité dont l'inconséquence ruine l'effet), mais, de plus, ils poussent les esprits droits vers les opinions révolutionnaires, dont ils conservent le fond; et, sous ce rapport, quelles que soient les intentions de ceux qui les professent et les talents qui les préco

nisent, l'ordre social, compromis par cette défense contra dictoire, doit redouter à l'égal d'une guerre formelle cette funeste protection.

Mais, dès qu'on appuie les vérités sociales sur la doctrine catholique, elles sont inébranlables, parcequ'alors elles reposent sur leur véritable fondement. La société politique ne subsiste que par la soumission des esprits à des croyances et à des devoirs communs; et le principe de cette soumission ne se trouve que dans la société religieuse universelle, qui seule a le droit de commander aux esprits. Est-il donc si difficile de comprendre que cette autorité spirituelle, qui règne dans tous les temps et dans tous les lieux, est la seule digue qu'on puisse opposer à ce torrent d'opinions indépendantes qui menace de tout renverser? Tant qu'on opposera des systèmes à des systèmes, on ne fera qu'augmenter le chaos, et jamais les opinions individuelles ne reculeront devant d'autres opinions individuelles, qui n'ont aucun droit de leur commander. Pour soumettre les esprits, il faut opposer à leurs pensées particulières, variables et divisées entre elles, l'immuable autorité des croyances générales, dont la société religieuse conserve le dépôt à travers les vicissitudes humaines. Et en vérité, lorsqu'il s'agit de défendre l'ordre établi par le créateur de la société, quiconque n'a que ses opinions est bien orgueilleux, s'il les croit nécessaires, et bien coupable, si, ne le croyant pas, il trouble le monde pour les faire prévaloir. C'est d'après ces considérations qu'on se détermine à pu

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