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Autrefois un empire n'étoit grand, n'étoit fort que par le concert des doctrines, des volontés et des intérêts. Unité étoit alors synonyme de puissance; toutes les parties du corps social se rapprochoient et se confondoient par l'alliance étroite qui régnoit entre la religion et la royauté, entre le monarque et le peuple, entre les grands et les petits. Mais dès que le pouvoir eut cessé de se regarder comme le vassal de Dieu; dès que la loi, désormais soumise à la volonté humaine, eut perdu cette sanction divine et immortelle qu'elle tenoit de la religion; dès que le peuple eut renié le souverain pour son maître; enfin, dès que le pauvre, au lieu de regarder le riche comme son père, eut commencé à le considérer comme sa victime et sa proie, cette sublime alliance, qui faisoft de la société comme un faisceau qu'il étoit impossible de rompre, fit place à mille aversions, à mille antipathies, qui furent autant d'éléments de dissolution au milieu des hommes et des choses, que le temps et l'habitude avoient unis. Alors le monde devint un immense théâtre d'une guerre universelle qui jeta partout la confusion, ce qui fit de la société un chaos d'opinions et d'intérêts irréconciliables.

Cette anarchie fut d'abord regardée comme un de ces malheurs résultats inévitables des circonstances; il nous étoit réservé de la voir ériger en système. Chose incroyable, mais en même temps trait caractéristique des temps modernes, l'anarchie, organisée et décorée du nom d'opposition, est devenue le mobile nécessaire de nos gouvernements.

On s'oppose à tout, aux dogmes de la religion de même qu'aux préceptes de la morale, aux volontés du prince aussi bien qu'aux commandements de la loi; aucune autorité n'est sacrée, n'est inviolable aux yeux de cette indépendance qui ne reconnoît aucune règle ni aucun frein. Il n'est pas de vérités qu'on ne se plaise à contredire, pas de devoirs qu'on ne s'honore de méconnoître ; et tandis qu'autrefois on eût considéré comme un ennemi public et puni comme tel celui qui eût

osé insulter aux croyances communes et provoquer le mépris et la révolte contre son roi, on regarderoit aujourd'hui comme un attentat à la liberté la perte du droit nouvellement acquis d'outrager la religion de l'état et de combattre le gouvernement établi. Ainsi la discorde et l'insurrection sont devenues le pricipe fondamental des gouvernements, comme autrefois l'unité et l'obéissance étoient la condition nécessaire de l'ordre social. Nous n'examinerons pas dans ce moment quels doivent être les résultats inévitables d'un pareil état de choses, et si l'on peut espérer que la société s'affermisse au milieu de ce choc habituel de toutes les passions et de tous les inté– rêts; si cette lutte journalière de toutes les vérités et de toutes les erreurs ne tend pas à ébranler toutes les croyances qui sont le fondement de l'ordre public; et si, par conséquent, les journaux, que beaucoup d'esprits ne considèrent que comme un besoin de la société, n'en sont pas peut-être le plus terrible fléau. C...

Aux considérations générales que l'on vient de lire, et qui font comprendre l'importance du travail dont les écrits périodiques seront l'objet dans le Mémorial catholique, nous croyons devoir ajouter quelque chose de particulier sur l'esprit des principaux journaux qui sont l'organe des diverses opinions qui se partagent la société.

Il est inutile de nous étendre sur les journaux religieux et monarchiques, parmi lesquels la Quotidienne doit toujours être nommée la première. Il y a deux sortes de royalismes : l'un qui s'appuie sur la conscience, qui se confond avec la religion, qui n'est, pour emprunter une expression d'un des plus beaux génies de l'antiquité chrétienne, que la religion de la seconde majesté ; c'étoit le royalisme de nos pères. celui des paysans vendéens et des soldats de Condé: c'est celui de

la Quotidienne. Il y a un royalisme d'une autre sorte, que l'on peut étudier dans le Journal des Débats.

La Gazette de France se rapproche par ses opinions de la Quotidienne. Le Drapeau Blanc a tout perdu en perdant un écrivain supérieur, qui nous a ôté le droit de le louer; et il s'en dédommage en l'insultant.

Nous n'exprimerons pas une opinion sur la politique de l'Étoile; ce seroit nous prononcer sur la politique du ministère, ce qui n'entre pas dans le plan de cet ouvrage : mais nous serions fâchés de ne pas marquer ici notre estime à l'écrivain distingué qui a la principale part à la rédaction de cette feuille, et qui a attaché sa réputation à des titres plus importants. Passons aux journaux de l'opposition.

L'opinion publique est fixée sur le Constitutionnel, le plus ancien des journaux de l'opposition libérale, et celui qui suit avec le plus d'art un plan général d'attaque contre la religion et contre la légitimité. C'est là que la révolution se montre avec tous ses artifices, consacrant tous les principes de révolte, et sachant en arrêter les conséquences au point où elles deviendroient des crimes punis par les lois; abusant de la liberté, qui est un bienfait de la légitimité, pour insulter au bienfaiteur; affectant un respect hypocrite pour nos lois, pour nos institutions, pour la religion même, afin de répandre plus sûrement des doctrines d'anarchie et d'impiété...

Un petit nombre d'esprits, pour qui la révolution a un charme de plus lorsqu'elle se montre à travers les nuages de la méthaphysique, ont le privilége de comprendre les hautes théories des doctrinaires, développées dans le Courrier et le Journal de Paris. L'opposition a aussi son journal du soir, le Pilote, dont l'obscure existence ne fixera pas souvent notre attention. Pourquoi donner de l'importance à des déclamations tour à tour révolutionnaires et impies, où ne brille jamais une lueur de talent; œuvres ténébreuses qui naissent avec la nuit et meurent avant le jour ?

Les Tablettes universelles, journal hebdomadaire de l'opposition, ont un caractère particulier. La révolution s'y montre avec une franchise qui va quelquefois jusqu'à l'inconsidération. On prétend que de jeunes écrivains du parti ont la principale part à la rédaction de cet écrit; nous le croyons volontiers : à vingt et un ans, on ne sait pas toujours se contenir; le désir de faire un bon mot, de dire tout ce qu'on sait, de deviner ce qu'on ne sait pas, peut faire échapper beaucoup de secrets. Les Tablettes nous fourniront des aveux précieux; ses jeunes rédacteurs se battent en enfants perdus: sentinelles avancées de la religion et de la légitimité, nous les rencontrons souvent aux avant-postes de la révolution.

Nous ne dirons rien du Mercure, sinon qu'il vient de promettre de ne plus ennuyer ses lecteurs ; et sans compter sur sa parole, nous promettons aux nôtres de le lire pour les avertir de ce qui pourroit lui échapper qui fût digne de quelque intérêt. Il y a du mérite dans cet engagement.

Le ton de cet ouvrage ne nous permettra pas d'étendre notre revue à une sorte de pamphlets périodiqucs, le Corsaire, la Pandore, le Diable Boiteux, et tous les autres journaux de théâtre, héritiers de la licence et de l'impiété du Miroir. En entreprenant de combattre la philosophie, nous ne prenons pas l'engagement de la poursuivre jusque dans la boue. D'ailleurs nous ne pouvons trouver mauvais qu'elle se soit élevé une chaire dans les journaux de théâtre; elle s'y trouve à sa véritable place, faisant son rôle à côté d'Arlequin. Pourquoi troubler la possession où elle est de jouer la comédie parmi nous depuis un demi-siècle; et ne sommes-nous pas heureux qu'elle consente à ne plus nous donner des représentations d'un autre genre, et à ne plus remplacer ses tréteaux par des échafauds ?

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* On croit que la devise liberté, égalité, est nouvelle; on se trompe, elle a six mille ans. Sait-on ce que le tentateur dit à la première femme ? Il lui dit d'abord : « Pourquoi Dieu vous » a-t-il fait cette défense?» c'est-à-dire, pourquoi l'obéissance? « pourquoi n'avez-vous pas la liberté ? » Il ajouta : « Si vous faites ce que je vous dis, vous deviendrez égal à Dieu ; » vous aurez l'égalité. Et comment cela ? - C'est que vous » aurez la science du bien et du mal. » Traduisez ces mots en langue moderne, cela veut dire progrès des lumières.

* Les Tablettes universelles, après leurs souhaits de bonne année, promettent à leurs abonnés le retour de la justice du peuple. Ce joli mot, réchauffé de 93, a dû flatter agréablement certaines oreilles, cachées naguère sous un bonnet rouge, et doit être d'un heureux augure, puisqu'il rappelle de si beaux souvenirs. Des pamphlets de Marat, il passa dans la bouche des héros de septembre, s'inscrivit sur l'échafaud de Louis XVI, précéda dans leurs sanglantes expéditions tous les proconsuls de la terreur; et, après s'être réfugié durant quelques années dans des clubs souterrains, il vient de reparoître dans un journal qui cependant avoit promis de tenir un autre langage.

.*. Quelques personnes, pleines des meilleures intentions, voudroient que l'on combattit la philosophie, aujourd'hui entièrement développée, en restant à la même place où se tenoient il y a cent cinquante ans les apologistes de la religion, qui combattoient la philosophie naissante. Elles demandent si l'on croit en savoir davantage que les Fénélon et les Bossuet; et là-dessus elles n'ont pas de termes assez forts pour déplorer

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