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leur pays; et d'ailleurs on leur inspire une plus haute vénération pour ces sociétés, en leur faisant accroire que leur origine se perd dans la nuit des temps: aussi rencontre-t-on quelquefois des adeptes innocents, qui jureroient sur leur tête que la franc-maçonnerie remonte au siècle d'Hermès Trismégiste, sans vouloir en rabattre un seul jour, et qui savent de science certaine que les ouvriers qui travaillèrent au temple de Salomon furent reçus apprentis, compagnons et maîtres par le vénérable Adoniram.

Les sociétés secrètes du moyen âge doivent nous intéresser davantage, à cause de leur liaison avec les associations modernes. Il est hors de doute aujourd'hui que, dans la période qui s'étend depuis les commencements du manichéisme jusqu'à ceux du protestantisme, des sociétés secrètes se sont formées, qui cnt donné naissance à la franc-maçonnerie. Les savants maçons sont presque unanimement d'acord sur ce point. Qu'il nous suffise de rappeler l'aveu de Condorcet, qui, dans son Es- : quisse sur les progrès de l'esprit humain, nous parle de ce sociétés secrètes formées dans les siècles d'ignorance, destinées à perpétuer sourdement et sans danger parmi un petit nombre d'adeptes un petit nombre de vérités simples, comme de sûrs préservatifs contre les préjugés dominateurs. ·

Sous le voile du secret, des colonies de manichéens, sorties d'Orient, vinrent déposer en Europe les premiers germes de la double révolte en religion et en politique, qui se sont développés depuis; et ce furent précisément ces associations secrètes du moyen âge qui donnèrent lieu à l'établissement de l'inquisition. Elle fut en même temps une institution secrète dans sa police, pour pénétrer plus facilement les complots d'impiété et de rébellion, et une institution légale, revêtue de la puissance publique pour les réprimer. Elle n'étoit pas seulement un tribunal, elle étoit surtout une contre-mine. C'est un point de vue sous lequel on néglige de la considérer, et qui nous explique

parfaitement la haine que lui vouent les sociétés secrètes qui conspirent contre la religion et l'état.

Bossuet a décrit dans son Histoire des variations les sectes du moyen âge, transformées en sociétés secrètes; et il a fait à ce sujet une réflexion qui est encore plus remarquable pour nous qu'elle ne pouvoit l'être pour lui (1), Après avoir fait observer que le manichéisme, dont ces sectes n'étoient que la continuation, est la seule hérésie qui ait été prédite avec ses caractères particuliers (2), il ajoute : « Pourquoi, parmi tant d'hérésies, le Saint-Esprit n'a-t-il voulu marquer expressément que celle>>ci ? Les saints Pères en ont été étonnés, et en ont rendu des » raisons telles qu'ils l'ont pu dans leurs siècles; mais le temps, » fidèle interprète des prophéties, nous en a découvert la » cause profonde; et on ne s'étonnera plus que le Saint-Esprit » ait pris un soin si particulier de nous prémunir contre cette » secte, après qu'on a vu que c'est elle qui a le plus long» temps et le plus dangereusement infecté le christianisme : le » plus long-temps, par tant de siècles qu'on lui a vu occuper; »et le plus dangereusement, parceque, sans rompre avec éclat » comme les autres, elle s'étoit cachée autant qu'il étoit pos»sible dans l'Église même..... Depuis Marcion et Manès la » détestable secte a toujours eu sa suite funeste... C'étoit plus » particulièrement l'hérésie des derniers temps et le vrai mys»>tère d'iniquité, comme l'appelle saint Paul. Lorsqu'elle » fut éteinte dans tout l'Occident, on voit enfin arriver le terme » fatal du déchaînement de Satan....... Les restes du mani» chéisme, trop bien conservés en Orient, se débordent sur l'église latine........ Une étincelle allume un grand feu, et >> l'embrasement s'étend presque par toute la terre. »

Maintenant ne pouvons nous pas ajouter à notre tour : Pourquoi, parmi tant d'hérésies, le Saint-Esprit n'a-t-il voulu

(1) Hist. des Variat., liv. IX.

(2) Saint Paul, I, Tim., c. iv, v. 1, 23, 45.

marquer expressément que le manichéisme? Bossuet en a été étonné, et en a rendu des raisons telles qu'il le pouvoit de son temps; mais le temps, fidèle interprète des prophéties, est venu nous apprendre que ce manichéisme, qui n'est au fond que l'athéisme, a toujours sa suite funeste. C'est lui qui a enfanté, par le moyen des sectes du moyen âge, ces associations secrètes qui, en se développant, ont embrassé le monde entier dans leurs réseaux sataniques. C'est donc de nos jours surtout qu'on découvre la cause profonde qui a fait prédire d'une manière spéciale ce mystère d'iniquité; c'est nous qui en avons vu sortir l'embrasement de toute la terre.

Ainsi les sociétés secrètes modernes, qu'on désigne ordinairement sous le nom commun de franc-maçonnerie, seront l'objet particulier de nos recherches. Nous devons expliquer à nos lecteurs comment nous pourrons leur communiquer sur cet objet des lumières précieuses. Chacun sait que les sociétés secrètes font circuler parmi leurs adeptes des ouvrages relatifs aux travaux de ces sociétés. Ces ouvrages doivent être distin-gués en deux classes: les uns, qui renferment uniquement le cérémonial des loges et le catéchisme des récipiendaires, n'apprennent rien; on les donne aux simples d'esprit, qui s'en contentent. Celui qui étudieroit la franc-maçonnerie dans ces sortes de livres ressembleroit à un homme qui auroit la prétention de pénétrer les secrets de l'état en lisant le Manuel à l'usage des commis. Il est une autre classe d'ouvrages maçonniques, qui ne sont ordinairement qu'entre les mains des véritables initiés, et qui renferment la haute police de l'ordre. Or il arrive quelquefois qu'une bibliothèque maçonnique de ce genre tombe, après la mort de son possesseur, entre des mains profanes; et si le nouveau possesseur a un esprit pour penser, un cœur pour oser, et une main pour écrire, rien n'empêche qu'il n'adopte la devise:

Fas mibi Graïorum sacrata resolvere jura,

atque omnia ferre per auras.

ENEID., lib. 1,

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Tandis que la religion est obligée de se défendre contre l'implacable haine de l'incrédulité, et contre les attaques furieuses de ses ennemis déclarés, il est bien douloureux pour elle d'avoir à lutter contre ses propres enfants, qui, tout en l'honorant d'un langage respectueux, tout en invoquant son nom, ne comprennent point qu'ils trahissent ses intérêts les plus chers, et qu'ils deviennent la cause la plus active de sa ruine.

En effet on voit s'élever au sein même du christianisme des sociétés, qui, égarées par un zèle mal éclairé, désirant unir par les liens d'une morale et d'une charité communes toutes les sectes qui à diverses époques ont déchiré le sein de l'Église, ne s'aperçoivent pas qu'elles s'isolent elles-mêmes de la grande société spirituelle, et qu'elles abjurent le nom chrétien. Quelle est en effet cette société, dite de la morale chrétienne, dont les membres établissent comme principe fondamental de leur alliance, qu'on évitera scrupuleusement d'élever aucune discussion sur les points qui divisent les différentes branches de la famille chrétienne, c'est-à-dire que leur société sera basée sur l'indifférence absolue en matière de foi. Leur but, disent-ils, est l'application des préceptes du christianisme aux relations sociales, ou autrement la charité. Nous pourrions leur demander comment ils appliquent d'abord ce précepte fondamental du christianisme, si souvent répété dans les saintes Écritures, et qui établit que les œuvres ne sont rien sans la foi, que sans elle il n'y a point de charité: Caritas ex fide. Mais, sans descendre ici sur le terrain

de la controverse, où il nous seroit si facile de triompher, bornons-nous à établir, par des preuves revêtues d'une évidence de fait, que la foi est le soutien nécessaire des œuvres et de la charité.

Le mystère de la rédemption, tel est le dogme fondamental de la religion, celui dont l'esprit la pénètre, pour ainsi dire, tout entière. Le genre humain, courbé sous le poids de sa dégradation originelle, languissoit dans l'esclavage des sens et du péché mais les temps sont accomplis; celui qui devoit venir est vcnu, et une rédemption universelle s'opère en faveur de tous les hommes, grâces aux mérites du Fils de Dieu, dont le sang, coulant du haut de la croix, arrose et purifie de ses flots précieux la terre souillée par tant de crimes. Voyons donc maintenant si la foi dans le sacrifice du Rédempteur ne touche en rien à la charité, et si l'indifférence pour ce dogme ne doit point la couper dans sa racine.

Avant la venue du Sauveur, on sait ce qu'étoit la charité chez les peuples païens. Que dis-je, ce qu'elle étoit! elle y manquoit tellement, qu'aucune de leurs langues n'a de termes pour l'exprimer ! Mais dès qu'une fois l'amour infini se fut manifesté dans le mystère de la rédemption, le genre humain comprit le précepte de l'amour, et l'esprit de miséricorde commença de redescendre sur la terre. Bientôt le christianisme est fondé, et l'Église, interprète souveraine de sa doctrine, a fait entendre sa voix; le sang de Jésus-Christ n'a pas dû couler seulement une fois sur le Calvaire, il doit couler jusqu'à la fin des temps sur nos autels, et laver continuellement de ses flots les souillures toujours renaissantes du péché. Les chrétiens ont eu foi dans la continuation du sacrifice; et aussitôt nous voyons s'opérer de nouveaux prodiges de charité. Ceux-ci consacrent leurs richesses au soulagement de l'infortune, ceux-là leur vie tout entière ; et de tous côtés s'élèvent de magnifiques hôpitaux pour le pauvre et l'orphelin, de pieux asiles pour le repentir

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