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enfin aux yeux des peuples que comme une usurpation manifeste de l'un, et comme un asservissement déplorable de l'autre. Voilà les grands objets que nous nous proposons de traiter. Nous le ferons en conservant au pouvoir royal le respect que lui doivent des cœurs religieux, surtout dans des questions où il est juste d'observer que les vices de la loi sont un héritage qu'il a reçu des pouvoirs passés; mais nous le ferons en conservant à nous-mêmes assez de franchise pour montrer que cet héritage funeste ne sauroit être accueilli par la royauté.

DE LA SITUATION DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE

DANS PLUSIEURS ÉTATS PROTESTANTS.

Dissimuler, se plaindre et prêcher la tolérance partout où l'on se trouve en minorité, persécuter dès l'instant où l'on domine, telle fut dans tous les temps la tactique et la conduite des sectaires; c'est aussi la marche que suivirent dans le siècle dernier les apôtres de la philosophie moderne. Tant que l'incrédulité, intimidée par les lois et repoussée par l'opinion publique, fut réduite à tenir des assemblées secrètes, ses adeptes ne cessèrent de faire retentir les mots de tolérance et d'humanité. Les moindres rigueurs de la part des magistrats, pour réprimer des doctrines qui tendoient à bouleverser la société, excitoient les clameurs du parti, et l'on eût dit que les bûchers étoient allumés pour les brûler tous vifs avec leurs livres. Les coryphées néanmoins avoient parfois assez de franchise pour ne pas dissimuler leur arrière-pensée: Si j'avois cent mille hommes, écrivoit Voltaire, je sais bien ce que je ferois..... Et nous aussi, nous le savons à n'en plus douter, depuis cette sanglante époque où la tolérante philosophie avoit à ses ordres

cent mille bourreaux, qui d'une main renversoient nos temples, et de l'autre dressoient des échafauds.

Les conséquences funestes des mauvaises doctrines, les maux qu'avec le temps elles causent à la société, fournissent de bien meilleurs arguments contre elles que tous les livres possibles aussi les faits ont-ils parlé assez haut; ils ont tout dit à ceux qui observent et qui réfléchissent; et depuis trente ans l'Europe sait à quoi s'en tenir au sujet de la tolérance philosophique.

Mais les incrédules ne sont pas les seuls qui, avec la rage du fanatisme dans le cœur, aient pris pour cri de ralliement le mot de tolérance; comme nous l'avons dit, ce cri a été celui de toutes les sectes, de celles qui attaquent le christianisme `en général, et de celles qui protestent seulement contre quelques uns de ses dogmes: au fond, l'esprit est le même, et les événements ont prouvé, comme ils le prouvent encore, que l'on peut, sans injustice, ranger sur une même ligne la tolérance philosophique et la tolérance des évangéliques.

A Dieu ne plaise que nous voulions exciter ici des sentiments de haine contre qui que ce soit; ces sentiments sont loin de notre cœur. Mais nous fera-t-on un crime de confondre la calomnie? nous tairons-nous sur les vexations dont on accable l'église catholique dans les contrées de l'hérésie ? entendronsnous tranquillement les écrivains d'un certain parti vanter sans cessé autour de nous la tolérance des protestants, et déchirer par les plus noires accusations le clergé catholique ? Quoi! dans un royaume où le petit nombre de luthériens et de calvinistes qui s'y trouvent, jouissent en paix de tous les droits civils, et du libre exercice de leur culte, dont les ministres reçoivent un traitement de l'état, on criera à l'intolérance, on offrira à l'intérêt public les dissidents comme des victimes qui gémissent sous le couteau, et nous n'élèverions pas la voix pour nous justifier! et nous ne dirions rien de ce qui se passe à l'é

gard de nos frères dans les pays où le protestantisme domine! Mais un pareil silence seroit criminel, et nous trahirions les intérêts de la justice; il est temps enfin que les hypocrites de la tolérance soient complètement démasqués: heureusement pour nous, ils semblent travailler eux-mêmes à désabuser notre siècle sur leur compte ; ils nous fournissent pour les attaquer et les confondre la preuve la moins équivoque de toutes, celle des faits.

N'allons pas rechercher ce qui se passa dès l'origine de la prétendue réforme, lorsque Calvin faisoit brûler à Genève Michel Servet, et que Luther disoit, à peu près dans le même sens que Voltaire: «J'attends que je sois suivi de vingt mille » hommes de pied et de cinq mille chevaux, alors je me ferai » croire (1). Parlons de ce qui se passe de nos jours, dans le dix-neuvième siècle, au sein même de la métropole du calvinisme.

D

Une lettre intéressante qui vient de paroître (2) nous donne la mesure de la sincère tolérance de MM. les ministres du saint évangile à Genève; nous invitons nos écrivains libéraux à lire cette lettre, et à nous dire ce qu'ils pensent de la conduite de la vénérable compagnie.

Voici quelques uns des principaux traits de tolerance rapportés dans l'écrit de M. Nachon, qui habitè à quelques lieues de Genève.

Quoiqué, en vertu du concordat de 1801, le conseil municipal de Genève dût céder un édifice pour l'exercice de la religion catholique, l'évêque diocésain eut à soutenir une lutte de plus de dix-huit mois, et le curé qu'il avoit nommé ne put commencer ses fonctions dans une église qu'en octobre 1803. Jus

(1) Adv. exercit. Antich.

(2) Lettre de M. Nachon, sur la tolérance de Genève; à Paris, chez Méqui gnon junior, rue des Grands-Augustins, n. 9.

qu'à cette époque, on refusa même un coin de terre pour la sépulture des catholiques, et les familles étoient obligées de faire porter leurs morts dans des paroisses voisines.

En 1813, M. le curé avoit fait toutes les avances nécessaires pour l'établissement de trois frères de la doctrine chrétienne, destinés à l'instruction gratuite des enfants catholiques, ils ne purent séjourner à Genève que 48 heures ; la présence de ces pauvres et humbles ignorantins mit foute la ville en agitation; le maire dit au préfet qu'il ne répondoit plus de la tranquillité publique si les frères restoient,

Depuis 1814, vingt paroisses catholiques, détachées de la France et de la Savoie, sont réunies à l'ancien territoire de Genève, qui forme actuellement un canton mixte. Les intérêts de cette nouvelle population furent stipulés par les traités de Vienne et de Turin; on leur a assuré la jouissance de tous leurs droits politiques et religieux. Mais comment ces traités sontils observés? Chaque jour, dans des pamphlets incendiaires, les ministres du saint évangile attaquent par les injures les plus grossières le culte catholique et ses ministres. Dans un catéchisme imprimé îl y a deux ans, ils n'ont pas eu honte de renouveler contre l'église romaine le reproche suranné d'idolâ– trie, et toutes les vieilles calomnies de l'ignorance et de la mauvaise foi de leurs devanciers. Ce catéchisme protestant s'enseigne dans les classes du collége, où jusqu'ici aucun prêtre n'a été appelé pour l'instruction des jeunes catholiques qui le fréquentent.

Le conseil ne tient nullement compte des ordonnances de l'évêque, relatives au mariage des catholiques, et il soumet à une amende pécuniaire les curés qui publieront en chaire le mandement de leur évêque.

Tel est le sort de ces infortunés catholiques, réunis depuis dix ans au canton de Genève ; ils sont traités comme un peuple conquis par la puissance des baïonnettes ; ils n'ont pas

même droit à l'hôpital du chef-lieu, exclusivement réservé pour les Genevois de l'ancien territoire.

Dans cet état de persécution, qu'il est beau d'entendre les pasteurs catholiques réclamer les droits de la justice qui leur est due, avec le langage véritable de la charité chrétienne! Voici comment ils s'expriment dans leurs réclamations aux syndics et conseillers d'état du canton de Genève :

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« Tranquilles sur tout ce qui regarde la religion et les fonc»tions de notre ministère, nous ne négligerons aucun des moyens qui dépendent de nous pour seconder les vues pater ⚫nelles de vos seigneuries, et vous donner des témoignages de »notre zèle pour la prospérité et le bonheur du canton dont nos "paroisses sont destinées à faire partie..... L'on ne peut espérer de voir régner une union franche et durable entre des » hommes séparés par la diversité de caractère, de nation, de religion, qu'autant qu'elle prendra sa source dans une estime ⚫et une confiance réciproques. Cette estime et cette confiance ne peuvent naître dans les cœurs, tandis que la population »> catholique du canton se trouvera blessée et froissée dans ses sentiments les plus respectables et les plus chers à son cœur... »Très honorés seigneurs, daignez vous faire présenter les » livres élémentaires d'instruction à l'usage des catholiques, et » non seulement vous n'y trouverez aucune phrase, aucun mot › qui calomnie nos frères séparés, mais vous n'y lirez pas même les noms de protestants, de luthériens, de calvinistes: pourquoi donc dans les livres d'instruction publique autori»sés dans votre cité, cette affectation à signaler, à offenser, et »à calomnier l'église catholique dans ses dogmes, dans son » culte et dans son gouvernement ?...

La politique de Genève, plus conforme aux principes » de la tolérance civile et aux devoirs de la charité chré»tienne, doit abattre ce mur de séparation, et faire dis» paroître pour toujours ce ferment de discussion, de haine

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