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DE LA RELIGION,

CONSIDÉRÉE PAR RAPPORT A LA LOI FRANÇAISE.

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A mesure que nous nous éloignons des temps funestes où la puissance publique, d'accord avec la corruption du siècle, hâtoit la décadence des mœurs par la législation même, et sapoit la société par ce qui auroit dû être son appui, il semble que le premier soin des hommes attachés au bien de l'état et amis de l'ordre doit être de reporter leurs pensées et leurs méditations sur les vices dont fut flétrie la nouvelle loi française, au moment où elle s'éleva sur les ruines des anciennes institutions.

Dans ces derniers temps, on a dit qu'en France la loi étoit athée, et ce mot effrayant exprime malheureusement une vérité de fait, qu'il eût été ́inutile de contester. Elle est athée en effet la loi qui n'a d'autre sanction que celle du bourreau, et qui, négligeant de se mettre elle-même sous la haute protection de la loi divine, abandonne à son tour la loi divine à l'indifférence capricieuse de l'athéisme et au mépris insultant de l'impiété. Tel a été, dès le commencement, le caractère de la loi française. Née au milieu du chaos, dans un moment où la société détruite sembloit n'avoir pas de besoin plus pressant que celui de rassembler ses débris, la législation nouvelle reçut, de l'état violent de souffrance où se trouvoit le corps politique, un caractère particulier, et comme une empreinte de matérialisme, qui alors frappa peu les esprits, tout préoccupés du désir de remettre dans un ordre au moins apparent les diverses parties de la société. Indépendamment de l'indifférence profonde qui avoit dû pénétrer au fond des âmes pour les doctrines religieuses, indifférence qui eût fait repousser la pensée de placer la loi sous l'autorité de Dieu, il dut y avoir alors,

même dans les esprits moins dépravés, un certain mouvement d'admiration pour le pouvoir qui leur paroissoit recueillir les ruines de la législation, leur redonner de l'ensemble et de la vie, et replacer ainsi la société sous les auspices de la loi. On n'avoit pas eu le temps d'examiner si cette œuvre renfermoit en elle-même des conditions de durée; si la loi nouvelle portoit sur son frontispice le nom de Dieu; si elle reposoit sur les doctrines sociales et conservatrices; si la conscience humaine lui servoit de fondement; si, à son tour, elle étoit un appui pour la conscience humaine. Les hommes, devenus grossiers par l'habitude de voir les désordres matériels de la société, s'arrêtèrent aux apparences; l'ordre moral, le seul qui soit en effet de l'ordre, touchoit peu des esprits pressés surtout de mettre fin aux déchirements et aux violences de l'anarchie, et de soumettre la société à l'empire d'une loi quelconque. Par ces causes diverses, la loi qui naquit à cette époque n'eut rien de cc qui distingue d'ordinaire les législations développées dans des temps calmes et véritablement éclairés. Elle régla le désordre; elle fut comme un frein imposé au chaos ; et son autorité, née d'un pouvoir qui lui-même n'avoit point de racines dans la société, dut être, comme ce pouvoir, seulement appuyée sur la force; elle fut moins l'expression d'un droit éternel et incontestable, que le produit d'une nécessité dominatrice des choses humaines. Elle n'invoqua donc pas Dieu, parcequ'elle se seroit elle-même condamnée, parceque d'ailleurs Dieu étoit banni de la terre, et aussi parcequ'il n'appartenoit pas à des pouvoirs, utiles peut-être dans l'ordre mystérieux de la Providence, mais toutefois nés de l'usurpation et du crime, • de donner au monde l'exemple de cette soumission aux lois éternelles, qui fait la force des puissances de la terre, en donnant aux sujets la raison de leur obéissance. Enfin la loi fut athée, précisément parcequ'elle fut toute matérielle; le pouvoir qui la créa, destiné par Dieu à préparer la résurrection

de la société, ignoroit pourtant que la vie de la société est dans les doctrines, comme la vie de l'homme est dans l'intelligence. Il montra ce que peut la force jointe à toutes les puissances de la volonté, peut-être pour rendre plus frappante encore la puissance qui s'attache aux doctrines: et en effet le plus grand prodige de ce pouvoir fut bien d'avoir soumis toutes les volontés à la volonté de fer d'une seule loi. Que manqua-t-il donc à une force si inouïe, si ce n'est la force morale, qui domine les consciences par la vérité et la justice?

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Quoi qu'il en soit, Dieu, banni de la loi française, y laissoit un vide immense, qui, à peine aperçu dans des temps de corruption et d'égarement, devoit paroître d'autant plus effrayant, à mesure que les temps deviendroient plus calmes, et que les hommes, moins préoccupés d'objets matériels, s'accoutumeroient à sonder profondément les vrais besoins de la société. Aussi ce qui a été, dans ces derniers temps, un grand scandale en France, ce n'est pas d'avoir entendu dire que la loi étoit athée (c'étoit là l'énoncé d'un fait par malheur trop véritable), mais d'avoir entendu ajouter qu'elle doit l'être. Ici se montroit à découvert une doctrine sociale monstrueuse qu'il étoit du devoir de tous les moralistes de combattre hautement par tous les efforts de la raison et de l'expérience. Dire que la loi doit être athée, c'est dire qu'elle doit être cruelle, violente, impitoyable. Car, d'un côté, si Dieu n'est pas dans la loi, qui est-ce qui donne aux sujets la raison de leur soumission ? La loi sans Dieu ne présente évidemment aux sujets qu'une volonté capricieuse et despotique, dont ils ne comprennent point le droit, et qui, par conséquent, n'est à leurs yeux qu'une oppression. Et, en second lieu, si la loi ne peut donner aux sujets la raison de son commandement, il est bien clair qu'elle doit remplacer le droit qui lui manque par un excès de rigueur, et chercher à dompter par l'effroi les consciences, qu'elle ne sauroit enchaîner par la conviction; aussi

est-ce le comble de l'ignorance que de supposer que les peuples deviennent plus libres du moment où on les affranchit de la suprême autorité de la loi divine. Les hommes passionnés et jaloux de se livrer à tous leurs penchants peuvent bien imaginer un instant que c'est là véritablement de l'indépendance. Insensés! ils ne voient pas que plus ils sont affranchis des lois de la conscience, plus la loi humaine se doit à elle-même de soins et de précautions pour les assujettir à ses volontés. Les législateurs ne peuvent être véritablement indulgents qu'autant que les hommes sont fidèles à la règle éternelle des devoirs; par conséquent, la liberté des peuples se trouve comme dépendante de la loi divine: la première grandit ou diminue suivant que l'autre acquiert plus ou moins d'autorité ; et c'est précisément à cause de ce rapport nécessaire, mais rarement apprécié, que tous les hommes s'accordent à dire que la liberté est inconnue aux nations corrompues, c'est-à-dire affranchies de la loi de Dieu.

Quel homme insensé a donc pu dire que la loi doit être athée? Est-ce quelque ennemi de la liberté, quelqu'un de ces fanatiques défenseurs de la tyrannie, qui, remplis d'un fier mépris pour les sujets, voudroient les condamner à ramper sous la verge dominatrice d'un maître barbare et d'une loi non moins barbare que lui? Ce n'est qu'au nom du despotisme qu'une telle doctrine a pu être proférée. Les pouvoirs justes ont eu plus grand soin de la liberté des peuples; et c'est pour rendre la loi plus douce qu'ils la placent sous l'autorité divine, l'agrandissant ainsi aux yeux des sujets, et pouvant lui ôter de sa rigueur à mesure qu'ils lui donnent de la majesté.

Mais, sans renouveler ici une discussion épuisée sur un mot qui a retenti dans la France, et qui est aujourd'hui suffisamment apprécié, recueillons de ces observations un fait malheureux: c'est que la loi est athée; et ajoutons que c'est un mal

heur, que c'est un crime qu'elle le soit. La loi qui fut jugée suffisante pour sauver la société, dans un temps où l'on pouvoit croire que le salut de la société consistoit uniquement à rassembler ses ruines matérielles, et à leur redonner une certaine forme extérieure qui ressemblât à de l'ordre, ne sauroit être jugée complète dans un temps où l'on sent le besoin d'animer ces ruines sociales, jusqu'ici soumises seulement à quelques dispositions plus ou moins ingénieuses, mais toujours changeantes, et qu'il faut à la fin soumettre aux lois permanentes de l'intelligence, qui sont des lois de vie et de durée. Toute la discussion aujourd'hui doit donc être ramenée à ce grand objet, savoir, par quels moyens la loi française, d'athée qu'elle est, peut être remise en harmonie avec la religion, la première de toutes les lois sans aucun doute, non pas seulement dans l'ordre surnaturel d'une société à venir, mais dans l'ordre purement humain de la société politique.

Cette matière est grave, et intéresse les hommes d'état ; elle embrasse des questions qui touchent à la réforme de plusieurs parties de notre code. Ce n'est pas dans un seul article que nous pouvons espérer d'indiquer tout ce qui est relatif à ce grand objet; nous y reviendrons souvent, nous y reviendrons toutes les fois que nous verrons la puissance civile embarrassée de défendre sa propre existence, par le vice de la loi, qui ne semble considérer cette existence que sous le rapport matériel; nous y reviendrons toutes les fois que nous verrons la religion livrée aux caprices humains, comme une institution qui n'auroit rien de particulier, rien de sacré, rien de divin; toutes les fois que nous verrons ses droits augustes atteints par des mains profanes, sa majesté hors d'état d'être vengée par les lois actuelles, l'indépendance de ses ministres sacrifiée à la volonté des hommes, la sainteté de ses temples outragée avec une impunité écrite d'avance dans la loi, le mélange des deux pouvoirs, du pouvoir civil et du pouvoir spirituel, ne paroissant

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