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protestantes, si tant est qu'elles conservent encore un enseignement quelconque, se laisse pénétrer de toutes parts par les opinions philosophiques et démocratiques, contre lesquelles les gouvernements sont armés; et, reculant pas à pas devant elles, leur abandonne sans résistance une place' qu'elles auront bientôt couverte de ruines. Ce ne sont point là des théories; ce sont des faits éclatants, universels, dont l'Europe entière est témoin. Ne seront-ils qu'un vain spectacle? et, si l'on hésite après une pareille leçon, qu'est-ce donc qu'on attend pour savoir à quoi s'en tenir ! Certes, si l'on veut conserver la société par la religion, il faut une religion qui puisse ellemême se conserver : vous voyez par où elle périt, cherchez donc un appui là où elle reste toujours vivante, Effrayés de l'état de la société, les gouvernements s'écrient que le christianisme seul peut sauver le monde; et bientôt, plus effrayés encore de l'état du christianisme chez les peuples indépendants de l'autorité spirituelle, ils seront forcés de s'écrier aussi que l'autorité spirituelle, seule, peut sauver le christianisme.

Il est impossible que les souverainetés séparées de l'unité catholique ne sentent pas leur position contradictoire, tant qu'elles voudront en même temps protéger le protestantisme et combattre la révolution. Les gouvernements protestants de l'Allemagne, réveillés par les bruits menaçants qui grondent dans le sein de la confédération germanique, ont senti eux-mêmes la nécessité de se concerter pour prévenir l'explosion; et, comme les opinions protestantes, loin de pouvoir éteindre le feu du volcan, ne font au contraire que le nourrir, dès lors, condamnés à combattre, sans le secours des doctrines sociales, une révolution produite par des doctrines contraires, ils n'ont eu d'autre ressource que de combiner des mesures de haute police, pour contenir quelque temps encore les révolutionnaires déjà frémissants d'espérance. Mais qu'arrive-t-il ? tandis que ces moyens, purement administratifs, et qui par conséquent n'ont

aucune action sur les esprits, maintiennent une apparence d'ordre à la surface de la société, le protestantisme, se développant, sous leur protection, dans toutes ses conséquences, et abolissant graduellement le christianisme tout entier, anéantit, dans le cœur même de leurs peuples, le principe de vie. C'est ainsi qu'ils détruisent d'une main ce qu'ils cherchent vainement à édifier de l'autre. De là les aveux effrayants qui de temps en temps leur échappent; de là aussi ces vœux, quelquefois assez clairement exprimés, par lesquels ils semblent saluer, avec une tristesse mêlée d'espérance, le retour à l'ordre catholique, dont ils se sentent encore exilés.

La nécessité de l'autorité spirituelle, pour sauver la religion et l'état, n'est nulle part plus sensible qu'en Angleterre, à cause de la constitution véritablement monstrueuse de l'église anglicane. Comme protestante, elle est en opposition avec l'église catholique; comme église constituée, elle est en opposition avec les sectes dissidentes, qui l'assiègent de toutes parts. Pour combattre l'église catholique, elle a recours au principe commun des protestants, l'indépendance du jugement particulier ; pour se défendre contre les sectes non-conformistes, elle emploie, à sa manière, le principe catholique de l'autorité : de là tous les coups qu'elle porte aux sectes dissidentes retombent sur elle, en tant qu'église protestante; tous les coups qu'elle porte à l'église catholique retombent sur elle, en tant qu'église constituée. Contrainte de se détruire ainsi par les efforts mêmes qu'elle fait pour se soutenir, elle prévoit, avec une angoisse mal déguisée, le sort qui l'attend: une force irrésistible l'entraîne, et elle va se dissoudre en une multitude de sectes extravagantes, qui auront bientôt dévoré le peu de christianisme qu'elle conserve encore ; ou bien, honteuse de dissiper ces derniers restes avec ces troupeaux immondes, elle se souviendra enfin de la maison paternelle, d'où elle s'étoit enfuie il y a trois siècles, et se réfugiera, toute défaillante, dans le

sein de cette église éternellement pleine de vie, qui la ranimerait en l'embrassant.

Quant à la Russie, sa position est connue; sa religion, protestante dans son principe, puisqu'elle rejette l'autorité catholique, n'avoit point éprouvé de variations sensibles, tant que ce peuple, étranger aux mouvements de l'esprit humain, n'avoit pas subi l'action des discussions européennes. Mais depuis qu'elles y ont pénétré, la religion nationale, entrant en dissolution, se précipite dans le protestantisme (1). Cela arrive, parceque cela étoit nécessaire : l'autorité religieuse, qui s'y réduit de fait à la suprématie civile, étant parfaitement nulle, même dans l'opinion russe, il n'y reste, il n'y peut rester que le jugement particulier, indépendant, comme chez les protestants; et, comme chez ces derniers, l'anarchie des opinions, après s'être développée dans l'ordre religieux, passera dans l'ordre politique, et y consommera la révolution. Qui sait toutefois si son souverain, qui voit d'assez haut pour découvrir de loin ce qui se prépare, ne cherchera pas à prévenir la chute, en s'appuyant, non pas sur un vague christianisme, qui n'est qu'un mot, mais sur le christianisme réel, qu'il chercheroit en vain hors de l'église catholique. Déjà plus d'un de ses augustes prédécesseurs avoient formé des vœux, favorisé des projets de retour à l'unité religieuse, rompue, au huitième siècle, par l'orgueil d'un misérable; et cependant ils n'avoient pas vu ce que nous voyons, pour apprendre que l'autorité catholique est la base même du christianisme. Plus heureux que ses ancêtres, il étoit réservé à cette grande leçon les préjugés, qui leur cachoient cette vérité, ont dû bien s'éclaircir aujourd'hui; c'est la révolution même qui a déchiré le voile, et s'il n'est peut-être qu'entr'ouvert à ses yeux, du moins des intentions droites, digues de la vérité tout entière, permettent déjà l'espérance.

(1) Voyez le second volume de l'ouvrage intitulé Du pape, par M. de Maistre.

se

Toutefois, il faut l'avouer, les gouvernements séparés de l'unité se tranquillisent peut-être, en songeant que la révolution, qui a éclaté dans la plupart des états catholiques, a cependant respecté jusqu'ici la plupart des états protestants; mais cette espèce de phénomène, lorsqu'on en approfondit la principale cause, est au contraire ce qui doit les effrayer davantage. Dans les états catholiques, les doctrines anti-sociales se trouvant en présence de l'autorité spirituelle, qui les repoussoit inexorablement dans tous leurs principes et toutes leurs conséquences, sans exception, la lutte s'est engagée, pour ainsi parler, corps à corps, et l'ébranlement a dû suivre. Au contraire, dans les états soustraits à l'autorité spirituelle, les doctrines anarchiques qui reposent sur le même principe que le protestantisme, développent sans résistance dans les esprits; elles tolèrent des institutions qui protégent leur base, Patientes, pour ainsi parler, parcequ'elles s'y sentent immortelles dans leur principe, elles comprennent que rien ne les presse de compromettre, par une révolution trop prématurée, la certitude de leur triomphe; elles affermissent paisiblement leur empire, jusqu'au moment où, toute croyance étant détruite, l'ordre social, miné dans ses fondements, s'écroulera de lui-même. Aussi, après les secousses d'une révolution, les gouvernements catholiques retrouvent, dans la doctrine sur laquelle ils reposent, une base pour se relever; tandis que les gouvernements protestants, une fois soumis à l'épreuve d'une révolution, ne retrouveront plus aucun principe de restauration, parceque la révolution ne s'y sera opérée que par la destruction complète du christianisme (1). Sous ce rapport, les peuples catholiques actuels

(1) L'Angleterre, qui a survécu à sa révolution, ne peut fournir une objection à cet égard. De quoi s'agit-il? De savoir si la société, dans les états protestants, ne tombera pas dans une dissolution complète, lorsque le protestantisme, pleinement développé, y aura aboli le christianisme. Or, la révo lution de l'Angleterre n'a pas été produite par le protestantisme pleinement développé, mais par le protestantisme naissant, et encore plein de croyances,

peuvent être comparés à un malade vigoureux qui ressent des crises violentes, parceque le principe vital lutte avec force. contre le mal qu'il peut vaincre; et les peuples protestants ressemblent à un infortuné, dont une maladie de consomption épuise doucement la vie, et qui, tranquille sur son état, la veille même de sa mort, ne sera détrompé que dans les convulsions de l'agonie.

Ainsi, en considérant l'état de la société, il est manifeste que les gouvernements de l'Europe, qui veulent sauver l'ordre social par le christianisme, ont à opter entre un christianisme individuel tel que le protestantisme l'a fait, essentiellement indépendant, et par conséquent nécessairement anarchique, et qui, après s'être transformé, suivant la disposition des esprits, en un mysticisme turbulent ou une mortelle indifférence, finit par se perdre dans l'athéisme; et un christianisme général, tel que l'église catholique le conserve, éminemment social, parcequ'il soumet les esprits à des croyances et à des devoirs comet assure ainsi, par l'obéissance à l'autorité spirituelle, la base de l'ordre politique. Il n'y a point de milieu; il faut de toute nécessité choisir l'un ou l'autre ; leur séparation est plus clairement déterminée que jamais; toutes les nuances, qui pouvoient les confondre à certains égards aux yeux des esprits peu clairvoyants, ont disparu; l'un et l'autre se montre tel qu'il est, avec les éléments qui lui sont propres; la question est réduite à son expression la plus simple, et l'ordre social, devenu aujourd'hui un problème, attend enfin une dernière solution.

muns,

X.

qui renversa l'ordre établi pour s'assurer le pouvoir. Depuis cette époque, l'Angleterre, dans le sein de laquelle il marche rapidement à son terme, rentre dans la question générale, commune à tous les gouvernements protestants, et subira la même destinée.

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