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qu'il était plus facile de poser que de modérer; la plupart de ces crédits avaient disparu. Aussitôt que ces théoriciens de la révolution spéculative s'étaient aperçus que le torrent les emportait, ils avaient essayé de remonter le courant, où ils étaient sortis de son lit: les uns s'étaient rangés de nouveau autour du trône, les autres avaient émigré après les journées des 5 et 6 octobre.. Quelquesuns, les plus fermes, restaient à leur place dans l'Assemblée nationale; ils combattaient sans espoir, mais glorieusement, pour une cause perdue; ils s'efforçaient de maintenir au moins un pouvoir monarchique, et abandonnaient au peuple, sans les lui disputer, les dépouilles de la noblesse et de l'Église. De ce nombre étaient Cazalès, l'abbé Maury, Malouet et ClermontTonnerre. C'étaient les hommes remarquables de ce parti mourant.

Clermont - Tonnerre et Malouet étaient plutôt des hommes d'État que des orateurs; leur parole sûre et réfléchie n'impressionnait que la raison. Ils cherchaient l'équilibre entre la liberté et la monarchie, et croyaient l'avoir trouvé dans le système anglais des deux chambres. Les modérés des deux partis écoutaient avec respect leur voix; comme tous les demi-partis et les demi-talents, ils n'excitaient ni haine ni colère, mais les événements ne les écoutaient pas et marchaient en les écartant vers des résultats plus absolus. Maury et Cazalès, moins philosophes, étaient les deux athlètes du côté droit; leur nature était différente, leur puissance oratoire presque égale. Maury représentait le clergé, dont il était membre; Cazalès la noblesse, dont il faisait partie. L'un, c'était Maury, façonné de bonne heure aux luttes de la polémique sacrée, avait aiguisé et poli dans la chaire l'élo

quence qu'il devait porter à la tribune. Sorti des derniers rangs du peuple, il ne tenait à l'ancien régime que par son habit; il défendait la religion et la monarchie, comme deux textes qu'on avait imposés à ses discours. Sa conviction n'était qu'un rôle : tout autre rôle eût aussi bien convenu à sa nature. Mais il soutenait avec un admirable courage et un beau caractère celui que sa situation lui faisait. Nourri d'études sérieuses, doué d'une élocu→ tion abondante, vive et colorée, ses harangues étaient des traités complets sur les matières qu'il discutait. Seul rival de Mirabeau, il ne lui manquait pour l'égaler qu'une cause plus nationale et plus vraie; mais le sophisme des abus de l'ancien régime ne pouvait pas revêtir des couleurs plus spécieuses que celles dont Maury colorait l'ancien régime. L'érudition historique et l'érudition sacrée lui fournissaient ses arguments. La hardiesse de son caractère et de son langage lui inspirait de ces mots qui vengent même d'une défaite. Sa belle figure, sa voix sonore, son geste impérieux, l'insouciance et la gaieté avec lesquelles il bravait les tribunes arrachaient souvent les applaudissements même à ses ennemis. Le peuple, qui sentait sa force invincible, s'amusait d'une résistance impuissante. Maury était pour lui comme ces gladiateurs qu'on aime à voir combattre, bien qu'on sache qu'ils doivent mourir. Une seule chose manquait à l'abbé Maury : l'autorité morale de la parole. Ni sa naissance, ni sa foi, ni ses mœurs n'inspiraient le respect à ceux qui l'écoutaient. On sentait l'acteur dans l'homme, l'avocat dans la cause; l'orateur et la parole n'étaient pas un. Otez à l'abbé Maury l'habit de son ordre, il eût changé de côté sans effort et siégé parmi les novateurs. De sem- blables orateurs ornent un parti, mais ils ne le sauvent pas.

XVI.

Cazalès était un de ces hommes qui s'ignorent euxmêmes jusqu'à l'heure où les circonstances leur révèlent un génie, en leur assignant un devoir. Officier obscur dans les rangs de l'armée, le hasard qui le jeta à la tribune lui découvrit qu'il était orateur. Il ne chercha pas quelle cause il défendrait : noble, la noblesse; royaliste, le roi; sujet, le trône. Sa situation fit sa doctrine. Il porta dans l'Assemblée le caractère et les vertus de son uniforme. La parole ne fut pour lui qu'une épée de plus; il la voua avec un dévouement chevaleresque à la cause de la monarchie. Paresseux, peu instruit, son rapide bon sens suppléa l'étude. Sa foi monarchique ne fut point le fanatisme du passé : elle admettait les modifications admises par le roi lui-même, et compatibles avec l'inviolabilité du trône et l'action du pouvoir exécutif. De Mirabeau à lui il n'y avait pas loin dans le dogme, mais l'un voulait la liberté en aristocrate, l'autre la voulait en démocraté. L'un s'était jeté au milieu du peuple, l'autre s'attachait aux marches du trône. Le caractère de l'éloquence de Cazalès était celui d'une cause désespérée. Il protestait plus qu'il ne discutait, il opposait aux triomphes violents du côté gauche ses défis ironiques, ses indignations amères qui subjuguaient un moment l'admiration, mais qui ne ramenaient pas la victoire. La noblesse lui dut de tomber avec gloire et le trône avec majesté, et par lui l'éloquence eut quelque chose de l'héroïsme.

Derrière ces deux hommes il n'y avait rien qu'un parti aigri par l'infortune, découragé par son isolement dans

la nation, odieux au peuple, inutile au trône, se repaissant des plus vaines illusions et ne conservant de la puissance abattue que le ressentiment de l'injure et l'insolence qui provoquent de nouvelles humiliations. Les espérances de ce parti se portaient déjà tout entières sur l'intervention armée des puissances étrangères. Louis XVI n'était plus à ses yeux qu'un roi prisonnier que l'Europe viendrait délivrer. Le patriotisme et l'honneur étaient pour eux à Coblentz. Vaincu par le nombre, dépourvu de chefs habiles qui savent immortaliser les retraites, sans force contre l'esprit du temps, et se refusant à transiger, le côté droit ne pouvait plus en appeler qu'à la vengeance; sa politique n'était plus qu'une imprécation.

Le côté gauche venait de perdre à la fois son chef et son modérateur dans Mirabeau; l'homme national n'était plus. Restaient les hommes de parti, c'étaient Barnave et les deux Lameth. Ces hommes, humiliés de l'ascendant de Mirabeau, avaient essayé, longtemps avant sa mort, de balancer la souveraineté de son génie par l'exagération de leurs doctrines et de leurs discours. Mirabeau n'était que l'apôtre; ils avaient voulu être les factieux du temps. Jaloux de sa personne, ils avaient cru effacer ses talents par la supériorité de leur popularisme. Les médiocrités croient égaler le génie en dépassant la raison. Une scission de trente à quarante voix s'était opérée dans le côté gauche. Barnave et les Lameth les inspiraient. Le club des amis de la Constitution, devenu le club des Jacobins, leur répondait au dehors. L'agitation populaire était soulevée par eux, contenue par Mirabeau, qui ralliait contre eux la gauche, le centre et les membres raisonnables du côté droit. Ils conspiraient, ils cabalaient, ils fomentaient les divisions dans

l'opinion bien plus qu'ils ne gouvernaient l'Assemblée. Mirabeau mort leur laissait la place vide.

Les Lameth, hommes de cour, élevés par les bontés de la famille royale, comblés des faveurs et des pensions du roi, avaient ces éclatantes défections de Mirabeau sans avoir l'excuse de ses griefs contre la monarchie; cette défection était un de leurs titres à la faveur populaire. Hommes habiles, ils portaient dans la cause nationale le manége des cours où ils avaient été nourris. Leur amour de la Révolution était pourtant désintéressé et sincère; mais leurs talents distingués n'égalaient pas leur ambition. Écrasés par Mirabeau, ils ameutaient contre lui tous ceux que l'ombre de ce grand homme éclipsait avec eux. Ils cherchaient un rival à lui opposer, ils ne trouvaient que des envieux. Barnave se présenta, ils l'entourèrent, ils l'applaudirent, ils l'enivrèrent de sa propre importance. Ils lui persuadèrent un moment que des phrases étaient de la politique, et qu'un rhéteur était un homme d'État.

Mirabeau fut assez grand pour ne pas le craindre et assez juste pour ne pas le mépriser. Barnave, jeune avocat du Dauphiné, avait débuté avec éclat dans ces conflits entre le parlement et le trône, qui avaient agité sa province et exercé sur de petits théâtres l'éloquence des hommes de barreau. Envoyé à trente ans aux étatsgénéraux avec Mounier, son patron et son maître, il avait promptement abandonné Mounier et le parti monarchique pour se signaler dans le parti démocratique. Un mot sinistre échappé, non de son cœur, mais de ses lèvres, pesait comme un remords sur sa conscience. « Le >> sang qui coule est-il donc si pur? » s'était-il écrié au premier meurtre de la Révolution. Ce mot l'avait marqué

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