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autant qu'un trône dans l'opinion de l'Europe. C'était le duc de Brunswick, élève du grand Frédéric, héritier présumé de sa science et de ses inspirations militaires, et proclamé d'avance par la voix publique généralissime dans la guerre future contre la France. Enlever à l'empereur et au roi de Prusse ce chef de leurs armées, c'était enlever à l'Allemagne la confiance et la victoire.

Le nom du duc de Brunswick était un prestige qui couvrait l'Allemagne d'une sorte de terreur et d'inviolabilité. Madame de Staël et son parti le tentèrent. Cette négociation secrète fut concertée entre madame de Staël, M. de Narbonne, M. de La Fayette et M. de Talleyrand. M. de Custine, fils du général de ce nom, fut choisi pour porter au duc de Brunswick les paroles du parti constitutionnel. Le jeune négociateur était heureusement préparé pour cette mission. Spirituel, séduisant, instruit, fanatique d'admiration pour la tactique prussienne et pour le duc de Brunswick, dont il était allé prendre les leçons à Berlin, il inspirait d'avance confiance à ce prince. Il lui porta l'offre du titre de généralissime des armées françaises, d'un traitement de trois millions et d'un établissement en France équivalent à ses possessions et à son rang dans l'empire. La lettre qui contenait ces engagements était signée du ministre de la guerre et de Louis XVI lui-même.

M. de Custine partit pour Brunswick au mois de janvier. A son arrivée il fit remettre sa lettre au duc. Quatre jours s'écoulèrent avant qu'un entretien lui fût accordé. Le cinquième jour, le duc l'admit à une audience particulière. Il exprima à M. de Custine, avec une franchise militaire, l'orgueil et la reconnaissance que le prix attaché à son mérite par la France était fait pour

lui inspirer. << Mais, » ajouta-t-il, « mon sang est à » l'Allemagne et ma foi est à la Prusse. Mon ambition >>> est satisfaite d'être la seconde personne de cette mo>> narchie qui m'a adopté. Je ne changerai pas, pour une » gloire aventureuse sur le théâtre mouvant des révolu>>tions, la haute et solide position que ma naissance, >> mon devoir et quelque gloire acquise me font dans » mon pays. » A la fin de cette conversation, M. de Custine, trouvant le prince inébranlable, découvrit son ultimatum et fit briller à ses yeux l'éventualité de la couronne de France, si elle venait à tomber du front de Louis XVI, ramassée par les mains d'un général victo– rieux. Le duc parut ébloui et congédia M. de Custine sans lui ôter tout espoir d'accéder à un pareil prix. Le négociateur partit triomphant. Cependant quelque temps après, le duc, soit duplicité, soit repentir, soit prudence, répondit par un refus formel à l'une et à l'autre de ces propositions. Il adressa sa réponse à Louis XVI et non au ministre, et cet infortuné roi connut ainsi le dernier mot du parti constitutionnel et combien tenait peu sur sa tête une couronne qu'on offrait déjà en perspective à l'ambition d'un ennemi.

LIVRE SIXIÈME.

Aspect de l'Assemblée législative à ses premières séances.

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de la royauté y est mis en question. Le roi se présente à l'Assemblée. - Il y est reçu avec applaudissements. Difficultés de l'Assemblée. Le clergé, l'émigration, la guerre. Une partie du clergé se déclare contre le serment civil. Discours de Fauchet, prêtre assermenté. — Réponse de Torné, évêque constitutionnel de Bourges. Ducos demande l'impression de ce discours. Gensonné conseille la tolérance Isnard la combat aux applaudissements des Girondins. Décret contre les prêtres non assermentés. Discours de Brissot contre les puissances et contre les émigrés. -Discours de Condorcet dans le même sens.. Vergniaud monte à la tribune. -Son portrait. Discours de Vergniaud. - Discours d'Isnard. Décret contre les émigrés. Ces deux décrets consternent le roi et son conseil. Lettre d'André Chénier sur la liberté des cultes. Lutte des journaux girondins et jacobins contre les Feuillants. La Fayette résigne le commandement de la garde nationale. Bailly, maire de Paris, se retire à la même époque. Pétion est nommé à sa place. Danton, comme substitut du procureur de la commune, commence sa fortune populaire.

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I.

Telles étaient les dispositions réciproquement menaçantes de la France et de l'Europe, au moment où l'Assemblée constituante, après avoir proclamé les principes, laissait à d'autre le soin de les défendre et de les appliquer. C'était comme le législateur qui se retirait dans son repos, pour contempler ses lois en activité. La grande pensée de la France abdiquait, pour ainsi dire, avec l'Assemblée constituante. Le gouvernement tombait de haut entre les mains de l'inexpérience ou de la passion d'un nouveau peuple. Du 29 septembre au 1er octobre, il y eut comme un changement de règne. L'Assemblée lé

gislative se trouva, ce jour-là, face à face avec un roi sans autorité, au-dessus d'un peuple sans modération. On sentit, dès sa première séance, l'oscillation désordonnée d'un pouvoir sans tradition et sans contre-poids, qui cherche son aplomb dans sa propre sagesse, et qui, flottant de l'insulte au repentir, se blesse lui-même avec l'arme qu'on lui a mise dans la main.

II.

Une foule immense s'était portée à ses premières séances. L'aspect extérieur de l'Assemblée était changé. Presque tous les cheveux blancs avaient disparu. On eût dit que la France avait rajeuni dans une nuit. L'expression des physionomies, les traits, les gestes, les costumes, l'attitude des membres de l'Assemblée n'étaient plus les mêmes. Cette fierté de la noblesse française empreinte dans le regard et sensible dans les manières, cette dignité du clergé et de la magistrature, cette gravité austère des premiers députés du tiers état avaient tout à coup fait place aux représentants d'un peuple nouveau, dont la confusion et la turbulence annonçaient l'invasion au pouvoir plutôt que l'habitude et la possession du gouvernement. L'extrême jeunesse s'y faisait remarquer en foule. Quand le président d'âge, pour former le bureau provisoire, somma les députés qui n'avaient pas encore accompli leur vingt-sixième année de se présenter, soixante jeunes gens se pressèrent autour de la tribune et se disputèrent le rôle de secrétaires de l'Assemblée. Cette jeunesse des représentants de la nation inquiéta les uns, réjouit les autres. Si, d'un côté, une telle représentation n'offrait rien de cette maturité calme et de cette autorité du temps que les législateurs antiques recherchaient dans

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