Page images
PDF
EPUB

rons pour notre roi Marie-Thérèse!» Sa fille aussi avait le cœur d'un roi. A son arrivée en France, sa beauté avait ébloui le royaume; cette beauté était dans tout son éclat. Elle était grande, élancée, souple: une véritable fille du Tyrol. Les deux enfants qu'elle avait donnés au trône, loin de la flétrir, ajoutaient à l'impression de sa personne ce caractère de majesté maternelle qui sied bien à la mère d'une nation. Le pressentiment de ses malheurs, le souvenir des scènes tragiques de Versailles, les inquiétudes. de chaque jour pâlissaient seulement un peu sa première fraîcheur. La dignité naturelle de son port n'enlevait rien à la grâce de ses mouvements; son cou, bien détaché des épaules, avait ces magnifiques inflexions qui donnent tant d'expression aux attitudes. On sentait la femme sous la reine, la tendresse du cœur sous la majesté du sort. Ses cheveux blond-cendré étaient longs et soyeux; son front, haut et un peu bombé, venait se joindre aux tempes par ces courbes qui donnent tant de délicatesse et tant de sensibilité à ce siége de la pensée ou de l'âme chez les femmes; les yeux de ce bleu-clair qui rappelle le ciel du Nord ou l'eau du Danube, le nez aquilin, les narines bien ouvertes et légèrement renflées, où les émotions palpitaient, signe du courage; une bouche grande, des dents éclatantes, des lèvres autrichiennes, c'est-à-dire saillantes ét découpées; le tour du visage ovale, la physionomie mobile, expressive, passionnée; sur l'ensemble de ces traits, cet éclat qui ne se peut décrire, qui jaillit du regard, de l'ombre, des reflets du visage, qui l'enveloppe d'un rayonnement semblable à la vapeur chaude et colorée où nagent les objets frappés du soleil : dernière expression de la beauté qui lui donne l'idéal, qui la rend vivante et qui la change en attrait. Avec tous ces charmes, une âme al

térée d'attachement, un cœur facile à émouvoir, mais ne demandant qu'à se fixer, un sourire pensif et intelligent qui n'avait rien de banal, des intimités, des préférences, parce qu'elle se sentait digne d'amitiés. Voilà Marie-Antoinette comme femme.

XIII.

C'était assez pour faire la félicité d'un homme et l'ornement d'une cour. Pour inspirer un roi indécis et pour faire le salut d'un État dans des circonstances difficiles, il fallait plus : il fallait le génie du gouvernement; la reine ne l'avait pas. Rien n'avait pu la préparer au maniement des forces désordonnées qui s'agitaient autour d'elle; le malheur ne lui avait pas donné le temps de la réflexion. Accueillie avec enivrement par une cour perverse et une nation ardente, elle avait dû croire à l'éternité de ces sentiments. Elle s'était endormie dans les dissipations de Trianon. Elle avait entendu les premiers bouillonnements de la tempête sans croire au danger; elle s'était fiée à l'amour qu'elle inspirait et qu'elle se sentait dans le cœur. La cour était devenue exigeante, la nation hostile. Instrument des intrigues de la cour sur le cœur du roi, elle avait d'abord favorisé, puis combattu toutes les réformes qui pouvaient prévenir ou ajourner les crises. Sa politique n'était que de l'engouement, son système n'était que son abandon alternatif à tous ceux qui lui promettaient le salut du roi. Le comte d'Artois, prince jeune, chevaleresque dans les formes, avait pris de l'empire sur son esprit. Il se fiait à la noblesse; il parlait de son épée. Il riait de la crise. Il dédaignait ce bruit de paroles, il cabalait contre les ministres, il flétrissait les transactions. La reine, enivrée d'adulations par cet entourage, pous

sait le roi à reprendre le lendemain ce qu'il avait concédé la veille. Sa main se sentait dans tous les tiraillements du gouvernement. Ses appartements étaient le foyer d'une conspiration perpétuelle contre l'esprit nouveau; la nation finit par s'en apercevoir et par la haïr. Son nom devint pour le peuple le fantôme de la contre-révolution. On est prompt à calomnier ce qu'on craint. On la peiguait, dans d'odieux pamphlets, sous les traits d'une Messaline. Les bruits les plus infâmes circulaient; les anecdotes les plus controuvées furent répandues. On pouvait l'accuser de tendresse; de dépravation, jamais. Belle, jeune et adorée, si son cœur ne resta pas insensible, ses sentiments du moins n'éclatèrent jamais en scandales. Le cœur d'une femme, fût-elle reine, a son inviolabilité. Les sentiments ne deviennent de l'histoire que quand ils éclatent en publicité.

XIV.

Aux journées des 5 et 6 octobre, la reine s'aperçut trop tard de l'inimitié du peuple ; la rancune dut envahir son cœur. L'émigration commença, elle la vit avec faveur. Tous ses amis étaient à Coblentz; on lui supposait des complicités avec eux, ces complicités étaient réelles. Les fables d'un comité autrichien furent semées dans le peuple. On accusa Marie-Antoinette de conjurer la perte de la nation, qui demandait à chaque instant sa tête. Le peuple soulevé a besoin de haïr quelqu'un, on lui livra la reine. Son nom fut chanté dans ses colères. Une femme fut choisie pour l'ennemie de toute une nation. Sa fierté dédaigna de la détromper. Elle s'enferma dans son ressentiment et dans sa terreur. Emprisonnée dans le palais des Tuileries, elle ne pouvait mettre la tête à la fenêtre

sans provoquer l'outrage et entendre l'insulte. Chaque bruit de la ville lui faisait craindre une insurrection. Ses journées étaient mornes, ses nuits agitées; son supplice fut de toutes les heures pendant deux ans ; il se multipliait dans son cœur par son amour pour ses deux enfants et par ses inquiétudes sur le roi. Sa cour était vide, elle ne voyait plus que des autorités ombrageuses, des ministres imposés et M. de La Fayette, devant qui elle était obligée de composer même son visage. Ses appartements recélaient la délation. Ses serviteurs étaient ses espions. Il fallait les tromper pour se concerter avec le peu d'amis qui lui restaient. Des escaliers dérobés, des corridors sombres conduisaient la nuit dans les combles du château les conseillers secrets qu'elle appelait autour d'elle. Ces conseils ressemblaient à des conjurations; elle en sortait sans cesse avec des pensées différentes; elle en assiégeait l'âme du roi, dont la conduite contractait ainsi l'incohérence d'une femme aux abois.

Mesures de forces, tentatives de corruption sur l'Assemblée, abandon sincère à la constitution, essais de résistance, attitude de dignité royale, repentir, faiblesse, terreur et fuite, tout était conçu, tenté, préparé, arrêté, abandonné le même jour. Les femmes, si sublimes dans le dévouement, sont rarement capables de l'esprit de suite et d'imperturbabilité nécessaire à un plan politique. Leur politique est dans le cœur; leur passion est trop près de leur raison. De toutes les vertus du trône, elles n'ont que le courage; elles sont souvent des héros, rarement des hommes d'État. La reine en fut un exemple de plus. Elle fit bien du mal au roi; douée de plus d'esprit, de plus d'âme, de plus de caractère que lui, sa supériorité ne servit qu'à lui inspirer confiance dans de

funestes conseils. Elle fut à la fois le charme de ses malheurs et le génie de sa perte; elle le conduisit pas à jusqu'à l'échafaud, mais elle y monta avec lui.

XV.

pas

Le côté droit, dans l'Assemblée nationale, se composait des ennemis naturels du mouvement: la noblesse et le haut clergé. Tous cependant ne l'étaient pas au même degré ni au même titre. Les séditions naissent en bas, les révolutions naissent en haut; les séditions ne sont que les colères du peuple, les révolutions sont les idées d'une époque. Les idées commencent dans la tête de la nation. La Révolution française était une pensée généreuse de l'aristocratie. Cette pensée était tombée entre les mains du peuple, qui s'en était fait une arme contre la noblesse, contre le trône et contre la religion. Philosophie dans les salons, elle était devenue révolte dans les rues. Cependant toutes les grandes maisons du royaume avaient donné des apôtres aux premiers dogmes de la Révolution ; les états-généraux, ancien théâtre de l'importance et des triomphes de la haute noblesse, avaient tenté l'ambition de ses héritiers; ils avaient marché à la tête des réformateurs. L'esprit de corps n'avait pas pu les retenir, quand il avait été question de se réunir au tiers état. Les Montmorency, les Noailles, les La Rochefoucauld, les Clermont-Tonnerre, les Lally-Tolendal, les Virieu, les d'Aiguillon, les Lauzun, les Montesquiou, les Lameth, les Mirabeau, le duc d'Orléans, le premier prince du sang, le comte de Provence, frère du roi, roi lui-même depuis sous le nom de Louis XVIII, avaient donné l'impulsion aux innovations les plus hardies. Ils avaient emprunté chacun leur crédit de quelques heures à des principes

« PreviousContinue »