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aurait voulu que l'une conquit sans violences et que l'autre concédát sans ressentiment. C'étaient les philosophes de la Révolution. Mais ce n'était pas l'heure de la philosophie, c'était l'heure de la victoire. Les deux idées en présence voulaient des combattants et non des juges : elles écrasaient ces hommes en s'entre-choquant. Dénombrons les principaux chefs de ces divers partis et faisons-les connaître avant de les voir agir.

Le roi Louis XVI n'avait alors que trente-sept ans ; ses traits étaient ceux de sa race, un peu alourdis par le sang allemand de sa mère, princesse de la maison de Saxe. De beaux yeux bleus largement ouverts plus limpides qu'éblouissants, un front arrondi fuyant en arrière, un nez romain mais dont les narines molles et lourdes altéraient un peu l'énergie de la forme aquiline, une bouche souriante et gracieuse dans l'expression, des lèvres épaisses mais bien découpées, une peau fine, une carnation riche et colorée quoiqu'un peu flasque, la taille courte, le corps gras, l'attitude timide, la marche incertaine; au repos un balancement inquiet du corps portant alternativement sur une hanche et sur l'autre sans avancer, soit que ce mouvement fût contracté en lui par cette habitude d'impatience qui saisit les princes forcés à donner de longues audiences, soit que ce fût le signe physique du perpétuel balancement d'un esprit indécis; dans la personne une expression de bonhomie peu royale qui prêtait autant au premier coup d'œil à la moquerie qu'à la vénération, et que ses ennemis travestirent avec une perversité impie pour montrer au peuple dans les traits du prince le symbole des vices qu'ils voulaient immoler dans la royauté; en tout quelque ressemblance avec la physionomie impériale des derniers césars à l'époque de la

décadence des choses et des races: la douceur d'Antonin dans l'obésité de Vespasien; voilà l'homme.

X.

Ce jeune prince avait été élevé dans une séquestration complète de la cour de son aïeul. Cette atmosphère qui avait infecté tout le siècle de Louis XV n'avait pas atteint son héritier. Pendant que Louis XV changeait sa cour en lieu suspect, son petit-fils, élevé dans un coin du palais de Meudon par des maitres pieux et éclairés, grandissait dans le respect de son rang, dans la terreur du trône et dans un amour religieux du peuple qu'il était appelé à gouverner. L'âme de Fénelon semblait avoir traversé deux générations de rois, dans ce palais où il avait élevé le duc de Bourgogne, pour inspirer encore l'éducation de son descendant. Ce qui était le plus près du vice couronné sur le trône était peut-être ce qu'il y avait de plus pur en France. Si le siècle n'eût pas été aussi dissolu que le roi, il aurait tourné là son amour. Il en était venu jusqu'à ce point de corruption où la pureté paraît un ridicule, et où on réserve le mépris pour la pudeur.

Marié à seize ans à une fille de Marie-Thérèse d'Autriche, le jeune prince avait continué jusqu'à son avénement au trône cette vie de recueillement domestique, d'étude et d'isolement. Une paix honteuse assoupissait l'Europe. La guerre, cet exercice des princes, n'avait pas pu le former au contact des hommes et à l'habitude du commandement. Les champs de bataille, qui sont le théâtre de ces grands acteurs, ne l'avaient jamais exposé aux regards de son peuple. Aucun prestige, excepté celui de sa naissance, ne jaillissait de lui. L'horreur qu'on avait pour son aïeul fit seule sa popularité. Il eut l'estime de son

pas

peuple, jamais sa faveur. Probe et instruit, il appela à lui la probité et les lumières dans la personne de Turgot. Mais, avec le sentiment philosophique de la nécessité des réformes, le prince n'avait que l'âme du réformateur : il n'en avait ni le génie ni l'audace. Ses hommes d'État plus que lui. Ils soulevaient toutes les questions sans les déplacer; ils accumulaient les tempêtes sans leur donner une impulsion. Les tempêtes devaient finir par se tourner. contre eux. De M. de Maurepas à M. Turgot, de M. Turgot à M. de Calonne, de M. de Calonne à M. Necker, de M. Necker à M. de Malesherbes, il flottait d'un intrigant à un honnête homme et d'un banquier à un philosophe; l'esprit de système et de charlatanisme suppléait mal à l'esprit de gouvernement. Dieu, qui avait donné beaucoup d'hommes de bruit à ce règne, lui avait refusé un homme d'État; tout était promesses et déception. La cour criait, l'impatience saisissait la nation, les oscillations devenaient convulsives Assemblée des notables, états-généraux, Assemblée nationale, tout avait éclaté entre les mains du roi; une révolution était sortie de ses bonnes intentions plus ardente et plus irritée que si elle était sortie de ses vices. Aujourd'hui le roi avait cette révolution en face dans l'Assemblée nationale; dans ses conseils aucun homme capable, non pas seulement de lui résister, mais de la comprendre. Les hommes vraiment forts aimaient mieux être les ministres populaires de la nation que les boucliers du roi au moment où nous sommes.

XI.

M. de Montmorin était dévoué au roi, mais sans crédit sur la nation. Le ministère n'avait ni initiative ni résistance : l'initiative était aux Jacobins et le pouvoir exécutif

L

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dans les émeutes. Le roi, sans organe, sans attributions et sans force, n'avait que l'odieuse responsabilité de l'anarchie. Il était le but contre lequel tous les partis dirigeaient la haine ou la fureur du peuple. Il avait le privilége de toutes les accusations. Pendant que, du haut de la tribune, Mirabeau, Barnave, Pétion, Lameth, Robespierre menaçaient éloquemment le trône, des pamphlets infâmes, des journaux factieux peignaient le roi sous les traits d'un tyran mal enchainé qui s'abrutissait dans le vin, qui s'asservissait aux caprices d'une femme déhontée, et qui conspirait au fond de son palais avec les ennemis de la nation. Dans le sentiment sinistre de sa chute accélérée, la vertu stoïque de ce prince suffisait au calme de sa conscience, mais ne suffisait pas à ses résolutions. Au sortir de son conseil des ministres, où il accomplissait loyalement les conditions constitutionnelles de son rôle, il cherchait, tantôt dans l'amitié de serviteurs devoués, tantôt dans la personne de ses ennemis mêmes admis furtivement à ses confidences, des inspirations plus intimes. Les conseils succédaient aux conseils, et se contredisaient dans son oreille comme leurs résultats se contredisaient dans ses actes. Ses ennemis lui suggéraient des concessions et lui promettaient une popularité qui s'enfuyait de leurs mains dès qu'ils voulaient la lui livrer. La cour lui prêchait la force qu'elle n'avait que dans ses rêves; la reine, le courage qu'elle se sentait dans l'âme; les intrigants, la corruption; les timides, la fuite : il essayait tour à tour et tout à la fois tous ces partis. Aucun n'était efficace: le temps des résolutions utiles était passé. La crise était sans remède. Entre la vie et le trône il fallait choisir. En voulant tenter de conserver tous les deux, il était écrit qu'il perdrait l'un et l'autre.

Quand on se place par la pensée dans la situation de Louis XVI, et qu'on se demande quel. est le conseil qui aurait pu le sauver, on cherche et on ne trouve pas. Il y a des circonstances qui enlacent tous les mouvements d'un homme dans un tel piége que, quelque direction qu'il prenne, il tombe dans la fatalité de ses fautes ou dans celle de ses vertus. Louis XVI en était là. Toute la dépopularisation de la royauté en France, toutes les fautes des administrations précédentes, tous les vices des rois, toutes les hontes des cours, tous les griefs du peuple avaient pour ainsi dire abouti sur sa tête et marqué son front innocent pour l'expiation de plusieurs siècles. Les époques ont leurs sacrifices, comme les religions. Quand elles veulent renouveler une institution qui ne leur va plus, elles entassent sur l'homme, en qui cette institution se personnifie, tout l'odieux et toute la condamnation de l'institution elle-même; elles font de cet homme une victime qu'elles immolent au temps: Louis XVI était cette victime innocente, mais chargée de toutes les iniquités des trônes, et qui devait être immolée en châtiment de la royauté. Voilà le roi.

XII.

La reine semblait avoir été créée par la nature pour contraster avec le roi, et pour attirer à jamais l'intérêt et la pitié des siècles sur un de ces drames d'État qui ne sont pas complets quand les infortunes d'une femme ne les achèvent pas. Fille de Marie-Thérèse, elle avait commencé sa vie dans les orages de la monarchie autrichienne. Elle était sœur de ces enfants que l'impératrice tenait par la main quand elle se présenta en suppliante devant les fidèles Hongrois, et que ces troupes s'écrièrent : « Mou

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