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>> ni les limites constitutionnelles. Et vous, sire, vous avez >> presque tout fait: en acceptant la constitution vous avez >> fini la Révolution. >>

Le roi sortit au bruit des acclamations. On eût dit que l'Assemblée nationale était pressée de déposer la responsabilité des événements qu'elle ne se sentait plus la force de maîtriser. « L'Assemblée nationale constituante dé» clare, dit Target son président, que sa mission est >> finie, et qu'elle termine en ce moment ses séances. »

Le peuple, qui se pressait en foule autour du Manége et qui voyait avec peine la Révolution abdiquer entre les mains du roi, insulta, à mesure qu'il les reconnaissait, les membres du côté droit, et mème Barnave; ils recueillirent, dès le premier jour, l'ingratitude qu'ils avaient si souvent fomentée. Ils se séparèrent dans la tristesse et dans le découragement.

Quand Robespierre et Pétion sortirent, le peuple les couronna de feuilles de chêne et détela les chevaux de leurs voitures pour les ramener en triomphe. La puissance de ces deux hommes attestait déjà la faiblesse de la constitution et présageait sa chute. Un roi amnistié rentrait impuissant dans son palais. Des législateurs timides abdiquaient dans le trouble. Deux tribuns triomphants étaient soulevés par le peuple. Tout l'avenir était là. L'Assemblée constituante, commencée comme une insurrection de principes, finissait comme une sédition. Était-ce le tort de ces principes, était-ce la faute de l'Assemblée ? Nous l'examinerons à la fin du dernier livre de ce volume, en jetant un regard d'ensemble sur ses actes. Nous renvoyons là ce jugement pour ne pas couper le récit.

LIVRE CINQUIÈME.

Etat de l'Europe. Les puissances commencent à s'émouvoir.

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L'armée

des princes français à Coblentz. Conférences de Pilnitz. - Premiers bruits de guerre accueillis avec faveur par les constitutionnels, par les Girondins et par les Jacobins, à l'exception de Robespierre. Madam'e

de Staël. Son portrait. Son influence dans le parti des constitutionLe comte Louis de Narbonne. Les constitutionnels veulent en

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nels.
gager le duc de Brunswick dans leur parti. Il s'en défend.

I.

Pendant que la France respirait entre deux convulsions, et que la Révolution indécise ne savait si elle s'arrèterait dans la constitution qu'elle avait conquise, ou si elle s'en servirait comme d'une arme pour conquérir la république, l'Europe commençait à s'émouvoir et à conjurer. Égoïste et imprévoyante, elle n'avait vu dans les premiers symptômes de la France qu'une sorte de drame philosophique, joué à Paris sur la scène des notables, des états-généraux et de l'Assemblée constituante, entre le génie populaire, représenté par Mirabeau, et le génie vaincu des aristocraties, personnifié dans Louis XVI et dans le haut clergé. Ce grand spectacle n'avait été pour les souverains et pour leurs ministres qu'une continuation de la lutte, à laquelle ils avaient assisté avec tant d'intérêt et tant de faveur secrète, entre Voltaire et JeanJacques Rousseau, d'un côté, et le vieux monde aristocratique et religieux, de l'autre. La Révolution pour eux n'était que la philosophie du dix-huitième siècle, descen

due des salons dans la place publique, et passée des livres dans les discours. Cet ébranlement du monde moral et ces secousses entendues de loin, à Paris, présages de je ne sais quel inconnu dans les destinées européennes, les séduisaient plus qu'ils ne les inquiétaient. Ils ne s'apercevaient pas encore que les institutions sont des idées, et que ces idées vaincues en France entraînaient avec elles, dans leur chute, les trônes et les nationalités. Quand l'esprit de Dieu veut une chose, tout le monde semble la vouloir ou y concourir à son insu. L'Europe donnait, aux premiers actes de la Révolution française, du temps, de l'attention, du retentissement : c'était ce qu'il lui fallait pour grandir. L'étincelle, n'étant pas étouffée à sa première lueur, devait tout allumer et tout consumer. L'état politique et moral de l'Europe était éminemment favorable à la contagion des idées nouvelles. Le temps, les choses et les hommes étaient à la merci de la France.

II.

Une longue paix avait amolli les âmes et fait tomber ces haines de races, qui s'opposent à la communication des sentiments et au niveau des idées entre les peuples. L'Europe, depuis le traité de Westphalie, était une véritable république de puissances difficilement et imparfaitement pondérées, où l'équilibre général résultait du contre-poids que chacun faisait à l'autre. Un coup d'œil démontrait l'unité et la solidité de cette charpente de l'Europe, dont les membrures, se faisant une égale résistance, se prêtaient un égal appui par la pression de tous États.

ces

L'Allemagne était une confédération présidée par l'Autriche. Les empereurs n'étaient que les chefs de cette an

tique féodalité de rois, de ducs et d'électeurs. La maison d'Autriche était plus puissante par elle-même et par ses possessions personnelles que par la dignité impériale. Les deux couronnes de Hongrie et de Bohême, le Tyrol, l'Italie et les Pays-Bas lui donnaient un ascendant que le génie de Richelieu avait bien pu entraver, mais qu'il n'avait pu détruire. Puissance de résistance, et non d'impulsion, l'Autriche avait ce qu'il faut pour durer plus que pour agir. Sa force est dans son assiette et dans son immobilité. Elle est un bloc au milieu de l'Allemagne. Sa puissance est dans son poids: elle est le pivot de la balance européenne. Mais la diète fédérative ralentissait et énervait ses desseins par les tiraillements d'influence que toute fédération entraîne. Deux États nouveaux, inaperçus jusqu'à Louis XIV, venaient de surgir tout à coup, à l'abri de la longue rivalité de la maison de Bourbon et de la maison d'Autriche. L'un dans le nord de l'Allemagne : la Prusse; l'autre dans l'Orient : la Russie. La politique de l'Angleterre avait réchauffé ces deux germes, pour créer sur le continent des éléments de combinaisons politiques qui permissent à ses intérêts d'y prendre pied.

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III.

Il n'y avait pas encore un siècle qu'un empereur d'Allemagne avait accordé le titre de roi à un margrave de Brandebourg, souverain subalterne de deux millions d'hommes, et déjà la Prusse balançait, en Allemagne, l'autorité de la maison d'Autriche. Le génie machiavélique du grand Frédéric était devenu le génie de la Prusse. Sa monarchie, composée de lambeaux dérobés par la victoire, avait besoin de la guerre pour s'agrandir encore, de l'agitation et de l'intrigue pour se légitimer. La Prusse

était un ferment de dissolution au milieu du corps germanique. L'Angleterre, soigneuse d'y entretenir des divisions, avait fait de la Prusse son levier en Allemagne. La Russie, qui préméditait sa double ambition contre l'Asie, d'un côté, contre l'Europe, de l'autre, en avait fait son avant-garde en Occident. Elle la tenait comme un camp avancé jusqu'aux bords du Rhin. C'était la pointe de l'épée russe sur le cœur même de la France.

Puissance militaire avant tout, son gouvernement n'était qu'une discipline, son peuple n'était qu'une armée. Quant aux idées, sa politique était de se mettre à la tête des États protestants et d'offrir appui, force et vengeance à tous les intérêts, à toutes les ambitions qu'offensait la maison d'Autriche. Par sa nature, la Prusse était une puissance révolutionnaire.

La Russie, à qui la nature avait accordé une place ingrate mais immense sur le globe, la neuvième partie de la terre habitable et une population de quarante millions d'hommes épars, que le génie sauvage de Pierre-le-Grand avait contrainte à s'unir en nation, semblait flotter encore indécise entre deux pentes, dont l'une l'entraînait vers l'Allemagne, l'autre vers l'empire ottoman. Catherine II la gouvernait; femme antique à grandes proportions de beauté, de passions, de génie et de crimes, comme il en faut aux barbares, pour ajouter le prestige de l'adoration à la terreur du sceptre. Chacun de ses pas vers l'Asie avait un écho d'étonnement et d'admiration en Europe. Le nom de Sémiramis revivait pour elle. La Russie, la Frusse et la France, intimidées par sa renommée, applaudissaient à ses combats contre les Turcs et à ses conquêtes sur la mer Noire, sans paraitre comprendre qu'elle déplaçait là le poids de la balance européenne, et qu'une

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