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CHAPITRE VI.

Mon mot sur l'Architecture.

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L ne s'agit point ici, mon ami, d'examiner le caractère des différens ordres d'architecture; encore moins de balancer les avantages de l'architecture grecque et romaine avec les prérogatives de l'architecture gothique; de vous montrer celle-ci, étendant l'espace au-dedans par la hauteur de ses voûtes et la légèreté de ses colonnes, détruisant au-dehors l'imposant de la masse par la multitude et le mauvais goût des ornemens ; de faire valoir l'analogie de l'obscurité des vitraux colorés, avec la nature incompréhensible de l'êtré adoré et les idées sombres de l'adorateur; mais de vous convaincre que, sans architecture, il n'y a ni peinture ni sculpture, et que c'est à l'art qui n'a point de modèle subsistant sous le ciel, que les deux arts imitateurs de la nature doivent leur origine et leur progrès.

Transportez

Transportez-vous dans la Grèce, au temps où une énorme poutre de bois, soutenus sur deux troncs d'arbres équarris, formoit la magnifique et superbe entrée de la tente d'Agamemnon; ou, sans remonter si loin dans les âges, établissez-vous entre les sept collines, lorsqu'elles n'étoient couvertes que de chaumières, et ces chaumières habitées par les brigands, aïeux des fastueux maîtres du monde.

Croyez-vous que dans toutes ces chaumières il y eût un seul morceau de peinture, bonne ou mauvaise? Certainement vous ne croyez pas.

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Et les dieux, mieux révérés peut-être que quand ils sortirent de dessous le ciseau des plus grands maîtres, comment les y voyez-vous ? Fort inférieurs, beaucoup plus mal taillés, sans doute, que ces buches de bois informes, auxquelles le charpentier a fait à-peu-près un nez, des yeux, une bouche, des pieds et des mains, et devant lesquelles l'habitant de nos hameaux fait sa prière.

Eh bien! mon ami, comptez que les temples, les chaumières et les dieux resteront dans cet état misérable jusqu'à ce qu'il

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arrive quelque grande calamité publique, une guerre, une fantine, une peste, un vœu public, en conséquence duquel vous voyiez un arc-de-triomphe élevé au vainqueur, une grande fabrique de pierre consacrée au dieu.

D'abord, l'arc-de-triomphe et le temple ne se feront remarquer que par la masse, et je ne crois pas que la statue qu'on y placera, ait d'autre avantage sur l'ancienne que d'être plus grande. Pour plus grande, elle le sera certainement; car il faudra proportionner l'hôte à son nouveau domicile.

De tout temps les souverains ont été les émules des dieux. Lorsque le dieu aura une vaste demeure, le souverain exhaussera la sienne; les grands, émules des souverains, exhausseront les leurs les premiers citoyens, émules des grands, en feront autant; et, dans l'intervalle de moins d'un siècle, il faudra sortir de l'enceinte des sept collines pour retrouver une chaumière.

Mais les murs des temples, du palais du maître, des hôtels des premiers hommes de l'état, des maisons des citoyens opulens, offriront de toutes parts de grandes surfaces nues qu'il faudra couvrir,

Les chétifs dieux domestiques ne répon dront plus à l'espace qu'on leur aura accordé; il en faudra tailler d'autres.

On les taillera du mieux qu'on pourra; on revêtira les murs de toiles plus ou moins mal barbouillées.

Mais le goût s'accroissant avec la richesse et le luxe, bientôt l'architecture des temples, des palais, des hôtels, des maisons, deviendra meilleure, et la sculpture et la peinture suivront ses progrès.

J'en appelle à présent de ces idées à l'expérience.

Citez-moi un peuple qui ait des statues et des tableaux, des peintres et des sculpteurs, sans palais ni temples, ou avec des temples d'où la nature du culte ait banni la toile coloriée et la pierre sculptée.

Mais, si c'est l'architecture qui a donné naissance à la peinture et à la sculpture, c'est en revanche à ces deux arts que l'architecture doit sa grande perfection; et je Vous conseille de vous méfier du talent d'un architecte qui n'est pas un grand dessinateur. Où cet homme se seroit-il formé l'oeil? Où auroit-il pris le sentiment exquis des proportions? Où auroit-il puisé les idées du

grand, du simple, du noble, du lourd, du léger, du svelte, du grave, de l'élégant, du sérieux? Michel Ange étoit grand dessinateur, lorsqu'il conçut le plan de la façade et du dôme de Saint-Pierre de Rome et notre Perrault dessinoit supérieurement lorsqu'il imagina la colonnade du Louvre.

Je terminerai ici mon chapitre sur l'architecture. Tout l'art est compris sous ces trois mots solidité ou sécurité, convenance et symmétrie.

D'où l'on doit conclure que ce systême de mesures d'ordres vitruviennes et rigoureuses, semble n'avoir été inventé que pour conduire à la monotonie et étouffer le génie.

Cependant je ne finirai point ce paragraphe, sans vous proposer un petit problême à résoudre.

On dit de Saint-Pierre de Rome, que les proportions y sont si parfaitement gardées, que l'édifice perd au premier coup-d'œil tout l'effet de sa grandeur et de son étendue; ensorte qu'on en peut dire : magnus esse, sentiri parvus.

La-dessus, voici comment on raisonne.

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