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horreurs d'une mêlée. Il sait aussi ordonner des positions plus tranquilles; et montrer le soldat en marche ou faisant halte, comme en bataille, et quelques-unes des parties les plus importantes du technique ne lui manque pas.

UNE MARCHE D'ARMÉE.

Tableau d'environ onze pieds de long, sur près de sept pieds de hauteur.

Voici une des plus belles machines et des plus pittoresques que je connoisse. Le beau spectacle! La belle et grande poésie'

Comment vous transporterai-je aux pieds de ces roches qui touchent le ciel? Comment vous montrerai-je ce pont de grosses poutres soutenues en-dessous par des chevrons, jetté du sommet de ces roches vers ce vieux château? Comment vous donnerai-je une idée vraie de ce vieux château, des antiques tours dégradés qui le composent, et de cet autre pont en voûte qui les unit et les sépare? Comment ferai-je descendre le torrent des montagnes, en précipiterai-je les eaux sous ce pont, et les répandrai-je

tout au tour du site élevé sur lequel toute cette masse de pierre est construite ? Comment vous tracerai-je la marche de cette armée qui part du sentier étroit qu'on a pratiqué sur le sommet des roches, et qui en conduit laborieusement et tortueusement les colonnes, du haut de ces roches sur le pont par lequel on communique au château ? Comment vous effrayerai-je pour ces soldats, pour ces lourdes et pesantes voitures de bagage qui passent de la montagne au château sur cette tremblante fabrique de bois ? Comment vous ouvrirai-je entre ces bois pourris, des précipices obscurs et profonds? Comment ferai-je passer tout ce monde sous les portes d'une des tours, pour le conduire de ces portes sous la voûte de pierre qui les unit, et les disperser ensuite dans la plaine? Dispersés dans la plaine, vous exigerez que je vous montre les uns baignant leurs chevaux, les autres se désaltérant, ceuxci étendus nonchalamment sur les bords de cet étang vaste et tranquille, ceux-là sous une tente qu'ils ont formée d'un grand voile qui tient ici au tronc d'un arbre; là à un bout de roche, buvant, causant, riant, mangeant, dormant, assis, debout, couchés sur

le dos, couchés sur le ventre, hommes, femmes, enfans, armes, chevaux, bagages? Mais peut-être qu'en désespérant de réaliser dans votre imagination tant d'objets animés, inanimés, ils le sont et je l'ai fait ? Si cela est, Dieu soit loué! Cependant je ne m'en tiens pas quitte. Laissons respirer la muse de Casanove et la mienne, et regardons son ouvrage plus froidement.

A droite du spectateur, imaginez une masse de grandes roches de différente hauteur. Sur les plus basses de ces roches, un pont de bois jetté de leur sommet au pied d'une tour. Cette tour unie et séparée d'une autre tour par une voûte de pierre. Cette fabrique d'ancienne architecture militaire bâtie sur un monticule. Des eaux qui descendent des montagnes, se rendent sous le pont de bois, sous la voûte de pierre, font le tour par derrière le monticule, et forment à sa gauche un vaste étang. Supposez un arbre au pied dumonticule. Couvrez le monticule de mousse et de verdure. Adossez contre la tour qui est à droite, une chaumière. Faites sortir d'entre les pierres dégradées du sommet de l'une et l'autre tour, des arbrisseaux et des plantes parasites. Hérissez-en la cîme des

'montagnes qui sont à gauche. Au-delà de l'étang que les eaux ont formé à droite, supposez quelques ruines lointaines, et vous aurez une idée du local. Voici maintenant la marche de l'armée.

Elle défile du sommet des montagnes qui sont à droite, par un sentier escarpé. Elle se rend sur le pont de bois jetté des plus basses de ces montagnes au pied d'une des tours du château. Elle tourne le monticule sur lequel le château est élevé. Elle gagne la voûte de pierre qui unit les deux tours. Elle passe sous cette voûte, et de-là elle se répand de gauche et de droite autour du monticule, sur les bords de l'étang, et arrive, en se repliant, au bas de ces hautes montagnes du sommet desquelles elle est partie. En levant les yeux, chaque soldat peut mesurer avec effroi la hauteur d'où il est descendu.

Passons aux détails. On voit au sommet des roches quelques soldats en entier. A mesure qu'ils s'engagent dans le sentier escarpé, ils disparoissent. On les retrouve, lorsqu'ils débouchent sur le pont de bois. Ce pont est chargé d'une voiture de bagage. Une grande partie de l'armée a déja fait le tour du monticule, a passé sous la voûte de pierre,

et

et se repose. Imaginez autour du monticule sur lequel le château s'élève, tous les incidens d'une halte d'armée, et vous aurez le tableau de Casanoye. Il n'est pas possible d'entrer dans le récit de ces incidens: ils varient à l'infini; et puis, ce que j'en ai esquissé dans les premières lignes, suffit.

Ah! si la partie technique de cette composition répondoit à la partie idéale; si Vernet avoit peint le ciel et les eaux, Loutherbourg le château et les roches, et quelqu'autre grand maître, les figures! Si tous ces objets placés sur des plans distincts avoient été éclairés et coloriés selon la distance de ces plans! Il faudroit avoir vu une fois en sa vie ce tableau; mais malheureusement celui de Casanove manque de toute la perfection qu'il auroit reçue de ces différentes mains: c'est un beau poëme, "bien conçu,

bien conduit et mal écrit.

Ce tableau est sombre; il est terne, il est sourd. Toute la toile ne paroît vous offrir d'abord les divers accidens d'une grande que croute de pain brûlé. Et voilà l'effet de ces grandes roches, de cette grande masse de pierre élevée au centre de la toile, de ce merveilleux pont de bois et de cette précieuse

P

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