Page images
PDF
EPUB

à côté de lui, avec un peu d'aisance, fout autant qu'il en faudroit pour que ma petite Russe pût, quand il lui plairoit, dormir la grasse matinée, moi lui faire compagnie sur le même oreiller, et élever sans peine les petits bambins que ces vénérables papas schismatiques viendroient baptiser chez moi tous les neuf à dix mois, je serois, ma foi! tenté d'aller voir quel temps il fait dans ce pays-là.

MANIÈRE DE VOYAGER EN HIVER.

Et pour faire sortir le décousu de tous ces objets, je vais décrire ce tableau comune si c'étoit un Chardin.

En allant de la droite à la gauche, de petites montagnes couvertes de neige. Derrière ces montagnes, les toîts blancs d'un hameau. Sur le devant et au pied des petites montagnes, un poteau de seigneur qui marque le chemin ; ce poteau est planté à l'entrée d'un pont de bois. Une voiture tirée par des chevaux et prenant vers la droite, est prête à entrer sur le pont. Au-dessous du pont, il faut supposer quelque grande rivière prise

[ocr errors]

et couverte de neige, car on apperçoit les arrières-becs et les mâts de quelques grands bateaux retirés vers le rivage. Sur le devant, un paysan voiture sur la gauche des pro

visions.

Tout ce qu'on apprend-là, c'est la manière dontles voitures sont construites en Russie(1). Je ne sais si ces bâtons recourbés ne seroient pas, en ce pays-ci, même, sur-tout dans les provinces où les chemins sont unis et ferrés, d'un très-hon usage, avec la précaution d'y ajouter de larges roulettes de fer.

HALTE DE PAYSANS EN ÉTÉ.

A droite, on voit un bout de forêt, et près de-là un charriot chargé de bestiaux. Plus bas, un ruisseau. En s'avançant vers la

(1) Ces voitures sont des traîneaux fort communs en Allemagne et dans les pays du Nord, et dont les paysans se servent dans les temps de neige. Il ne seroit guère possible de s'en servir avec avantage sur des chemins qui ne seroient pas couverts de neige; mais on voit dans le tableau des paysans qui se disposent à passer le bac, une voiture finlandoise, aussi simple. qu'ingénieuse, et qui paroît particulière à ces pays-là,

gauche, un grand charriot. Vers ce charriot, une vache et un mouton. Un homme, vu par le dos, est penché sur le coffre de bois porté par le charriot. Sur le fond, encore un charriot. Sur un lieu plus bas et plus avancé vers la gauche, un groupe d'hommes et de femmes en repos. Tout-à-fait à gauche et vers le fond, un autre groupe d'hommes et de femmes.

Tous ces objets, quoiqu'isolés, sont assez harmonieusement disposés. Il y a quelque art à les avoir liés pour l'œil par la seule variété du site et des lumières; mais la vue en est presqu'aussi froide que la description; et s'ils sont vrais, ce que je suppose toujours, ils ne peuvent intéresser qu'un homme transplanté à sept ou huit cents lieues de son pays, et qui venant à jetter les yeux sur un de ces morceaux, se retrouve en un instant chez lui, au milieu de ses compatriotes, proche de son père, de sa mère, de sa femme, de ses parens, amis. Si j'étois à Moscou, doutez-vous, cher Grimm, que la vue d'une carte de Paris ne me fit plaisir? Je dirois: Voilà la rue Neuvede-Luxembourg. C'est-là qu'habite celui que je chéris. Peut-être il pense à moi dans

de ses

ce moment. Il me regrette; il me souhaite tout le bonheur que je puis avoir loin de lui. Voilà la rue Neuve-des-Petits-Champs; c'estlà que demeurent la gaîté, la plaisanterie, la raison, la confiance, l'amitié, l'honnêteté, la tendresse et la liberté. L'hôtesse aimable avoit promis à l'esculape de Genève de s'endormir à dix heures, et nous causions et nous riions encore à minuit. Voilà la rue Royale-Saint-Roch; c'est-là que se rassemble tout ce que la capitale renferme d'honnêtes et d'habiles gens. Ce n'est pas assez, pour trouver cette porte ouverte, que d'être titré ou savant, il faut encore être bon; c'est-là que le commerce est sûr; c'est-là qu'on parle histoire, politique, finance belles-lettres, philosophie; c'est-là qu'on s'estime assez pour se contredire; c'est-là qu'on trouve le vrai cosmopolite, l'homme qui sait user de sa fortune, le bon père, le bon ami, le bon époux. C'est-là que tout étranger de quelque nom et de quelque mérite veut avoir un accès, et peut compter sur l'accueil le plus doux et le plus poli. Et cette aimable baronne vit-elle encore? Sa santé étoit si frêle! Se mocque-t-elle toujours de beaucoup de gens qui ne l'en aiment

pas moins? Voilà la rue des Vieux-Augus tins. Ici, mon ami, la parole me manqueroit. Je m'appuyerois la tête sur les deux mains; quelques larmes tomberoient de mes yeux, et je me dirois à moi-même : elle estlà; comment se fait-il que je sois ici(1)?

LE BERCEAU POUR LES ENFANS.

C'est une des meilleures compositions de Leprince...... Vous le trouvez, me dites-vous, mieux colorié que le Baptême ?... Oh! non..... Il vous paroît plus intéressant que le Baptême ?... Oh! non. Mais aussi, diable! c'est que ce Baptême Russe, auquel vous voulez comparer ce tableau-ci, est une belle chose.

(1) Heureusement, cher ami, vous n'avez qu'un pas. à faire pour y aller. Elle vous attend, et je vais vous chasser de chez moi à l'instant, pour que vous n'en perdiez pas par ma faute. Mais, convenez auparavant que ces tableaux de Leprince ont un attrait particulier pour ceux qui ne connoissent pas les mœurs et les usages. qu'il a peints. Rien n'attache davantage que les tableaux qui représentent des mœurs étrangères.

« PreviousContinue »