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surrection, les émigrés qui s'organisaient sur nos frontières et s'ap · prêtaient à diriger les armées étrangères sur notre territoire. La révolution, menacée dans ses foyers, éprouvait le besoin de s'entourer de forces; à son tour, elle voulait agglomérer des troupes sous Paris, et à son tour aussi la couronne eut l'imprudence d'y résister. Les rôles étaient changés depuis le 14 juillet 1790.

C'est ainsi que trouvant la royauté entre elle et ses ennemis, menacée par eux et ne pouvant de son côté les atteindre; empêchée de satisfaire ses vengeances et d'assurer sa sécurité, la révolution fut poussée à détruire l'obstacle qui la génait dans ce combat à mort.

Henri III, pour avoir hésité entre la ligue et la réforme, avait perdu la vie; Louis XVI, pour avoir flotté incertain entre la révolution et la contre-révolution, a perdu la couronne et la vie.

Les journées des 20 juin et 10 août portèrent les derniers coups à ce fantôme de royauté qui n'était plus entre les partis, impatiens d'en venir aux mains, qu'une barrière importune.

La suspension ou plutôt l'abolition de la royauté, car une royauté ne se suspend pas, fut prononcée par l'assemblée législative, à la suite de l'insurrection du 10 août.

Le manifeste insolent de Brunswick, l'entrée des armées étrangères en France, leurs premiers succès, les menaces de subversion totale et de réaction sanglante de la part des émigrés, précipitèrent cette catastrophe, qui fut bientôt suivie des massacres des prisons des 2 et 3 septembre, événement atroce que peut à peine expliquer le délire d'une populace poussée par la colère et la peur au dernier paroxisme d'une rage forcenée; cruelle combinaison de quelques hommes qui avaient froidement calculé l'effet de la terreur sur les esprits dans ce moment de crise.

L'assemblée législative ne fut pas coupable des massacres de septembre, mais elle les laissa se consommer; et c'est beaucoup trop pour sa mémoire. De vaines et impuissantes protestations s'élevèrent de son sein, qui vinrent expirer devant les récriminations et les menaces du club des jacobins et de la commune de Paris.

Ce ne fut même pas librement et spontanément qu'elle suspendit la royauté, elle céda aux violences des clubs et des pétitions armées. Elle permit que son enceinte fût violée le 20 juin par la force brutale, et dès ce moment elle cessa de s'appartenir.

Comme gouvernement révolutionnaire, l'assemblée législative n'eut pas même le triste avantage de l'initiative et de la direction; elle laissa faire. Le pouvoir était hors d'elle, il était dans les clubs et les sections.

C'est ce qui explique comment, après avoir solennellement et à une imposante majorité absous Lafayette de l'accusation dirigée contre ce général pour être venu protester à la barre contre les violences du 20 juin, elle se laissa aller plus tard à sanctionner non seulement le 20 juin, mais le 10 août.

Čette contradiction s'explique aussi par la progression des événemens qui, rendant le danger tous les jours plus imminent, donnait de nouveaux alimens à la colère et à la peur, ces deux sentimens qui en révolution finissent toujours par dominer les corps politiques et par les entraîner bien au delà de leur but.

Il y avait sans doute dans l'assemblée législative un parti républicain par théorie et par conviction; mais ce parti, en très faible minorité dès le principe, ne reçut sa force et son influence que des tentatives de contre-révolution du clergé et de la noblesse, et de la complicité cachée de la couronne. Les Girondins eux-mêmes, qui, dans les derniers temps de l'assemblée législative, vinrent prêter à ce parti républicain la puissance de leurs talens et de leur énergie, ne se décidèrent à cette résolution extrême qu'après avoir vainement tenté d'entraîner la couronne à s'identifier avec la révolution.

Pour qui examine avec quelque attention la série d'incidens par lesquels les choses furent à cette époque amenées en France jusqu'à l'abolition de la royauté, reste la conviction que cette abolition fut plutôt une réaction de colère et de peur que l'œuvre du calcul et de la préméditation, plutôt un moyen désespéré de salut, une espèce de défi jeté à des ennemis, que le résultat d'une révolution consommée dans les opinions et dans les mœurs.

Il Ꭹ a peu de choses à dire des travaux purement législatifs de l'assemblée législative, et on jugerait très mal cette assemblée si on l'appréciait d'après son titre.

En parcourant la partie du Bulletin qui renferme ses actes, ou rencontre un grand nombre de mesures de circonstance contre les prétres, contre les émigrés, sur les assignats, sur les passeports, le service de la gendarmerie, mais très peu de ces monumens de législation durables et permanens.

<< L'assemblée nationale (porte le décret du 28 mars 1792 sur les << passeports), obligée de multiplier temporairement les mesures de « sûreté publique, déclare qu'elle s'empressera d'abroger le présent << décret aussitôt que les circonstances qui l'ont provoqué auront << cessé et que la sûreté publique sera'suffisamment assurée. »

Presque tous les décrets publiés par l'assemblée législative ont ce caractère circonstantiel et accidentel, quoique tous ne le proclament pas aussi explicitement.

Si cette révision tant désirée du Bulletin des Lois, révision qu'un gouvernement loyal regardera comme un devoir d'accomplir, est un jour opérée, il ne restera que bien peu de lois appartenant à l'assemblée si improprement appelée législative.

Dans ce peu de lois, il faut cependant citer celle du 2 septembre 1792, qui abolit les substitutions; la loi du 22 septembre 1792, qui établit le divorce; celle du 30 mai 1792, qui fixe l'âge de la majorité à vingt-un ans et modifie la puissance paternelle; enfin, celle du 25 septembre 1792, qui pose quelques règles pour la tenue des registres de l'état civil, règles qui ont passé en grande partie dans le Code civil, et qui déterminent les conditions du mariage civil.

Ces lois, sauf celle de l'abolition des substitutions, qui a eu une immense portée politique et sociale, en rendant au commerce une si grande masse de propriétés foncières qui en étaient retranchées depuis des siècles, exagéraient encore l'esprit logique et philosophique de l'assemblée constituante: on en peut juger par cette assimilation du mariage à une simple convention privée, résoluble à volonté, par le consentement des parties, qui sert de base à la loi du divorce; assimilation de tous points fausse, puisque dans le mariage il y a d'au

tres parties intéressées que les deux parties directement contractantes, d'abord le société entière, puis les enfans, et enfin les deux familles. L'expérience a fait justice de ces exagérations; sans se laisser entrainer par une réaction qui l'aurait emporté dans un excès contraire, le conseil d'état ramena plus tard l'institution du divorce aux termes de la raison, de la justice et de l'utilité sociale.

Quelques mesures de l'assemblée constituante, quoique empreintes aussi de ce caractère outré qui signale une époque de combat et de passions, ont eu, on ne peut se le dissimuler, une immense influence sur l'économie sociale de notre pays et sur sa prospérité actuelle.

L'assemblée constituante avait simplement ordonné le séquestre des biens des émigrés ; l'assemblée législative en ordonna la confiscation et la vente, la vente par petits lots.

« L'assemblée, porte le décret, dans la vue de multiplier les pe<< tites propriétés, ordonne la division des grandes propriétés par petits lots. >>

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C'est dans la même vue, si féconde en résultats immenses, que cette même assemblée ordonna, par la loi du 14 août 1792, le partage de tous les biens communaux ; que par celle du 18 août 1792, elle ordonna également la vente des biens de tous les établissemens de main morte, des fabriques, de toutes les congrégations, même laïques.

L'assemblée constituante s'était contentée de proclamer en principe la franchise de toutes les propriétés : elle avait aboli les droits féodaux qui constituaient ou rappelaient la servitude personnelle, mais elle avait maintenu les droits sur les choses, et n'avait autorisé que le rachat de certains de ces droits. L'assemblée législative ne s'arrêta pas devant ces limites que le respect du droit de la propriété avait imposées à l'assemblée précédente; elle les franchit, et, par une mesure générale, elle abolit sans indemnité tous les droits seigneuriaux quelconques, n'exceptant que ceux que le seigneur justifiait par le titre primordial avoir été le prix d'une concession de fonds.

La convention devait aller encore plus loin, elle abolit sans indemnité toutes les prestations mélangées de féodalité; ce qui pour des temps où la vanité et l'empire des habitudes avaient étendu les qualifications féodales à tous les actes de la vie civile et aux transactions même les plus roturières, embrassait presque toutes les prestations ou redevances quelconques. Cette assemblée donna quittance par la force de la loi, à presque tous les acquéreurs de biens-fonds.

L'assemblée législative ordonna aussi la réintégration des communes dans tous ceux de leurs biens dont à une époque quelconque elles avaient été privées par l'abus de la puissance féodale. Prenant l'inverse de la maxime fondamentale de la féodalité, nulle terre sans seigneur, elle proclama la maxime beaucoup plus juste que ce qui n'appartient à aucun, appartient à tous, elle déclara les communes propriétaires de plein droit des terres vaines et vagues.

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Par cette série de mesures, qui ne sont pas toutes justifiables sous le rapport du respect des droits acquis et de la stricte justice, l'assemblée législative consomma matériellement la révolution. Les théories, les grands principes de l'assemblée constituante, ont été souvent contestés, abandonnés pour être repris mais l'immense division

de la propriété, mais cette masse de petits propriétaires, créés par l'assemblée législative, sont restées et resteront comme les garanties matérielles et indestructibles de la révolution politique opérée dans nos institutions.

C'est là surtout le point par lequel l'assemblée législative appartient à l'histoire de notre législation; et bien que cette assemblée n'ait rien commencé, rien achevé; que, placée entre le commencement et la péripétie du grand drame de notre révolution, elle ne représente qu'une transition, et, comme toute transition, elle n'ait aucun caractère arrêté, aucune couleur qui lui soit propre; bien qu'elle s'évanouisse pour ainsi dire entre les derniers reflets de l'assemblée constituante et les premières lueurs de la convention, elle n'en doit pas moins occuper une place importante parmi les fondateurs de la révolution: si d'autres, avant elle, avaient moralement et politiquement consommé cette révolution, et si d'autres après elle l'ont sanctionnée par la victoire, on peut dire que c'est elle qui lui a donné dans le sol même des racines profondes, et qui l'a mise ainsi à l'abri de la versatilité des convictions humaines.

ODILON-BARROT.

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