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IV

Tandis que Fouquet, Lamberty, Robin, et leur bande, exterminaient par les noyades les débris de l'armée vendéenne, et que la Compagnie Marat dépouillait et emprisonnait les riches négociants, des agents d'un caractère mixte, à la fois commissaires des vivres et soldats, sous prétexte de ravitailler les armées et la ville et de faire la guerre ou plutôt la chasse aux insurgés, allaient dans les campagnes piller les châteaux et les habitations les mieux pourvues de linge, de meubles, de provisions et de bestiaux. Bien qu'il y eut,à Nantes et dans le département, un, et quelquefois plusieurs représentants en mission, qu'il y eut aussi des administrations. et des chefs militaires, il n'existait à vrai dire aucune autorité dirigeante, et les sans-culottes bien posés à la Société populaire avaient la permission de tout faire. La délimitation incertaine du territoire insurgé assurait l'impunité aux actes. les plus odieux. Assassiner un citoyen inoffensif, c'était détruire un ennemi de la république; le voler, c'était exercer le droit du vainqueur auquel appartient le butin du vaincu. Deux hommes surtout se sont distingués par leurs crimes. dans ces expéditions. L'un était un tailleur nommé Dhéron, qui s'était fait remarquer, dès les premiers temps de l'insurrection, en portant aux séances de la société populaire un chapeau orné d'oreilles de brigands. Carrier l'avait nommé notable de la municipalité de Nantes. Ce Dhéron a été l'objet d'une étude de M. de la Sicotière, qui ne laisse le droit à personne d'en parler après lui, et je me bornerai ici à inscrire. son nom'. L'autre scélérat était un nommé Pinart, beaucoup plus célèbre, car il a laissé, dans certaines populations du département, des souvenirs sinistres qui ne sont pas encore

'Le Patriote Dhéron, Revue de Bretagne et de Vendée, oct. 1879, janv., avr. 1880.

TOME XIII.

NOTICES.

XIII ANNÉE, 7o LIV.

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complètement éteints. Le défaut de documents ne permet pas de faire un exposé complet de sa conduite, mais ceux que j'ai pu recueillir aideront à comprendre l'intensité de la terreur que sa personne, et même simplement son nom, inspirait dans les campagnes.

Jean Pinart, né à Saint-Christophe-du-Bois (Vendée), s'était marié dans la commune de Petit-Mars, et y exerçait la profession de fabricant de savon, qu'il avait apprise à Marseille, où il s'était arrêté en faisant son tour de France'. En 1794, il était âgé de 25 ans; il ne savait ni lire ni écrire2. Il s'était engagé dans un bataillon de volontaires, et il avait fait preuve d'une véritable bravoure. D'après un témoin, nommé Renaudot, Pinart passait, à lui seul, pour valoir cinquante hommes3. Attaché au corps du général Cambray, les représentants Turreau et Cavaignac l'avaient chargé, le 17 septembre 1793, de diriger de Montaigu sur Nantes un transport d'effets militaires. C'est à Montaigu, sans doute, qu'il avait noué ses relations avec les hussards américains, petite légion de nègres et d'hommes de couleur, qu'à partir de ce moment, on rencontre mêlée aux pillages et aux assassinats de Pinart. L'origine et l'importance de ce corps sont assez difficiles à déterminer. Je ne crois pas qu'on puisse le rattacher à la légion américaine, également composée d'hommes de couleur, dont l'établissement fut décrété le 6 décembre 1792 sur le rapport de Letourneur, et dont l'envoi à Saint-Domingue fut contremandé le 16 mai 1793. Le chef qui commandait le détachement de Nantes avait le grade modeste de sous-lieutenant, et se nommait Hellot. Le procès-verbal du

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Bull. du trib. révol., VI, 233,et pièces de son dossier aux Archives nationales. Eod. VI, 310.

4 << Beysser, dit Savary (Guerres des Vendéens et des Chouans, II, 148), entra le 16 septembre 1793, à Montaigu, à la tête de divers escadrons, et des hussards américains. V. aussi Aulard, Correspond. du Comité de Salut public, VI, 524.

Réimpression du Moniteur, XV, 672 et XVI, 490.

Comité révolutionnaire du 5 frimaire an II, 25 novembre 1793 contient un arrêté ainsi conçu : « Le citoyen Hellot, américain, recrutera tous les nègres et hommes de couleur pour les enregimenter dans sa légion. » Les hommes de couleur étaient alors nombreux dans le port de Nantes, qui partageait avec celui de Bordeaux le monopole du commerce des Antilles. C'était une vraie trouvaille, de la part du Comité, d'avoir imaginé d'armer des gens qu'une rancune de race animait contre les anciens possesseurs d'esclaves, dans une ville où les négociants les plus riches avaient été planteurs à SaintDomingue.« On fit, dit Michelet, d'excellents escadrons de ces nègres, très braves, très féroces, terribles aux prisonnières surtout'. » Au même moment le Comité « requérait le commandant de place de fournir au citoyen Pinart six hussards américains pour une expédition secrète du côté de SaintMars et de Carquefou. » A quelques semaines delà, le 23 frimaire, le procès-verbal du Comité mentionne« une lettre du citoyen Duboul, adjoint du commandant de la place, annonçant l'impossibilité de fournir les chasseurs américains que le Comité avait requis. » Les membres du Comité ne pouvaient donc, sans mentir, se refuser à reconnaître comme leurs agents Pinart et les hussards américains.

Au registre d'écrou des Saintes-Claires, où il fut incarcéré à un certain moment, Pinart est qualifié simplement de volontaire; mais, comme nous le verrons tout à l'heure, il reçut réellement un brevet de commissaire dans l'administration des vivres.

D'après Renaudot, ce même commissaire civil qui portait si haut sa bravoure, Pinart a pillé toutes les maisons où il s'est introduit3. Dès le commencement d'octobre 1793, il avait parcouru la commune de Sucé, et avait, notamment marqué les chevaux de M. de Carheil; revenu le 22, avec sa troupe, il

Hist. de la Révol., édit. Lacroix, VIII, 319.

Proc.-verb. du Comité, 4 frimaire an II, fo 41 (Arch. du greffe). 3 Bull. du trib. révol. VI, 310.

avait envahi la maison, et pris les papiers, l'argent, et les assignats. Dans la nuit il était encore revenu, et, après avoir consigné la famille dans une salle, il avait opéré un déménagement complet. Une des dames, qui avait conservé huit cents livres, les offrit à Pinart, à la condition qu'il ne mît pas le feu à la maison. Pinart prit les huit cents francs et mit le feu. Les dames et leurs servantes furent amenées à Nantes dans une charrette. Conduits au Comité, Mr et Mme de Carheil se plaignirent de la façon dont on les avait traités, mais « un adjudant de la troupe,dit Mme de Carheil, étouffa nos plaintes, et déclara que les ordres portaient de tout tuer, de tout incendier'. » M. de Carheil fut emprisonné aux Saintes-Claires, et transféré plus tard au Sanitat où il mourut le 13 janvier 1794. Les dames et les servantes, au nombre de sept, avaient été envoyées au Bon-Pasteur2.

Pinart, interrogé et incriminé, s'étonna qu'on pût lui reprocher une pareille affaire, car « on en a usé, dit-il, avec la famille de Carheil, comme avec tous les brigands que nous étions autorisés à dépouiller et à tuer3. » Un témoin, non nommé, se leva à ce moment et attesta que, dans son canton, toutes les fermes avaient été dévastées par Pinart, entr'autres un château devenu propriété nationale. Pinart, étant revenu une autre fois dans la commune de Sucé en compagnie des hussards américains, fit un grand butin, et trouva des habitants qui, sur place, le lui achetèrent.

↑ Bull. du trib. révol. VI. 351, et Régistre des déclarations aux archives municipales, no 271.

Ecrous de ces prisons, 23 octobre 1793, fol. 103 et 15. (Arch. du greffe).. Bull. du trib, révol. VI, 352. Journal des Lois nos des 24 et 25 brumaire an III.

Une instruction eut lieu plus tard à l'occasion de cette affaire. V. procès-verbal de 7 et 8 ventôse an II; Déclarations à la municipalité, nos 263, 273, 276. District de Nantes, 17 messidor an II.

V

Ces exploits l'avaient mis en évidence, et, tout illettré qu'il fut, on le trouva digne d'être promu aux fonctions de commissaire adjoint de la commission civile et administrative près l'armée de l'Ouest. L'original de sa commission, signé d'un commissaire des vivres nommé Julien Gaudin, est daté du 18 frimaire an II, 8 décembre 1793. Cette commission lui donnait le droit de requérir la force armée dans toute l'étendue. du département'. Le même jour il recevait du Comité révolutionnaire un ordre conçu en ces termes : « Le citoyen Pinart est requis de se saisir des vaches, froments, et tous autres effets appartenant à la femme Goyon, demeurant à la Barbinière, commune de Sucé, à la charge, audit Pinart, d'en donner connaissance au Comité révolutionnaire et d'en faire dépôt à la commission civile administrative des charrois. Signé Bachelier, président, Goullin, secrétaire, et Grandmaison. » L'instruction qui eut lieu plus tard révéla que Pinart avait fait conduire chez lui, et chez une femme de sa connaissance, de nombreux effets, et une provision de bois de chauffage chez Grandmaison, Levêque et Perrochaux2.

Des membres des familles Hervé de la Bauche et Luzeau de la Mulonnière, arrêtés par Pinart dans cette même commune de Sucé, furent traités comme les Carheil3. (18 nivôse an II, 7 janvier 1794.) Le 26 nivôse, Pinart n'avait pas encore remis le procès-verbal des objets saisis, et le Comité le lui faisait demander*..

Couvert de la protection de Goullin, tout lui était permis.

Archives nationales W, 493.

Déclar. de Pierre Pont, commissaire du District. Registre. Déclarat. n° 271 (Arch. municip.) Instruction du procès à Paris, interrogatoire du 13 fructidor an II.

Bull. du trib révol. VI, 232, 254, 255.

Proc.-verb. du Comité, fo 87.

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