Page images
PDF
EPUB

conséquent n'ont pu jouer le rôle qu'on leur attribue', seulement où sont les preuves d'une pareille assertion? On nous renvoie vaguement à la vie de saint Aubin d'Angers et aux suscriptions des conciles. Or de fait, le biographe de saint Aubin se contente de nous dire que le pieux évêque d'Angers se rendit une fois à Paris pour voir le roi Childebert sans affirmer le moins du monde qu'en cette circonstance il allait rendre ses hommages au prince, qui régnait sur l'Anjou. Le voyage pouvait avoir un motif tout différent. La preuve est donc insuffisante. Celle qui repose sur les suscriptions des conciles est encore plus mal fondée, puisque de 530 à 560, il ne se tint pas un seul concile dans l'Anjou. Nous savons d'autre part avec certitude qu'après la défaite et la mort de Clodomir, roi d'Orléans, le roi de Metz, Thierry, qui avait eu la part principale dans la guerre, s'attribua aussi la part principale dans le butin, et régna depuis lors sur l'Auvergne, Limoges, le Berry et probablement Angers et Nantes. Telle est l'opinion d'un savant géographe, qui a fait une étude spéciale sur ce sujet.

L'objection tombe ainsi d'elle-même.

Relativement au silence, qu'ont gardé sur la venue de saint Maur dans les Gaules, saint Grégoire le Grand, Grégoire de de Tours et les historiens ou hagiographes des VII et VIII siècles, je crois devoir répondre d'une manière détaillée, afin de prévenir toute réplique à cet égard.

En premier lieu, le silence de saint Grégoire le Grand se comprend de lui-même, puisque le Pontife retraçait la vie des saints de l'Italie, non celle des saints de la Gaule. Ce silence prouverait plutôt en ma faveur. Car il est moralement certain que si le premier disciple de saint Benoît était mort

'Malnory, ouvrage cité, p. 22 et 24.

2 Vie de saint Aubin, no 14.

A. Longnon, La Géographie de la Gaule au VI siècle (Paris, 1891, p. 101-106.

Malnory, ouvrage cité, p. 21.

en Italie, non en France, l'hagiographe italien n'aurait pu manquer de lui consacrer une notice spéciale dans sa galerie des saints italiens.

Paul du Cassin retraçait, on le sait, l'histoire des Lombards, non celle des Francs. Il n'a donc jamais eu occasion de mentionner saint Maur et sa mission de premier apôtre de la Règle bénédictine.

En ce qui concerne saint Grégoire de Tours, il n'a jamais non plus eu l'intention de parler de tous les saints qui vivaient de son temps dans son entourage, ou en général dans les Gaules. Il a gardé plutôt sa liberté pleine et entière de signaler ceux pour lesquels il avait de la sympathie, et de laisser les autres dans l'oubli. Ainsi s'explique en particulier à mon jugement pourquoi l'historien des Francs n'a pas dit le moindre mot de thaumaturges aussi illustres que les saints Samson, Magloire, Paul de Léon, Corentin et vingt autres, qui illustraient alors l'Armorique, et dont l'écrivain aurait sans doute fait mention en raison de leurs relations avec les rois Francs, si ces mêmes personnages n'avaient eu un grand tort aux yeux de l'évêque de Tours, celui d'avoir créé en partie contre lui une nouvelle église métropolitaine, celle de Dol'. Pourquoi saint Maur de son côté n'obtint-il pas toutes les sympathies d'un hagiographe, qui dut le connaître au moins de réputation en raison du voisinage? Il serait difficile de le dire avec certitude, mais il paraît probable qu'un canon (le XVII) du second concile de Tours tenu en 567 dut susciter des difficultés entre le métropolitain de Tours et le premier abbé de Glanfeuil. De fait, ce canon qui a trait aux jeûnes monastiques, exige beaucoup plus des moines sous ce rapport que la Règle de saint Benoît, et tout porte à croire que saint Maur aura hésité à l'accepter, comme obligatoire pour

On a parfois avancé que la métropole de Dol n'avait été inaugurée qu'au IX siècle. Mais c'est une erreur, comme je l'ai établi dans mes Prolégomènes sur la très ancienne Vie latine de saint Samson, p. xvii-xxi. Paris, Rétaux, 1887,

ses fils spirituels, de là on le comprend un conflit de juridiction et des tiraillements'.

Mais je reprends mon sujet. Le silence d'Alcuin et de Rhaban Maur sur Glanfeuil n'a rien de surprenant non plus. Ils étaient, en effet, l'un et l'autre étrangers à l'Anjou et à ses traditions par leur naissance et leur éducation. Ils n'arrivèrent à Tours, (vers 790-800) que dans les jours où Glanfeuil, autrefois florissant n'existait plus qu'à l'état de ruine. Le fait ressort des documents diplomatiques du IX siècle, dont il sera question plus haut. On ne l'a pas aasez remarqué, mais la chose est indubitable. Rien donc ne conviait Alcuin et Rhaban Maur à s'intéresser à Glanfeuil, à en étudier les traditions et les souvenirs pour les consigner ensuite dans leurs écrits.

Quant à l'absence actuelle de tout texte non interpolé de la vie de saint Maur par Fauste du Cassin, elle ne prouve rien non plus, sinon que les recherches à cet égard ont été mal dirigées. Pour moi je suis persuadé que le texte existe encore quelque part, et qu'on le retrouvera un jour ou l'autre. Ce qui me donne bon espoir à cet égard, c'est que les bibliographes du moyen-âge l'avaient presque tous sous la main, et mentionnent explicitement Fauste du Cassin au nombre des écrivains ecclésiastiques, tandis qu'Odon de Glanfeuil est passé sous silence, tels Sigebert de Gemblours3, Tritheim', et plus récemment Aubert Le Mire". Bien plus Baronius trouvait de son temps à l'Oratoire de Rome un exemplaire de la Vie de saint Maur, qui ne portait d'autre nom que celui de Fauste, et auquel n'était point annexé le Livre des Miracles du

La chose paraît d'autant plus probable que le monastère de Glanfeuil était exempt à titre de fondation royale.

2 Pour se faire une idée de l'importance de Glanfeuil primitif, voir une Bulle de Urbain II en date du 21 mars 1096. Gattola: Historia Cassinensis, t. II, p. 298.

• Scriptores ecclesiastici, no 32.

Idem, no 205.

Auctarium Mirei, n° 171.

même saint ce qui donne à penser qu'il s'agissait réellement d'un exemplaire non interpolé1.

Dans tous les cas, voici quelques témoignages, qui ne sont pas sans valeur pour établir l'authenticité d'une vie originale de saint Maur.

Et d'abord Amalaire, qui rédigeait vers 840, vingt-cinq ans avant Odon de Glanfeuil, son livre des Offices ecclésiastiques, y mentionne explicitement la Vie de saint Maur, disciple de saint Benoît par le moine Fauste, et n'a pu évidemment emprunter cette mention à un écrit, qui n'avait pas encore vu le jour. Fauste n'est donc pas un personnage supposé. La même conclusion ressort avec non moins d'évidence des larges emprunts, qu'a faits à la Vie de saint Maur, Adrevald de Fleury dans les premiers chapitres de son livre des Miracles de saint Benoit3. Car bien qu'Adrevald soit postérieur de neuf ou dix années à Odon de Glanfeuil, il ne mentionne que Fauste du Cassin, et il y a cent à parier que l'écrit de l'abbé de Glanfeuil n'était pas arrivé à sa connaissance. Si Adrewald l'avait connu, il nous l'aurait dit ouvertement car il n'avait aucun intérêt à le cacher.

Pour prouver que l'hagiographe Fauste n'est pas un personnage fictif et imaginaire, comme la critique actuelle le suppose, je puis encore en appeler au témoignage d'un écrivain du X° siècle, qui a été de son temps un Baillet anticipé. Je veux parler de Létald de Micy. Il reprit, on le sait, la thèse de saint Grégoire de Tours, et révoqua en doute l'a

1 Notationes in Martyrologium Romanum, 15 janvier note a.

* De Ecclesiasticis officiis, 1v, c. 48. Ce chapitre a trait à l'office monastique tandis que les précédents s'occupaient tous de l'office romain. C'est sans doute pour cela qu'Hittorp, reproduit servilement par la Patrologie latine (t. cv), ne l'a pas inséré dans sa Collectio scriptorum liturgicorum. On le trouvera dans les Vetera Analecta de Mabillon, et sur les manuscrits anciens, tel le Parisinus 2400 (XI s.), fol. 101.

3 Ce sont les chapitres VI-X. On les trouvera dans la Bibliotheca Floriacensis (Paris, 1605), de Jean du Bois: car la Patrologie latine, qui a publié cet écrit, ne le commence qu'au chapitre dixième, t. cxxiv, p. 911.

[ocr errors][merged small]

postolicité des Églises des Gaules. Il était originaire du Maine et n'avait pu manquer de connaître les écrits d'Odon de Glanfeuil. De plus cet écrivain avait intérêt à nier la mission du disciple de saint Benoît, car il s'appliquait à mettre en relief le grand rôle, qu'avait joué son propre héros, saint Maximin de Micy, et voyait en saint Maur un de ses rivaux. Or, cependant Létald n'a pas hésité à reconnaître que saint Maur, le fondateur de Glanfeuil, était le propre disciple du Patriarche des moines d'Occident'.

On le voit donc, les objections de la critique n'ont que l'apparence de la solidité. En réalité, elles se retournent contre ceux qui les ont mises en avant. Reste la question des chartes suspectes qui se rencontrent dans le double Cartulaire de Glanfeuil et de Saint-Maur-des-Fossés, je vais en faire l'objet d'un paragraphe spécial, et y trouver, je crois, une preuve nouvelle de l'authenticité de la mission de saint Maur et une preuve qui vaut par elle-même indépendamment d'Odon de Glanfeuil.

[blocks in formation]

L'authenticité de la mission de saint Maur établie par trois chartes du IX* siècle.

La présence de quelques chartes suspectes dans les Cartulaires est chose, on le sait, très fréquente. Elle doit être prise en considération par la critique, elle autorise à contrôler plus sévèrement les documents que renferment les Cartulaires où elles se rencontrent. Mais il y aurait exagération à aller audelà, et à conclure, par exemple, d'un ou deux faits isolés que tel ou tel cartulaire ne renferme que des pièces sans valeur. Appliquant ces principes incontestés aux deux cartulaires, dont je m'occupe, j'affirme en toute assurance que la plupart des chartes que nous offre l'un et l'autre Cartulaire, sont authentiques et dignes de faire autorité. Tel est en particulier

De miraculis S. Maximini, no 5. Patrologie latine, t. cxxxvII, p. 799.

« PreviousContinue »