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ODON DE GLANFEUIL

ET

L'AUTHENTICITE DE LA MISSION DE SAINT MAUR

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État de la Question. — § 1. Biographie d'Odon de Glanfeuil. Bonne foi d'Odon et son zèle de la vérité. - § 3. Les objections de la critique. § 4. L'authenticité substantielle de la Vie interpolée de saint Maur prouvée par les documents diplomatiques du IXe siècle. traditions du Mont Cassin et la Vila S. Mauri, auctore Fausto. Résumé et Epilogue.

$5. Les

ODON DE GLANFEUIL

ET

L'authenticité de la Mission de saint Maur.

Odon, qui fut successivement abbé de Glanfeuil, en Anjou (862-868), et des Fossés-les-Paris (868-880), était de son vivant en grande estime auprès des évêques et des rois', et la postérité lui voua longtemps la même estime. Mais les choses ont un peu changé depuis la seconde moitié du XVIIe siècle. A cette date, Lecointe d'abord2, Baillet ensuite, puis Oudin*,

1 Gallia Christiana, t. vi, p. 286 et 287, t. xiv, p. 688.
"Annales Ecclesiæ Francorum, t. I, anno 584, no 1 et suiv.

3 Vies des Saints, 15 janvier.

Scriptores ecclesiastici, t. 11, p. 323 et 324.

révoquèrent en doute la bonne foi et la science de l'hagiographe à propos de saint Maur de Glanfeuil. L'honneur de l'écrivain fut vengé, il est vrai, avec éclat par Mabillon et Ruinart', par Alexandre Politius, et par d'autres encore. Mais l'accusation ne vient pas moins d'être renouvelée et aggravée par un jeune écrivain, qui n'a pas craint de présenter ledit Odon comme un odieux faussaire, en prétendant hardiment qu'avant 845, Glanfeuil honorait comme son fondateur un saint Maur quelconque, peut-être même saint Maurille d'Angers, nullement le disciple de saint Benoît3.

Les moines des Fossés-les-Paris, ajoute-t-on, étant venus alors s'établir à Glanfeuil, conçurent l'idée de faire de ce Maur le disciple de saint Benoît, et Odon de Glanfeuil n'eut qu'à mettre la dernière main à cette œuvre de mensonge".

La question est de savoir si en tenant ce langage la critique n'a point étrangement interverti les rôles, et transformé, en faussaire, un simple interpolateur de bonne foi et plus maladroit que coupable. Je m'explique. A mes yeux, Odon de Glanfeuil a interpolé une ancienne Vie de saint Maur, il en a reva le style, et probablement ajouté à tort quelques noms propres et quelques dates. Mais, en agissant de la sorte, if remplissait un rôle honoré et estimé à cette date, il ne faisait qu'imiter ses contemporains les plus illustres, Alcuin, Eginhard, Hincmar de Reims. Dans tous les cas, il n'est pas un faussaire. Telle est ma conviction, et j'espère la faire partager au lecteur et par là mettre à l'abri de toute nouvelle attaque l'authenticité de la Mission de saint Maur.

Je dois ajouter, pour mieux prévenir les attaques nouvelles de la critique, que la certitude de la venue dans les Gaules du disciple de saint Benoît ne relève pas nécessairement d'Odon de

1 Annales O. S. B., t. 1, p. 186 et 187, et un Appendice, p. 624-654. Florence, 1751, 15 janvier.

› Martyrologium romanum illustratum.

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Glanfeuil. Bien au contraire, prise en elle-même,elle repose sur des documents et des témoignages qui n'ont rien de commun avec ledit Odon et ses écrits; elle repose sur des documents et des témoignages, dont l'autorité n'aurait jamais été mise en suspicion, si les écrits d'Odon n'avaient pas existé, et n'avaient fourni à la critique un prétexte d'attaque plus ou moins plausible.

Telle est la double conclusion, à laquelle je suis arrivé après une étude attentive de toutes les pièces, dont il s'agit; et, cette conclusion je voudrais naturellement la faire adopter par le lecteur. De là la présente étude critique sur l'authenticité de la mission de saint Maur.

Je commencerai par retracer brièvement la biographie de l'auteur qui est ici en jeu.

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Biographie d'Odon de Glanfeuil (810? 880?)

Les renseignements biographiques sur Odon de Glanfeuil sont fort peu abondants. Mais ce qui en ressort au moins avec grande probabilité, c'est en premier lieu qu'il devait être originaire du Maine', c'est en second lieu qu'il fit de bonnes études, et acquit une certaine érudition. On ignore à quelle époque précise il se fit moine à Glanfeuil. Toutefois ce ne fut pas selon toute apparence avant 845, car son nom ne figure pas sur la charte du seigneur breton Anowareth, qui est de 8432. Et, d'autre part, nous savons par son propre aveu qu'il n'assistait pas en 845 à une première translation du corps de saint Maur, qui consista à le porter du côté méridional de l'autel au côté oriental3.

Quoi qu'il en soit d'ailleurs de la date de la profession mc

Il a dédié son double écrit à Adelmode, archidiacre du Mans, et connaît la localité qui aurait dû être le séjour de saint Maur, si la mort de l'évêque du Mans, saint Innocent, n'avait modifié l'état des choses. Vie de saint Maur, n 37.

2 Je reviendrai plus bas sur cette charte.

3 Miracles de saint Maur, n° 17 et 18.

nastique de notre Odon, ce qui paraît bien prouvé, c'est que sa vertu et ses talents ne tardèrent pas à lui concilier l'estime de ses frères en religion, puisqu'ils se plurent à le choisir pour leur supérieur dans le courant de l'année 862 au plus tard. De fait Odon assista en cette qualité (juillet 862) au Concile national de Soissons et son nom figure parmi les Pères de cette imposante assemblée'. Or il va de soi, qu'ici pareil honneur ne lui aurait pas été accordé s'il n'avait pas déjà été promu à cette date à la dignité abbatiale.

Peu après cette élévation, les moines de Glanfeuil, menacés par les Normands, se décidèrent à chercher un asile plus sûr que Glanfeuil pour eux et pour leur trésor le plus précieux, le corps de saint Maur. Ce fut Odon, qui présida en personne à cet exode douloureux. Les fugitifs firent une première halte, mais de quelques jours seulement, dans un lieu appelé Scamaratum3, qui n'a pu encore être identifié. De là ils passèrent dans le diocèse de Séez, et séjournèrent pendant une année et demie au Merle dans une propriété particulière de Glanfeuil. Après quoi, comme ils ne s'y trouvaient plus en sûreté, ils reprirent leur course vagabonde, et vinrent en 863 faire une nouvelle halte, celle-ci de trois années et demie sur les bords de la Saône.

Ce fut pendant ce séjour en Bourgogne que notre hagiographe se trouva en relation avec des pèlerins, qui revenaient de Rome, et regagnaient leur pays natal, les environs du mont Saint-Michel". L'un d'eux, nommé Pierre, rapportait

1

Concilia, Edition Mansi (Venise, 1730) t. x, p. 219. La suscription porte : Odo, Abbas Fossatensis, sans doute parce que le titre abbatial de Glanfeuil ayant été momentanément supprimé en 87, comme il sera dit plus bas, les copistes lui ont attribué celui d'abbé des Fossés comme s'il en avait joui dès 862. La même remarque s'applique à d'autres suscriptions du même Odon des années 863 et 866.

Miracles de saint Maur, no 8.

3 Ibidem.

Ibidem, no 30.

• Ibidem, no 32.

• Vie latine de saint Maur, Lettre à Adelmode.

d'Italie entre autres vies de Saints une copie de celle de saint Maur par le moine Fauste'. Odon et son ami Adelmode, il importe de le remarquer, connaissaient depuis longtemps au moins de réputation le prix de cet écrit et désiraient vivement se le procurer, mais il est probable qu'il s'était perdu à Glanfeuil vers 770 à l'époque des dévastations de Gaidulfe. Aussi Odon le paya assez cher bien que l'exemplaire, qu'on lui proposait fut en mauvais état, et déparé par beaucoup d'incorrections". Odon fit plus encore. Comme le style de l'écrit n'était pas de son goût, il entreprit sur-le-champ de le polir et de le purger de toute erreur de copiste. Vingt jours furent employés à ce travail qui a été si diversement apprécié par la postérité.

Mais revenons à la translation du corps de saint Maur. Ce corps fut apporté à Paris dans le courant de l'année 868, par ordre de Charles le Chauve et déposé dans l'abbaye des Fossés-les-Paris, qui s'appelait alors Saint-Pierre-des-Fossés et prit plus tard le nom de Saint-Maur-des-Fossés à cause de l'éclat des miracles du saint, et des hommages extraordinaires de piété dont il était entouré.

Cette nouvelle translation fut encore présidée par Odon en

Vie latine de saint Maur, Lettre à Adelmode.

De repertione (non invitation) Vita S. Mauri, nobilisque ejus conversationis, unde frequens inter nos (ut recolis) sermo habitus est, certam reddere cupiens tuam fraternitatem, Ibidem, no 1.

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quater

In sportula cujusdam clerici, qui vocabatur Petrus, reperi nunculos nimis pene vetustæ consumptos, antiquaria et obtusa olim manu conscriptos, scilicet vitam... B. Mauri, quos vix emerui datis non paucis redimere nummis, Lettre citée, no 3.

Et quia tam inculto sermone, quam vitio scriptorum depravati videbantur (isti quaterniunculi), vitam B. Mauri prout potui corrigere satagens viginti dierum plus minusve labore consumpto.

Salva fide dictorum et miraculorum inibi repertorum. Ibidem.

5 Miracles de saint Maur, no 2 et 33. L'ordre royal portait explicitement que le corps serait transféré non de la Bourgogne où il se trouvait alors, mais de Glanfeuil même, qui était son propre séjour. (Bouquet, t. vin, p. 609). C'était sans doute pour prévenir et rendre vaine toute réclamation de la part de Glanfeuil.

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