Page images
PDF
EPUB
[graphic]

même temps au vendeur, « c'est une théorie que repoussent le simple, bon sens et la raison de l'homme le moins versé dans l'étude des lois (1). Enfin, la Cour de cassation elle-même a, jusqu'à un certain point, autorisé les interprètes du Code à considérer l'un de ses arrêts que nous avons eu déjà l'occasion d'apprécier au n° 516) comme conforme à cette doctrine, en disant « qu'il est contre l'essence du contrat de vente que le vendeur retienne la propriété, et que la faculté même qu'il se réserve de recouvrer cette propriété suppose nécessairement qu'il l'a perdue; que de ces principes incontestables résulte la consé quence que l'acquéreur seul a sur le bien vendu le jus in re, c'est-à-dire le droit d'aliéner et d'hypothéquer, avec la chance toutefois que présente la clause résolutoire; tandis que le vendeur dessaisi n'a plus que le jus ad rem dans l'action qu'il s'est réservée (2)...... » La vérité est cependant que le vendeur en réméré a sur l'immeuble par lui vendu un droit suspendu par une condition, un droit conditionnel qui se réalisera à son profit s'il exerce le réméré; et, le réduire à n'avoir que le simple jus ad rem dont il est parlé dans les motifs de l'arrêt rendu par la Cour suprême et dans ceux des autres arrêts cités, n'est-ce pas méconnaître une situation réglée par la loi dans des dispositions qui ne nous semblent pas permettre l'équivoque?

Il est de principe, en effet, que la vente en réméré ne transmet à l'acquéreur qu'une propriété résoluble; l'acquéreur est propriétaire. sous une condition résolutoire; tout le monde reconnaît cela, et les arrêts des Cours de Colmar, de Besançon et de Bordeaux, qui ont consacré l'opinion de M. Grenier, le disent eux-mêmes dans leurs motifs. Or cela seul suffirait, car il est de toute évidence que la propriété sous. condition résolutoire implique une autre propriété sous condition sus-.. pensive; il y a là une corrélation nécessaire, et dans tous les cas où un immeuble appartient à une personne sous condition résolutoire, on peut dire qu'il y a une autre personne à laquelle ce même immeuble appartient sous condition suspensive. Quelle est cette autre personne dans notre espèce? C'est évidemment le vendeur. Et en effet, le Code nous

(1) Doc. hyp. (t. III, p. 242).

(2) Ce sont quelques-uns des motifs de l'arrêt du 21 décembre 1825 par lequel a été rejeté le pourvoi dirigé contre l'arrêt cité déjà de la Cour de Besançon du 22 novembre 1822. Cependant nous avons fait remarquer plus haut que la Cour de cassation n'avait pas eu et ne s'était pas attachée à résoudre la question dont nous parlons ici. Dans. l'espèce, il s'agissait de statuer sur le sort d'une inscription prise sur les biens présents et à venir d'un débiteur en vertu d'un jugement rendu contre ce débiteur après qu'il avait vendu l'un de ses immeubles, mais avant l'expiration du délai stipulé pour l'exercice du rachat qu'il s'était réservé d'effectuer; et le créancier qui prétendait faire porter son hypothèque judiciaire sur cet immeuble après le rachat, se trouvait en présence, non pas du vendeur lui-même, mais d'un cessionnaire auquel celui-ci avait cédé le droit d'exercer le réméré et qui l'avait exercé. En cet état, l'arrêt a décidé que l'hypothèque judiciaire ne s'étend pas, au profit du créancier du vendeur, sur l'immeuble acquis par lo cessionnaire, en vertu du pacte de réméré, ou, en d'autres termes, que le créancier hypothécaire du vendeur à réméré n'est pas créancier hypothécaire du cessionnaire. La solution cst exacte, nous l'avons montré plus haut (voy. n° 516). Les motifs seulement, du moins ceux que nous reproduisons ici, peuvent être critiqués.

[ocr errors]

dit, dans l'art. 1664, que « le vendeur à pacte de rachat peut exercer son action contre un second acquéreur, quand même la faculté de réA méré n'aurait pas été déclarée dans le second contrat; » il nou dit encore, dans l'art. 1673, que « lorsque le vendeur rentre dans son héritage par l'effet du pacte de rachat, il le reprend exempt de toutes les charges et hypothèques dont l'acquéreur l'aurait grevé. » Et qu'est-ce. à dire, sinon que le vendeur, dans le cas de vente en réméré, reste là avec son droit de propriété, à côté de l'acquéreur dont la propriété est résoluble; droit conditionnel, sans doute, mais dont l'énergie est telle que s'il se réalise par l'accomplissement de la condition, c'est-àdire par l'exercice du réméré, la vente primitive sera anéantie et në laissera aucune trace, si bien que le vendeur continuera d'être proprié taire et n'aura pas cessé de l'être. Assurément nous sommes, loin de ce jus ad rem dont parlent les arrêts; et le droit du vendeur pendant le délái du réméré est bien réellement un droit suspendu par une condition. Cela étant, la question est résolue par notre article même puisqu'il accorde formellement à celui dont le droit est suspendu par une condition, la faculté de conférer une hypothèque soumise à la même condition. Le vendeur en réméré peut donc constituer hypothèque, et à l'exception de M. Grenier, tous les auteurs sont de cet avis (1):

[graphic]
[ocr errors]

A

A la vérité, l'acquéreur lui-même, coinme nous l'allons voir tout à l'heure, pourra de son côté conférer hypothèque sur l'immeuble pendant le délai du réméré. Est-ce là une singularité monstrueuse, comme l'a dit la Cour d'Angers? Et cette Cour y a-t-elle bien réfléchi quand elle a avancé qué c'est là une théorie que repoussent le simple bon sens et la raison de l'homme le moins versé dans l'étude des lois? Nous ne le pensons pas; et la Cour d'Angers se fût abstenue sans doute de sa critique, qui d'ailleurs a pour elle le sentiment d'un seul auteur dont tous les autres combattent la doctrine, si elle eût pris garde à l'économie de ce texte si positif. Encore une fois, il ne dit pas seulement que ceux qui ont sur un immeuble un droit résoluble peuvent consentir une hypothèque, il dit aussi que ceux-là le peuvent également qui ont sur l'immeuble un droit suspendu par une condition, sauf que l'hypothèque consentie dans ces diverses situations est soumise aux conditions mêmes qui affectent le droit des constituants. Et comme il n'est pas possible de faire abstraction de ce texte, ni d'en restreindre la portée, il faut bien admettre que, dans le cas de vente en réméré, l'acquéreur et le vendeur à la fois peuvent donner hypothèque, pendant le délai du réméré, sur l'immeuble qui a fait l'objet de la vente, l'un parce qu'il est dans la condition de ceux dont le droit est résoluble, et l'autre parce qu'il est dans le cas de ceux dont le droit est suspendu par une condition..

Et maintenant, que l'hypothèque consentie soit par l'un, soit par

(1) Voy. MM. Tarrible (Rép., v° Hyp., séct. 2, 83, art. 3, no 5), Delvincourt (t. III, p. 292, note 4), Persil (art. 2118, n° 4), Dalloz (p. 120, n° 6), Duranton (t. XIX, n° 278), Valette (p. 202), Troplong (n° 469), Taulier (t. VII, p. 256), Martou (n° 964), Duvergier (De la Vente, n° 29). Voy. aussi Bruxelles, 10 nov. 1815, 15 juin 1818; Douai, 22 juill. 1820.

[ocr errors]

l'autre, donne au créancier une garantie très-imparfaite, nous le voulons bien: et à ce point de vue, nous dirons volontiers avec Marcadé (sur l'art 1659, n° 2) que le créancier qui, pendant le délai convenu pour le retrait de l'immeuble vendu en réméré, voudrait acquérir une hypothèque sur cet immeuble, n'aurait de sécurité qu'en se la faisant concéder tout à la fois et par l'acheteur et par le vendeur. Mais cette idée que l'hypothèque ne doit être efficace qu'à cette condition, efficace en toute hypothèse, c'est-à-dire contre l'acquéreur, si, le retrait n'ayant pas lieu, c'est lui qui demeure propriétaire, et contre le vendeur au contraire si, le retrait ayant licu, celui-ci se trouve avoir toujours eu la propriété; cette idée, disons-nous, n'est nullement exclusive de cette autre idée que le vendeur seul peut aussi bien que l'acquéreur seul, et chacun de son côté, constituer l'hypothèque : sculement, alors l'hypothèque donnera une garantie incertaine et tout à fait subordonnéo à l'événement; mais c'est l'affaire du créancier, et, s'il veut bien se contenter du gage qu'on lui donne, s'il veut accepter l'affectation hypothécaire avec toutes ses chances, ses incertitudes, ses éventualités, il en est bien le maître assuréntent: nous ne voyons pas un seul texte et pas une seule considération vraiment sérieuse dont on puisse s'autoriser pour y faire abstacle.

640. Signalons, en terminant sur la première disposition de notre article, un cas qui, s'il ne présente pas de difficulté sérieuse dans l'application, a éveillé l'attention à diverses reprises à cause des inconvénients et des dangers qui y sont attachés. Nous voulons parler du cas où une hypothèque est conférée par un communiste pendant la durée de l'indivision. Le cohéritier, ou tout autre copropriétaire indivis, a certainement avant le partage, un droit de propriété qui lui permet de conférer hypothèque; et rien ne s'oppose à ce que, s'il use de ce droit, il restreigne l'hypothèque qu'il consent à la scule portion qu'il pos⚫ sède dans l'immeuble au moment de son obligation, par exemple, à la moitié si l'immeuble indivis doit être partagé par portions égales entre deux copropriétaires. La Cour de cassation a très-exactement décidé, dans ce sens, que lorsqu'un immeuble est indivis entre deux copropriétaires, si l'un des deux convient de grever d'hypothèque la moitié qui lui appartient, il n'y a toujours que moitié spécialement affectée à l'hypothèque; en sorte que si l'immeuble vient à être licité, et si le constituant reste propriétaire de la totalité, il n'en résulte pas extension de l'hypothèque, l'événement ne faisant pas que le créancier qui, par la convention spéciale, avait une hypothèque restreinte à moitié, ait, par la force de la loi, obtenu une hypothèque étendue à la totalité (1). C'est

[graphic]

(1) Voy. Cass., 6 déc. 1826. Il a été décidé, dans le même sens, que la part revenant à chacun des membres d'une compagnie dans des marais communaux dont cette compagnie a entrepris le desséchement peut, après ce desséchement terminé et le partage opéré entre la commune et la compagnic, Ctre hypothéquée par chacun des associés, bien qu'aucun partage n'eût été encore fait entre eux. Rej., 8-fév. 1847 (Dev., 48, 1, 43).

une conséquence toute naturelle du principe de la spécialité posé dans l'art. 2129 auquel nous allons arriver.

Mais le copropriétaire peut aussi conférer hypothèque sans rien préciser, le droit éventuel qu'il a sur la totalité des immeubles compris dans l'indivision le plaçant dans la condition à laquelle est subordonnée la capacité d'hypothéquer. Le même arrêt dit cela dans ses motifs, et il a toute raison de le dire: seulement, comme ce droit est éventuel l'existence de l'hypothèque est éventuelle également; elle est subor donnée à l'événement du partage et à ses éventualités. C'est en ceci que la situation rentre dans les prévisions de notre article.

Ainsi, la fiction de l'art. 883 du Code Napoléon agissant ici, l'existence ou l'efficacité de l'hypothèque dépendra du partage qui déclarera la propriété des copartageants. L'immeuble grevé de l'hypothèque entre t-il, par l'effet du partage, dans le lot de celui des copartageants qui a constitué l'hypothèque, l'affectation hypothécaire est consolidée, et le créancier aura son hypothèque du jour où elle aurait été inscrite, parce que le débiteur qui l'a constituée est censé, par la fiction de la loi, avoir été toujours propriétaire de l'immeuble grevé; l'immeuble passeil dans un autre lot que celui du débiteur, l'hypothèque disparait et ef face complétement de l'immeuble, sur lequel elle ne laisse pas la moindre trace, parce que le débiteur est censé n'avoir jamais été propriétaire de cet immeuble, et n'a eu jamais, par conséquent, la capacité de l'hypo théquer (1).

Ce sont là des conséquences nécessaires du principe posé dans l'art. 883 du Code Napoléon. Mais on ne peut méconnaître qu'elles présentent, comme nous le disions tout à l'heure, d'assez graves inconvénients: La Cour et la Faculté de Rennes les signalaient dans leurs Observations sur les projets de réforme de 1841. Les créanciers d'un copartageant, disaient-elles, ne sont pas toujours en mesure de prévenir, par l'opposition que l'art. 882 les autorise à faire, la confection d'un partage; ils sont souvent trop éloignés pour connaître l'ouverture de la succession; quelquefois aussi les cohéritiers les gagnent de vitesse, car, quand ceuxci sont tous majeurs, un partage sous seing privé, avec date certaine, peut être fait immédiatement, et l'on a vu des cas nombreux où la collusion du débiteur avec ses cohéritiers a détruit de la manière la plus déplorable les garanties qu'il avait éventuellement données à ses créanciers (2). Divers moyens ont été présentés comme susceptibles de prévenir ces dangers ou ces fraudes; et peut-être y en aurait-il de praticables, par exemple'si, comme la Cour de Rennes en exprimait le désir, la loi disposait que l'inscription vaudrait opposition à tout partage, de telle sorte que les cohéritiers fussent tenus d'appeler les créanciers inscrits. Mais à défaut de ces précautions et de toutes autres, il s'en faut

[graphic]

tenir au texte de la loi.

(1) Voy. Aix, 23 janv. 1835 (Dall., 33, 2, 102).
(2) Doe. hip. (t. I, p. 466; t. III, p. 292 et 293).

641. Indépendamment du cas dont nous venons de parler, notre article, comme nous l'avons dit, en prévoit un autre, qui est celui où le droit sur l'immeuble est résoluble ou sujet à rescision. Mais, comme cela résulte aussi des observations qui précèdent, ce cas est complexe et suppose deux positions parfaitement distinctes: celle du détenteur, dont le droit est résoluble ou susceptible d'être annulé ou rescindé; et celle du demandeur au profit duquel la résolution, la nullité ou la rescision peut avoir lieu. Avant de nous occuper de la première de ces deux positions, spécialement prévue par notre article, disons quelques mots de la seconde.

642. Celui qui, sans avoir actuellement la possession d'un immeuble, a le droit de s'en faire reconnaître propriétaire au moyen d'une action en revendication, en nullité ou en rescision, peut-il, même avant d'exercer son action, conférer une hypothèque sur l'immeuble? Et s'il le peut, quel sera le caractère et la portée de l'affectation hypothécaire qu'il aura consentie? Si nous nous reportons aux observations qui précèdent, ces questions se trouvent maintenant résolues. La position supposée ne diffère pas essentiellement de celle dans laquelle se trouvent ceux qui ont sur l'immeuble un droit suspendu par une condition: la condition, ici, c'est le succès de l'action à introduire. On peut dire dès lors que si la seconde disposition de notre article est étrangère à ce cas en ce qu'elle ne parle que de l'hypothèque consentie par le détenteur de l'immeuble grevé, soit d'une condition résolutoire, soit d'une cause de nullité ou de rescision, la première s'y applique directement et donne le droit de constituer hypothèque à celui au profit de qui peut se résoudre la condition ou la cause d'éviction

Ainsi, vous détenez indùment la maison que possédait mon père, dont je suis l'héritier, et j'ai une action en revendication de cette maison; ou bien encore, je vous ai vendu ma maison, mais j'ai été induit en erreur lorsque j'ai vendu, ou mon consentement m'a été surpris ou arraché par dol ou violence, et j'ai une action en rescision de la vente que je vous ai consentie dans toutes ces situations et dans toutes celles où je pourrai faire reconnaître mon droit de propriété au moyen d'une action analogue, il me sera permis de conférer éventuellement une hypothèque sur l'immeuble qui, un peu plus tôt, un peu plus tard, sera l'objet de ma demande.

643. Mais ici, comme dans tous les cas où le droit sur l'immeuble est suspendu par une condition, le sort de l'hypothèque sera subordonné aux événements ultérieurs. Nulle et non avenue si l'action introduite n'aboutit pas, et se trouve repoussée par jugement, l'hypothèque sera pleinement confirmée, au contraire, si le jugement accueille la demande; elle deviendra certaine et fixe, d'incertaine et éventuelle qu'elle était; et, si elle a été conservée par l'inscription, l'hypothèque prendra son rang du jour même où elle aura été inscrite, parce que le jugement qui a statué sur la demande n'a fait que déclarer le droit du demandeur, en sorte qu'en réalité l'hypothèque a été consentie sur l'immeuble par celui qui en était propriétaire ab initio,

« PreviousContinue »