l'intérêt de Fayole. Et en effet il intervint un arrêt, le 29 juillet 1829, par lequel il fut ordonné que la terre de Montrem serait partagée entre Froidefond et l'héritière de Fayole, ou le sieur Gas, cessionnaire de celle-ci, dans la proportion existant entre les 322,000 fr., prix de l'adjudication, et les 200,000 fr. montant de la créance fictive de Froidefond. Le partage cut lieu d'après ces bases. Ce fut alors que divers créanciers de Froidefond, auxquels celui-ci avait conféré sur la terre de Montrem des hypothèques inscrites longtemps avant que la contre-lettre fùt connue, firent procéder à la saisie des immeubles. La saisie fut bientôt suivie d'une demande, par le sieur Gas, en distraction de la portion à lui attribuée en vertu de l'arrêtde 1829. Les saisissants soutinrent en vain que l'acte qui avait servi de base à l'arrêt de 1829, étant une contre-lettre, ne pouvait être opposé aux tiers, qui avaient traité avec Froidefond sous la foi d'une adjudication publique formant son titre de propriété la prétention élevée par le sieur Gas n'en fut pas moins accueillie par un arrêt de la Cour de Bordeaux en date du 12 août 1833, sur ce motif principalement « que Froidefond était constitué mandataire par la contre-lettre de 1792; que` par conséquent l'acquisition de la terre de Montrem était censée faite pour le compte et par l'ordre du mandant, jusqu'à concurrence des 200,000 fr. qui représentaient son droit de propriété sur la terre de Neuvic; et que Froidefond n'avait pu transmettre à autrui plus de droits qu'il n'en avait lui-même. » Les hypothèques dont excipaient les créanciers saisissants se trouvaient ainsi annulées. Mais sur le pourvoi dont il a été l'objet, l'arrêt de la Cour de Bor-` deaux a été cassé (1). Et il faut dire que les créanciers se présentaient dans des circonstances essentiellement favorables. D'une part, le débiteur avec lequel ils avaient traité possédait l'immeuble hypothéqué en vertu d'un acte public de vente; d'un autre côté, le propriétaire réel ne puisait son droit que dans une contre-lettre, titre toujours dépourvu d'effet à l'égard des tiers (Code Napoléon, art. 1321). Dans cette situation, on comprend que la Cour de cassation ait pu regarder le droit des créanciers comme préférable à celui du propriétaire réel ou de ses ayants droit. Néanmoins, nous ne voudrions pas dire qu'elle a été déterminée ici par les circonstances de la cause. Nous croyons plutôt qu'elle s'est inspirée en ceci de sa jurisprudence sur la grave question de savoir si, lorsque des immeubles ont été aliénés par celui qui n'en était que pro priétaire apparent, le propriétaire réel, ses héritiers ou ayants cause peuvent, en se représentant avant la prescription accomplie, agir contre l'acquéreur pour revendiquer les biens. La Cour s'est prononcée constamment pour la négative sur cette question si gravement controversée, en doctrine et en jurisprudence (2); et c'est sans doute en partant de (2) Voy. l'arrêt du 3 août 1815 et les trois arrêts du 16 janvier 1843 (Dov., 43, 1, 97 et suiv.; Dall., 43, 1, 49 ct suiv.). Junge Montpellier, 18 janv. 1827 et 11 janv. cette jurisprudence qui tient pour valables, à l'égard des tiers de bonne foi, les ventes consenties par le propriétaire ou l'héritier apparent, qu'elle a été amenée ici à considérer comme valables également les hypothèques ayant la même origine. Du reste, ce n'est pas l'induction qu'on pourrait critiquer: l'hypothèque n'étant pas autre chose qu'une 'aliénation, la question est pour elle ce qu'elle est pour la vente, et doit se résoudre par les mêmes principes. Mais est-elle exactement résolue par la jurisprudence de la Cour de cassation? Nous ne le pensons pas. Nous tenons, avec Marcadé, dont l'opinion a aussi de très-nombreux appuis en doctrine et en jurisprudence (1), qu'en logique comme en droit, on ne peut transférer à autrui des droits qu'on n'a pas soi-même; que les art. 1599 et 2182 du Code Napoléon qui consacrent le principe, ne font en cela que proclamer des idées indiquées par le simple bon sens; que le propriétaire apparent n'est pas le propriétaire véritable; et que, la bonne foi de ceux qui ont traité avec le premier ne pouvant rien changer à cela, il faut reconnaître, au second ou à ses héritiers quand ils se présentent avant l'accomplissement de la prescription, le droit de revendiquer ou reprendre la chose contre tous détenteurs auxquels elle a été indûment transférée. Après les observations détaillées que Marcadé a consacrées à établir ce point de droit (voy. t. I, n° 472), il serait hors de propos d'insister davantage et appliquant aux constitutions d'hypothèques par le propriétaire apparent la théorie qu'il a développée à propos des actes d'aliénation, nous disons qu'elles doivent tomber, en principe, parce, qu'il faut être propriétaire pour constituer une hypothèque valable, et que cette condition, l'un des éléments essentiels de la capacité, manque à celui qui n'est que propriétaire apparent. IV. 632. Ceux qui n'ont sur un immeuble qu'un droit d'administration ou de jouissance ne sont pas propriétaires, et dès lors on pourrait dire, au premier aperçu, que l'hypothèque par eux constituée sur l'immeuble est nulle, comme portant aussi sur la chose d'autrui. Néanmoins il n'en est pas ainsi, du moins d'une manière absolue; et il y a ici d'importantes distinctions à signaler. 633. Quant à l'administration d'abord, elle peut être conventionnelle ou légale. Les mandataires, les gérants d'affaires, les gérants ou les liquidateurs de sociétés, etc., sont des administrateurs convention 1830; Toulouse, 5 mars 1833 et 21 déc. 1839; Rouen, 25 mars 1839; Aix, 23 déc. 1843; Paris, 29 janv. 1848 et aussi 12 avr. 1823. — Voy. encore MM. Merlin (Quest., vo Hérit., 3), Chabot (art. 756, no 18), Duvergier (De la Vente, t. I, no 225), Malpel ` (no 210 et suiv.), Poujol (art. 756, n° 10), Demolombe (t. I, no 252), Carette (Rec. Dev. et Car., 36, 2, 293), Devilleneuve (43, 1, 97). Voy. aussi les Observations de la Cour d'Angers (Doc. hyp., t. III, p. 289 et suiv.). (1) Voy. Poitiers, 10 avr. 1832; Bordeaux, 24 déc. 1834; Orléans, 27 mai 1836; Montpellier, 9 mai 1838; Rennes, 12 août 1844; Colmar, 18 janv. 1850 (Dev., 51, 2, 533). Voy. aussi MM. Toullier (t. IV, n° 286 et suiv.; t. IX, p. 541 et suiv.), Grenier (t. I, no 51), Troplong (De la Vente, t. II, no 960, ct Des Hyp., no 468), Duranton (t. XIX, no 352), Vazeille (art. 756, no 2), Championnière (Revue de législ., annéc 1843, t. I, p. 238). nels; les maris, les tuteurs, les envoyés en possession provisoire, les héritiers bénéficiaires, etc., sont des administrateurs légaux. Que les premiers ne puissent pas grever hypothécairement les immeubles des personnes dont ils gèrent ou administrent les affaires, c'est de toute évidence. La concession d'hypothèque est un acte de disposition et de propriété; or ces administrateurs n'ont ni la disposition ni la propriété de la chose. Ainsi, le mandataire ordinaire, eût-il une procuration générale, ne peut pas hypothéquer les immeubles de son mandant; car le mandat conçu en termes généraux ne comprend que les actes d'administration (Code Napoléon, art. 1988); et, à moins que le mandataire n'ait reçu un pouvoir spécial et exprès à l'effet d'hypothéquer (même article), l'hypothèque qu'il aurait consentie sur les immeubles du mandant serait nulle. Ainsi en serait-il, et par les mêmes motifs, de l'hypothèque conférée par le negotiorum gestor sur les biens. de celui dont il gérerait les affaires. Ainsi encore de celle qu'aurait donnée sur les immeubles sociaux le liquidateur d'une société dissoute, lequel est assimilé, par la jurisprudence, au mandataire ordinaire (1). -Ainsi enfin de l'hypothèque consentie par l'administrateur même de la société, pendant qu'elle est debout, sur les immeubles en dépendant; car, comme le dit encore la jurisprudence, l'administrateur d'une société n'est lui-même qu'un mandataire, et, pour qu'il hypothèque valablement, il faut que la société lui en ait donné le pouvoir exprès, soit dans l'acte qui la constitue, soit par une décision ultérieure des associés régulièrement réunis en assemblée générale (2). Mais autre chose est-il des administrateurs légaux. Ceux-ci ont des pouvoirs plus ou moins étendus, qui, pour quelques-uns, vont même jusqu'aux soins de la personne qu'ils représentent. Fallait-il, lorsqu'ils agissent en leur qualité d'administrateur, leur refuser aussi le droit de donner hypothèque sur les biens immeubles de ceux qu'ils représentent? Le législateur ne l'a pas pensé; ils tiennent donc de la loi le droit de grever ces biens d'hypothèques, qui (sauf l'accomplissement des formalités dans tous les cas où la loi juge à propos d'en fixer de spéciales) confèrent aux créanciers toutes les prérogatives attachées à l'hypothèque; et l'on ne peut même pas dire qu'en cela la loi s'écarte de la règle que c'est au propriétaire seul de l'immeuble qu'il appartient de l'hypothéquer, car ces mandataires légaux sont en réalité, lorsqu'ils agissent en cette qualité, la personne même qu'ils représentent, en sorte que c'est cette personne qui est censée donner elle-même l'hypothèque par l'entremise de son représentant légal (3). Ainsi en est-il du mari par rapport à sa femme, des tuteurs par rapport aux mineurs et aux interdits, des envoyés en possession provisoire par rapport à l'absent, l'héritier bénéficiaire par rapport à la succession, etc. (1) Roj., 2 juin 1836 (Dov., 36, 1, 673). (2) Req., 21 avr. 1841 (Dall., 41, 1, 222). de Junge Req., 3 mai 1853 (Dall., 53, 1, 186). — Voy. encore là-dessus MM. Persil (art. 2124, nos 8 et 9), Delangle (Des Soc., no 146), Troplong (cod., no 686), Martou (no 957). (3) Voy. Pothier (De l'Ilyp., no 48). . Toutefois, comme nous l'avons dit, ces mandataires légaux, s'ils ont le droit de constituer hypothèque, ne l'ont pas du moins d'une manière absolue; nous avons, dans notre titre même, le texte qui le limite par rapport aux tuteurs et aux envoyés en possession provisoire : c'est l'art. 2126, auquel nous renvoyons pour indiquer la mesure et les termes dans lesquels leur droit est limité (voy. infrà, no 648 et suiv.). En ce qui concerne les maris et les héritiers bénéficiaires, le droit est réglé au titre Du Contrat de Mariage et au titre Des Successions; et, sans y sister ici, nous nous bornons à de simples indications.. in Quant à l'héritier bénéficiaire, il est propriétaire, et, dans aucune hypothèse, l'hypothèque qu'il aurait conférée sur les immeubles de la succession ne doit être annulée, sauf, au profit des créanciers et légataires de la succession, les effets de la séparation des patrimoines qui s'est opérée de plein droit au moment de l'acceptation sous bénéfice d'inventaire (voy. suprà, no 301). Quant au mari, ses droits varient suivant que le mariage a été contracté en communauté ou sous le régime dotal. Est-il marié en communauté, il a une double administration, celle des biens communs et celle des biens de sa femme; la première a son principe dans la qualité de chef de la communauté, la seconde dérive de la puissance maritale: de là une différence notable dans les pouvoirs du mari suivant qu'il s'agit des immeubles communs ou des immeubles personnels à la femme; il peut hypothéquer les premiers librement, en ne prenant conseil que de lui-même, tandis qu'il ne peut hypothéquer les seconds sans le consentement de sa femme (Code Napoléon, art. 1421 et 1428). Il est toutefois une situation particulière dans laquelle ce consentement n'est pas nécessaire au mari pour hypothéquer, tandis qu'il lui est nécessaire pour aliéner: c'est quand un immeuble de la femme n'est ameubli que pour une certaine somme (Code Napoléon, art. 1507). C'est encore un des cas exceptionnels (annoncés plus haut, no 609 et 612) où la capacité d'hypothéquer n'est pas corrélative à celle d'aliéner. Le mari est-il. marié sous le régime dotal, son action se borne, en général, à habiliter la femme, par le consentement qu'il lui donne, et qui lui est toujours nécessaire, comme nous l'avons montré plus haut (voy. no 611); et son action consiste en cela, soit qu'il s'agisse d'hypothéquer les immeubles paraphernaux, soit qu'il s'agisse d'hypothéquer les immeubles dotaux, dans les cas où l'hypothèque en peut être exceptionnellement autorisée (Code Napoléon, art. 1555 et suiv.). Sans insister davantage sur ces points, qui sont, d'ailleurs, amplement développés dans le Traité du Contrat de Mariage que nous avons publié avec M. Rodière (1), nous passons au cas où le détenteur d'un immeuble n'y a qu'un droit de jouissance. 634. Nous voulons parler de l'usufruitier et du fermier ou du locataire. Et tout d'abord notons qu'il y a, au point de vue qui nous occupe, des choses acquises et qui ne peuvent pas même être mises en question. (1) Voy. t. I, nos 676, 682; t. II, nos 164, 170, 500 et suiv. Ainsi, l'usufruit appartenant à la classe des biens immobiliers, Pusufruitier peut assurément donner ce droit en hypothèque; mais assurément aussi il ne pourrait pas grever hypothécairement la nue propriété : ce serait de sa part hypothéquer la chose d'autrui. Quant'au fermier ou locataire, il a moins de droits encore: il ne peut donner hypothèque ni sur la nue propriété ni sur son droit de jouissance: sur la nue propriété, parce qu'elle appartient à un autre; sur son droit de jouissance, parce que, rentrant essentiellement dans la classe des biens mobiliers, ce droit n'est pas susceptible d'hypothèque. Tout cela est hors de doute, et c'est établi dans notre commentaire de l'art. 2118 (voy. suprà, no 378 et suiv., 385 et suiv.). Mais voici la situation qui peut se présenter. Louis a donné sa terre à bail à Joseph, qui y a fait élever des constructions considérables; plus tard, le fermier a fait des emprunts, et il a affecté à la sûreté du remboursement les constructions qu'il avait élevées. A-t-il pu le faire, et ceux qui ont prêté à Joseph pourront-ils se prévaloir de l'hypothèque qu'ils ont obtenue? La question a été portée, à une date assez récente, devant la Cour de Bruxelles, où elle a été résolue négativement, d'une manière absolue, par un arrêt dont les motifs sont pleinement adoptés par M. Martou, qui les reproduit (1). La théorie de l'arrêt se résume à ceci, que, pour faire valablement la concession d'hypothèque, il faut : 1o que la chose sur laquelle ce droit est concédé soit un immeuble; 2° qu'elle soit telle dans le chef du constituant; et que s'il peut être admis que, dans l'espèce, les bâtiments fussent immeubles au moment de la constitution d'hypo-. thèque, il faut du moins reconnaître qu'ils étaient tels, non pas dans le chef du constructeur, mais plutôt dans le chef du propriétaire du sol, par application du principe consacré par l'art. 518 du Code Napoléon. Mais le point de vue est essentiellement contestable. Si l'on considérait la position du locataire, constructeur des bâtiments, vis-à-vis du propriétaire du sol, peut-être pourrait-on dire que le locataire n'ayant à prétendre qu'à la valeur des matériaux, son droit est purement mobilier. Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit; nous ne sommes pas ici en présence du propriétaire du sol, dont le droit, d'ailleurs, ne doit s'ouvrir qu'à l'expiration du bail. Or vis-à-vis de tous autres, et jusqu'à l'expiration du bail, que sont les bâtiments et que peuvent-ils être entre les mains du constructeur? Evidemment des immeubles, si bien que la vente qu'il en fait est considérée comme immobilière pour la perception du droit d'enregistrement (2). C'est un point que nous avons établi plus haut et sur lequel nous ne voulons pas revenir ici (voy. no 359). S'ils sont immeubles entre les mains du locataire qui les a construits, c'est donc à dire que le locataire peut les donner en hypothèque, comme il pout les vendre, les céder, les échanger, etc. Maintenant s'ensuit-il que cette hypothèque sera toujours efficace (1) Bruxelles, 31 oct. 1851. Voy. M. Martou (no 955). (2) Voy. les nombreux arrêts de la Cour de cassation rendus sur ce point, et notamment ceux du 15 avril 1846 (Dall., 46, 1, 171; Dev., 46; 1, 396). |