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La preuve très-certaine qu'il n'y est pas, c'est que l'art, 6 du Code de commerce a cru devoir l'y placer exceptionnellement dans l'hypothèse qu'il prévoit.

614. De même, nous tiendrons pour nulle l'hypothèque donnée par le mineur pour sûreté d'un engagement qui aurait tourné à son avantage. Sans doute, si nous considérons l'engagement en lui-même, abstraction faite de la constitution d'hypothèque, nous ne dirons pas assurement, avec MM. Toullier et Troplong (1), que le mineur est frappé. d'une incapacité absolue et telle que le fait même de sa minorité établisse à son égard une présomption de lésion d'où découlerait pour lui le droit de demander la nullité de tous les actes qu'il aurait faits sans l'autorisation de son tuteur; au contraire, nous pensons, et nous avons essayé de l'établir ailleurs (2), conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui au surplus avait été devancée par l'opinion de la majorité des auteurs (3), qu'il faut distinguer entre certains actes que *le tuteur lui-même n'aurait pu faire sans les formalités habilitantes déterminées par la loi, et ceux dans lesquels il doit en général représenter son pupille; et que si les premiers, faits par le mineur seul, doivent être annulés sur sa demande, sans qu'il ait à établir une lésion quelconque, il en est autrement des seconds, qui ne sont rescindables, pour avoir été faits sans l'assistance du tuteur, qu'autant que le mineur prouve qu'il a été lésé et qu'il en a éprouvé un préjudice dès le principe ou par une suite directe.

Mais de là à dire que la constitution d'hypothèque est dans le même cas et qu'elle ne peut être annulée qu'autant que l'engagement auquel elle a été ajoutée par le mineur pourrait être annulé lui-même, il y a une distance qu'on ne saurait franchir.. En ceci encore, M. Duranton cst d'un avis différent (4), ce qui est une déduction nouvelle et toute naturelle de la règle qu'il a posée au point de départ. Toutefois la règle étant fausse et le principe étant, au contraire, que la capacité d'hypothequer est corrélative à la capacité d'aliéner, il faut conclure que la constitution d'hypothèque, dans notre espèce, est nulle; et bien que l'engagement lui-même subsiste, elle devra être annulée sur la demande du constituant, parce qu'elle est précisément l'un de ces actes que le tuteur lui-même n'aurait pu faire sans l'accomplissement de certaines formalités habilitantes déterminées par la loi.

(1)Voy. MM. Toullier (t. VI, n° 105 et suiv.; t. VII, no 575 et suiv.), Troplong (De la Vente, n° 166; Des Hypothèques, no 488 ct suiv.; Du Cautionnement, no 74). Junge MM. Magnin (Minor., t. II, no 1137), Demante (Progr., t. II, no 782). (2) Voy. Rev. de législ., t. XXI, p. 217 et suiv.

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(3) Voy. Rej., 18 juin 1844 (Dall., 44, 1, 687; J. P., à sa date; Dev., 44, 1, 497). - Voy. aussi MM. Merlin (Quest., vo Hyp., ¿ 4, no 3), Proudhon (Des Personn., t. II, p. 476 et 485), Delvincourt (t. II, p. 175), Duranton (t. X, no 273 et suiv., 378 et suiv.), Zachariæ (t. II, p. 434, note 7), Valette, sur Proudhon (loc. cit., p. 469), Fréminville (Minor., t. II, no 827), Taulier (t. IV, p. 444; t. VII, p. 249), Marcade (t. IV, no 885 et suiv;), Fréð, Durantòn (Rev. étrang., 1843, p. 345 et 689), Demolombe (t. VII, 812 et suiv.). .

(4) Voy. M. Duranton (t. XIX, no 347).

615. Enfin celui qui, même majeur, a été interdit pour cause de fureur, démence ou imbécilité, est, comme le mineur, auquel il est assimile par l'art. 509 du Code Napoléon, incapable de conférer hypothèque. Il en est de même du prodigue auquel un conseil judiciaire a été nommé, lorsque le tribunal, usant de la faculté qui lui est donnée par l'art, 513, a défendu au prodigue de plaider, de transiger, d'emprunter, de recevoir un capital mobilier et d'en donner décharge, d'aliener, ni de grever ses biens d'hypothèques sans l'assistance du conseil qui lui est nommé.

616. Ainsi, dans cette première classe de personnes dont la capacité civile est affectée, nous voyons qu'à l'exception de la femme et du mineur émancipé, dans le cas seulement où ils sont autorisés à faire le commerce, tous sont privés de la faculté d'hypothéquer leurs immeubles. Est-ce à dire pourtant que l'hypothèque qu'ils auraient donnéc sans le concours ou l'assistance de leurs représentants ou de leurs mandataires légaux, sans les autorisations ou les homologations exigées par la loi, serait nulle radicalement et de plein droit? Nous ne le pensons pas, et c'est l'opinion généralement admise. La constitution d'hypothèque est seulement annulable, et par çela même elle est susceptible d'être ratifiée par le constituant après la cessation de l'incapacité. "De là une question fort grave et très-vivement controversée entre les auteurs: c'est celle de savoir si la ratification a son effet du jour où elle a lieu seulement, ou si elle remonte rétroactivement au jour de la constitution d'hypothèque, de telle sorte qu'elle puisse être opposée au créancier qui aurait acquis un droit réel sur l'immeuble, dans l'intervalle qui se serait écoulé entre la cessation de l'incapacité et le jour de la ratification.

Sur ce point, nous mettrons tout d'abord à l'écart, comme à l'abri de toute controverso, le cas de ratification tacite résultant de ce que l'incapable qui avait constitué l'hypothèque ou ses ayants droit auraient laissé écouler dix ans depuis le jour où l'incapable a été relevé de son incapacité sans intenter l'action en nullité ou en rescision qui lui appartenait. On a bien soutenu que même cette sorte de ratification tacite ne peut pas être opposée au créancier dont les droits sont nés après la cessation de l'incapacité (1). Toutefois, cette doctrine est sans écho. En réalité, il s'agit ici d'une prescription. Or la prescription accomplie agit, en principe, avec effet rétroactif; et comme elle suffirait à valider un acte radicalement nul, à plus forte raison doit-elle suffire à valider rétroactivement un acte simplement annulable. La solution, du reste, est admise généralement et sans difficulté (2).

Mais dans le cas de ratification expresse, c'est tout autre chose. Voici l'espèce : Paul, encore mineur, a souscrit un engagement envers Joseph, auquel il a donné, sur sa maison de Versailles, une hypothèque qui a été immédiatement inscrite. Il a atteint ensuite sa majorité, et,

(1) Voy. MM. Grenier (t. I, no 47), Battur (t. 1, no 128).

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(2) Voy. MM. Persil (art. 2124, no 12), Dalloz (Rep., v° Hyp., p. 191, no 10), Duranton (t. XIX, no 345), Troplong (11" 502).

ayant besoin d'argent, il en emprunte à Louis, auquel il confère hypothèque aussi sur sa maison de Versailles. Louis fait inscrire son hypothèque; et, peu de temps après, Paul ratifie par un acte exprès l'engagement qu'étant encore mineur, il avait pris envers Joseph et la constitution d'hypothèque qui y avait été accessoirement ajoutée..La maison de Versailles est vendue pour un prix qui suflit à peine à satis faire l'un des deux créanciers. La question est de savoir lequel des deux aura la préférence. Sera-ce Joseph, dont le titre primitif a été ratifié? Sera-ce Louis, auquel l'hypothèque a été valablement conférée avant la ratification de l'hypothèque donnée en minorité? Là-dessus se sont pro-* duites les opinions les plus divergentes.

- D'une part, on a soutenu d'une manière absolue que si le mineur de ́venu majeur peut ratifier l'obligation et l'hypothèque par lui consenties en minorité, on ne saurait admettre du moins que la ratification, quant à l'hypothèque, ait un effet rétroactif, particulièrement quand cela pourrait nuire aux droits des tiers, l'art. 1338 disant expressément dans sa disposition finale que la confirmation, ratification ou exécution volontaire dans les formes et à l'époque déterminées par la loi, emporte la renonciation aux moyens et exceptions que l'on pouvait opposer contre l'acte confirmé, ratifié ou exécuté, sans préjudice néanmoins du droit des tiers. Selon ce système, qui paraît dominant en doctrine et en jurisprudence (1), la préférence serait accordée à Louis dans notre hypothèse. D'une autre part et dans un sens moins absolu, où l'on voit se produire encore l'influence de cette doctrine, combattue plus haut, qui mesure la capacité d'hypothéquer à celle de s'obliger, on distingue et l'on dit : « Si l'obligation hypothécaire consentie en minorité était rescindable, la ratification ne pourra préjudicier au droit des tiers intéressés à la faire rescinder, et qui pourront, en conséquence, proposer contre l'acte tous les moyens et exceptions que le mineur çût pu proposer lui-même, s'il n'eût pas ratifié; mais si l'acte n'était pas rescindable dans l'intérêt du mineur, il ne l'est pas davantage dans l'intérêt des tiers, même de ses créanciers: la ratification n'a eu d'autre effet que de dispenser celui qui a traité avec le mineur de l'obligation de prouver que l'acte n'a pas préjudicié à ce dernier; il sera toujours obligé de faire cette preuve à l'égard des tiers; mais s'il parvient à la faire, il en résultera que le mineur, même avant d'avoir ratifié, n'aurait pu demander la nullité de l'acte, et que, par conséquent, les tiers, quels qu'ils soient, ne le peuvent pas davantage (2). » Dans ce système, la préférence sera donnée à Louis ou à Joseph suivant que l'obligation principale souscrite en minorité envers ce dernier était ou n'était pas

(1) Voy. Nancy, 1er mai 1812; Paris, 12 juill. 1838 (Dev., 39, 2, 5). On peut ajouter encore un arrêt de la Cour de cassation, du 16 janvier 1837 (Dev., 37, 1, 102), dont la décision est intervenue à l'occasion de la vente d'immeubles consentie, par un mineur devenu majeur, avant la ratification d'une vente antérieure consentie en minorité. Voy. en outro MM. Persil (art. 2124, no 12), Grenier (t. I, no 42 et suiv.), Battur (t. I, p. 196), Dalloz (loc. cit., p. 190, no 9), Martou (n” 979).

(2) Ainsi s'exprime M. Delvincourt (t. II, p. 813, notes), dont l'opinion est suivie par M. Duranton (†. XIX, no 344 et suiv.).

rescindable. Enfin, dans une troisième opinion absolue comme la : première, mais en sens inverse, on se détermine par les principes généraux en matière de confirmation, et l'on, décide que la ratification a, dans tous les cas, un effet rétroactif à la date de l'acte ratifié (1); et, selon ce système, la préférence sera donnée à Joseph dans notre hypothèse.

Entre ces trois opinions, nous adoptons la dernière. C'est celle de Pothier, qui la justifie par des considérations à notre sens décisives. La loi, dit-il, n'interdisant, aux mineurs la faculté de disposer de leurs biens et de les hypothéquer que pour leurs propres intérêts, cette incapacité n'est pas absoluc, mais relative; ils sont seulement incapables de. disposer de leurs biens et de contracter sous l'hypothèque de ces mêmes. biens, en tant que la disposition qu'ils auraient faite et l'engagement qu'ils auraient contracté leur serait désavantageux; mais lorsqu'en ratifiant en majorité cet engagement, ils ont reconnu qu'il ne leur était pas. préjudiciable, l'acte et l'hypothèque dont il est accompagné doivent être regardés comme ayant été véritablement contractés, et, par conséquent, le créancier doit avoir hypothèque du jour de l'acte (2). Ajoutons que ce sont bien là les effets généraux de la confirmation, et que ceci est parfaitement conforme à l'idée que révèle une ratification, idée exprimée dans la disposition précitée de l'art. 1338 du Code Napoléon. Sans doute cet article réserve les droits des tiers; mais évidemment il ne réserve ces droits que dans les termes où ils ont été acquis. Or cette hypothèque consentie en minorité était révélée par l'inscription aux créanciers auxquels des droits réels ont été plus tard conférés par le mincur devenu majeur. Ceux-ci en ont connu l'existence, et ils ont été avertis que si elle avait été irrégulièrement constituée, elle pouvait cependant être confirmée, car la concession qui leur était faite à euxmômes n'impliquait en aucune façon l'idée que leur débiteur cût par là abdiqué le droit qu'il avait de faire cette confirmation. Les droits qu'ils ont acquis se sont donc établis sous cette menace, et, par cela même, on ne peut pas dire qu'il leur soit porté atteinte le jour où l'événement qu'ils ont du prévoir est venu à se réaliser.

617. En terminant sur les incapacités dont la cause révèle une pensée de protection, nous indiquerons une situation particulière que l'on peut rapprocher de celles que nous avons appréciées jusqu'ici, bien que l'idée de protection, qu'on y trouve aussi, ne vienne pas directement de la loi. Nous voulons parler des clauses assez fréquentes dans les testaments, par lesquelles le testateur déclare insaisissables les choses par lui léguées. La validité de la clause peut être contestée, sinon lorsqu'elle porte sur des choses mobilières, puisque l'art. 581 du Code de procédure la sanctionne dans ce cas, au moins lorsqu'elle frappe sur les immeubles qui font l'objet du legs. Alors on pourrait dire et l'on a dit quelquefois que

(1) Voy. Paris, 15 déc. 1830 (Dcv., 31, 2, 83). Junge MM. Merlin (Quest., v Hyp., 24, 3o édif.), Toullier (t. VII, p. 565), Zachario (t. II, p. 437, note 10), Troplong (no 487 et suiv.).

(2) Voy. Pothier. (De lllyp, 'n 46).

la clause touchant à la constitution même du droit de propriété, qui est essentiellement d'ordre public, elle doit être réputée non écrite aux termes de l'art. 900 du Code Napoléon. Nous n'avons pas à discuter ici cette question, qui sort de notre sujet, Constatons seulement que la jurisprudence qui parait dominer ne considère ni comme impossible, ni comme contraire aux lois ou aux mœurs la condition imposée par un testateur à sa libéralité, dans le but de rendre les imincubles par lui le gués insaisissables par les créanciers du légataire; et, par conséquent, elle décide qu'une telle clause ne tombe pas sous la disposition irritante de l'art. 900 du Code Napoléon.

Cela posé, qu'en faut-il conclure au point de vue qui nous occupe?Faut-il dire que le légataire auquel des immeubles ont été légués sous cette condition ne pourra pas les affecter hypothécairement? Non, sans doute; car s'il en était autrement, s'il devait résulter de la condition que le légataire serait désormais privé du droit d'user des immeubles à lui légués comme d'un gage propre à établir et étendre son crédit, c'est alors qu'on pourrait diré d'elle qu'elle entrave le droit de propriété dans son exercice, et qu'elle doit être réputée non écrite aux termes de l'art. 900. Mais c'est précisément parce qu'elle n'a pas cette portée qu'elle est maintenue par la jurisprudence. On décide, en effet, que si elle s'applique incontestablement aux biens dont le testateur avait l'entière faculté de disposer et concerne les créanciers antérieurs du léga-^ taire, elle n'atteint pas du moins les personnes qui, plus tard, auraient traité avec le légataire en considération des biens par lui recueillis en vertu du testament. Ainsi, les créanciers du légataire, si leur titre est antérieur au testament dans lequel les immeubles lui ont été légués sous condition d'insaisissabilité, ne pourront pas, même en vertu d'une condamnation qu'ils auraient obtenue, prendre une inscription hypothécaire; et cela a été expressément jugé par la Cour de cassation (1); mais la clause d'insaisissabilité ne ferait pas obstacle à ce que les tiers qui traiteraient plus tard avec le légataire obtinssent de lui une hypothèque conventionnelle, ou inscrivissent, sur les immeubles ainsi légués, l'hypothèque judiciaire résultant d'une condamnation qu'ils auraient fait prononcer contre lui.

618. Nous passons à la seconde classe d'incapacités, aux incapacités qui prennent le caractère de l'indignité ou de la déchéance. En première ligne viennent les condamnés frappés de peines afflictives et infamantes.

. D'après le Code pénal de 1810, celles de ces peines qui étaient per- · pétuelles emportaient mort civile. Cet effet de la condamnation ne se produit plus aujourd'hui, car la mort civile a été abolie par la loi du 2-31 mai 1854 qui met à la place de la mort civile, comme conséquence des condamnations à des peines afflictives perpétuelles, la dé-, ' gradation civique et l'interdiction légale établies par les art. 28, 29 et 31 du Code pénal (loi du 2-31 mai 1854, art. 3), Il n'y a donc plus

(1) Req., 10 mars 1852 (Dall,, 52, 1,

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