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SOMMAIRE.

La capacité à l'effet de constituer une hypothèque conventionnelle, soit que l'hypothèque soit donnée par le débiteur lui-même, soit qu'elle soit donnée par un tiers, est subordonnée à une double condition.

II. Il faut que celui qui donne hypothèque ait la faculté d'aliéner la chose hypothé quée; la capacité se mesure ici sur la capacité d'aliéner, non sur celle de s'obliger. Conséquences: de l'hypothèque consentie par les femmes mariées, les mineurs émancipés ou non émancipés, les interdits, les prodigues. Est-elle nulle ou seulement annulable et susceptible d'être ratifiée après cessation de l'incapacité? Effets de la ratification. - Du mort civilement, avant la loi du 2-31 mai 1854; des condamnés à des peines afflictives et infamantes; du failli, 'de celui qui a fait cession de biens, de celui qui est en état de déconfiture, de celui dont les biens sont frappés de saisie immobilière.

-III. Il faut ensuite être propriétaire : · de l'hypothèque consentic sur la chose d'autrui, soit que la chose reste chose d'autrui, soit qu'elle soit acquise ultérieurement par le constituant, soit que l'on se porte fort pour le propriétaire; — de l'hypothèque consentie par le propriétaire apparent.

IV. Suite. De ceux qui n'ont qu'un droit d'administration ou de jouissance : des mandataires, des gérants d'affaire, des administrateurs ou liquidateurs de sociétés ; des maris, des tuteurs, des envoyés en possession provisoire des bicus d'un absent; · des usufruitiers, des locataires.

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1.—-608. L'hypothèque conventionnelle, presque toujours consentie par le débiteur lui-même, peut cependant être donnée par un autre que lui, comme le Code l'a dit formellement du gage dans l'art. 2077. Rien ne s'oppose, en effet, à ce qu'une personne, sans se constituer caution de la dette d'un tiers, ce qui impliquerait une obligation personnelle de sa part, affecte hypothécairement l'un de ses immeubles à la sûreté de cette dette. « Rien ne peut faire révoquer en doute, dit justement M. Tarrible, la validité d'une convention par laquelle un tiers consentirait à ce que son immeuble fût hypothéqué pour la sûreté d'une dette étrangère, sans qu'il entendit néanmoins se soumettre à payer cette même dette (1). » Nous avons déjà indiqué cela en expliquant les dispositions générales de notre titre (voy. suprà, n° 9); et la jurisprudence a sanctionné ces engagements, auxquels elle refuse seulement, avec toute raison, le caractère et les effets d'un cautionnement proprement dit (2). L'hypothèque conventionnelle peut donc être constituée, soit par le débiteur lui-même pour assurer le remboursement de sa propre dette, soit par un tiers pour assurer le payement de la dette d'un autre, même sans que le constituant soit personnellement tenu.

Mais, soit que l'hypothèque ait été constituée par le débiteur, soit

(1) Voy. M. Tarrible (Rép. de Merlin, vo Hyp., sect. 2, 3, art. 6, no 6).

(2) Il a été décidé, notamment, que celui qui consent une affectation hypothécaire pour sûreté d'une créance, sans s'obliger lui-même au payement subsidiaire, n'étant pas une caution dans le sens de l'art. 2011 du Code Napoléon, ne peut demander sa décharge sur le fondement que la subrogation aux droits, hypothèques et priviléges du créancier no peut plus, par le fait de celui-ci, s'opérer en sa faveur. Cass., 25 nov. 1812 et 10 août 1814. Voy., à cet égard, notre commentaire de l'art. 2037, an titve Du Cautionnement.

qu'elle ait été constituée par un tiers, il faut nécessairement que celui de qui la constitution émane ait eu capacité pour le faire.

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Or l'hypothèque étant un démembrement du droit de propriété (suprà, no 327), celui qui constitue une hypothèque fait acte d'aliénation, en ce qu'il confère au créancier le droit réel de suite sur l'immeuble aux mains des tiers, et le droit de faire vendre l'immeuble pour être payé. Donc, la capacité à l'effet de constituer hypothèque est subordonnée à une double condition: il faut que le constituant soit propriétaire de la chose hypothéquée, et, de plus, qu'il ait la faculté d'en disposer.

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Cela résulte de notre article, dont nous avons à présenter le commentaire dans les deux points de vue qu'il embrasse.

I.609. Pour pouvoir conférer hypothèque, il faut avoir la faculté de disposer de la chose hypothéquée. Notre art. 2124 indique cela net-* tement en disant que « les hypothèques conventionnelles ne peuvent être consenties que par ceux qui ont la capacité d'aliéner les immeubles qu'ils y soumettent. » Ainsi, ce que le législateur exige ici, ce n'est pas une capacité telle quelle, la capacité de s'obliger, c'est une capacité spécialement déterminée, la capacité d'aliéner. L'hypothèque étant un acte d'aliénation, la disposition de la loi est parfaitement conséquente. M. Duranton a donc écrit à tort « qu'en thèse générale, ceux qui ne peuvent s'obliger valablement, ne peuvent par cela même valablement hypothéquer leurs biens (1); » il s'induirait de là, a contrario, que ceux au contraire qui peuvent s'obliger valablement pourraient par cela même conférer hypothèque; et en effet, on verra tout à l'heure (infrà, nos 613; 614) que le savant professeur raisonne d'après cette induction dans les applications qu'il fait de son principe. Or elle manque d'exactitude; car il est telles personnes (par exemple, le mineur émancipé, le mincur représenté par un tuteur, la femme séparée de biens) qui ont un droit d'administration dans les limites duquel les obligations qu'elles contractent sont parfaitement valables, mais qui, n'ayant pas la capacité d'aliéner leurs immeubles, n'auraient pas, par cela même, d'après le texte précis et très-positif de notre article, la capacité de les hypothéquer. Nous posons donc en principe et en thèse générale que la capacité à l'effet de consentir hypothèque se règle (sauf de rares exceptions déterminées par la loi elle-même, voy. infrà, no 612 et 633) sur la capacité d'aliéner et non sur celle de s'obliger.

610. Ainsi, quiconque a la libre disposition des immeubles dont il est propriétaire y conférera valablement une hypothèque conventionnelle, pourvu d'ailleurs que l'hypothèque soit constituée en la forme et dans les conditions déterminées par la loi (suprà, no 322). Au contraire, celui qui, bien que propriétaire d'immeubles, n'aurait pas la faculté de les aliéner, ne pourrait pas les affecter hypothécairement par une convention. La première partie de la proposition s'explique d'elle-même et n'a pas besoin de commentaire; il en est autrement de la seconde.

(1) Voy. M. Duranton (t. XIX, no 343).

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Voyons donc en quels cas et dans quelles circonstances la capacité civile est affectée à ce point que celui qui est propriétaire n'a pas cependant la faculté d'aliéner sa chose et la faculté corrélative de l'hypothéquer.

La capacité civile est plus ou moins affectée dans des cas assez nombreux qui procèdent de causes différentes. Dans quelques-uns, l'incapacité civile révèle une pensée de protection: telle est l'incapacité dont sont atteints les femmes mariées, les mineurs, les interdits, les prodigues; dans d'autres, l'incapacité prend le caractère, soit d'une indignité, soit d'une déchéance: telle est, d'une part, l'incapacité des condamnés à des peines afflictives et infamantes, et, d'une autre part, l'incapacité des négociants faillis, des non-négociants en état de déconfiture ou de cession de biens, et du propriétaire dont les biens sont frappés de saisie immobilière. L'exercice du droit de propriété est plus ou moins entravé pour toutes ces personnes. Sont-elles néanmoins privécs de la faculté d'hypothéquer leurs immeubles? C'est ce que nous avons à examiner.

611. Les femmes mariées peuvent conférer hypothèque dans un seul cas: c'est lorsqu'elles sont marchandes publiques, pourvu même que, dans ce cas, il s'agisse de leurs immeubles autres que leurs immeubles dotaux. En effet, l'art. 7 du Code de commerce, limitant la disposition trop générale du Code Napoléon, dispose que « les femmes marchandes publiques peuvent engager, hypothéquer et aliéner leurs immeubles; et toutefois que leurs biens stipulés dotaux, quand elles sont mariées sous le régime dotal, ne peuvent être hypothéqués ni aliénés que dans les cas déterminés et avec les formes réglées par le Code Napoléon. »

En toutes autres circonstances, la femme mariée ne peut seule consentir hypothèque sur ses biens immeubles. Mariée autrement que sous le régime dotal, elle est régie à cet égard par l'art. 217 du Code Napoléon, aux termes duquel « la femme, même non commune ou séparéc de biens, ne peut donner, aliéner, hypothéquer, acquérir à titrè gratuit ou onéreux, sans le concours du mari dans l'acte, ou son consentement par écrit.» Mariée sous le régime dotal, elle est régie, quant à ses paraphernaux, par le même article; et, quant à ses biens dotaux, par l'art. 1554, suivant lequel « les immeubles constitués en dot ne peuvent être aliénés ou hypothéqués pendant le mariage, ni par le mari, ni par la femme, ni par les deux conjointement,» sauf les exceptions consacrées par les art. 1555 et suivants. Ce n'est pas à dire que les immeubles de la femme ne soient pas susceptibles d'être hypothéqués; nous disons seulement ici qu'ils ne peuvent pas l'être par la femme seule, sauf à parler bientôt de l'action du mari (infrà, no 633).

Nous n'avons pas à insister sur ce point ni sur ceux qui s'y rattachent, tels, par exemple, que celui de savoir si la faculté d'aliéner qui a été réservée par son contrat de mariage à la fenume dotale emporte ou coinprend celle d'hypothéquer, parce que tout cela se rattache plus particulièrement à un autre titre du Code; et que ces questions ont été

discutées, en effet, dans le Traité du Contrat de Mariage que nous avons. publié avec M. Rodière (1).

Ajoutons seulement ici que l'affectation hypothécaire consentie par la femme, surtout par la femme dotale, contrairement aux prohibitions de la loi, pourrait être attaquée, non-seulement par elle-même et par son mari, mais encore par ses créanciers. La Cour de Toulouse a dit exactement en ce sens, dans un arrêt récent, que le créancier dont le titre est paralysé par une hypothèque constituée par la femme a le droit do rechercher si l'hypothèque a été légalement assise sur l'immeuble dont le prix, à cause de la qualité de son titre, est le gage du payement de sa créance; et, sur la demande du créancier, elle a déclaré nulle et inefficace l'hypothèque consentie par la femme, sans permission de justice, sur un immeuble dotal (2). Ceci se lie à la grave question de savoir si le droit d'attaquer l'aliénation indûment faite d'un immeuble dotal est personnel à la femme ou à ses héritiers; et la solution qui a été émise sur ce point par M. Rodière dans le Traité précité que nous avons publié avec lui (3), trouve un appui de plus dans cet arrêt de la Cour de Toulouse.

612. Le mineur n'a pas non plus la faculté de donner hypothèque; ses immeubles peuvent bien être hypothéqués en certains cas et suivant des formes déterminées par la loi; l'art. 2126 le dit expressément, et nous reviendrons bientôt là-dessus en commentant cet article (infrà, n° 648 et suiv.). Mais ce que nous avons quant à présent à constater, c'est que le mineur n'ayant pas personnellement la capacité d'aliéner ses immeubles, n'a pas non plus personnellement la faculté corrélative de les hypothéquer. Il en est, à cet égard, du mineur émancipé comme du mineur non émancipé : en principe, l'un n'a pas plus de liberté que l'autre (Comp., art. 457, 483, 484, du Code Napoléon). Seulement, il y a cette différence entre les deux que le mineur émancipé peut être autorisé à faire le commerce, auquel cas, s'il a été autorisé dans les termes de l'art. 2 du Code de commerce, il peut seul hypothéquer ses immeubles, d'après l'art. 6 du même code. Notons d'ailleurs que cet article ne relève pas le mineur émancipé marchand de l'incapacité résultant de l'état de minorité aussi complétement que l'art. 7 relève la femme marchande publique de l'incapacité résultant de son mariage. Celle-ci peut seule, dans ce cas, non-seulement engager et hypothéquer ses immeubles, mais encore les aliéner. Le mineur émancipé ne peut, dans le même cas, qu'engager et hypothéquer les siens; il ne pourrait les aliéner, d'après l'art. 6 du Code de commerce, qu'en suivant les formalités prescrites par les art. 457 et suivants du Code Napoléon : c'est un des cas exceptionnels (annoncés plus haut, voy. no 609) où la capacité d'hypothéquer n'est pas corrélative à la capacité d'aliéner.

(1) Voy. Traité du Contrat de Mariage (t. I, no 654 et suiv.; t. II, no 163 et suiv., 500, 501, 522, 782).

(2) Toulouse, 26 fév. 1855 (Dev., 55, 2, 611). Voy. aussi M. Troplong (no 462). (3) Voy. Traité du Contrat de Mariage (t. I, wo 585).

Quoi qu'il en soit, hors du cas prévu par l'art. 6 du Code de commerce, le mineur émancipé et le mincur non émancipé, nous le répétons, sont sur la même ligne : ils sont l'un et l'autre également incapables de conférer hypothèque sur leurs biens.

613. D'après cela, on pressent quel est notre avis sur la question souvent débattue à l'occasion de l'hypothèque qu'aurait consentie le mineur émancipé (et qui peut s'élever aussi à l'occasion de l'hypothèque qu'aurait donnée la femme séparée de biens sans autorisation de son mari ou de la justice) pour sûreté des obligations par lui contractées dans les limites du droit d'administration qui lui appartient. Une telle hypothèque n'est pas valablement constituée, et la nullité en devra être prononcée si l'incapable en fait la demande après la cessation de l'incapacité. On dit bien que le mineur, étant autorisé à s'obliger dans les limites de son droit d'administration, est par cela même autorisé à donner des sûretés à son créancier; que d'ailleurs l'obligation qu'il contracte porte en elle-même le principe d'une aliénation, puisque, si le mincur ne paye pas, il pourra être dépossédé de ses immeubles en vertu du droit de gage général établi par l'art. 2092; et que dès lors il n'y a aucun motif de lui refuser le droit de conférer une hypothèque qui, en définitive, ne contiendrait en elle-même rien de plus que ce que contiendrait l'engagement à la sûreté duquel l'hypothèque serait donnée. C'est l'argument de M. Duranton (1), qui, en ceci, raisonne, comme nous l'avons fait pressentir plus haut (voy. no 509), d'après une induction logique tirée du principe sur lequel il a fait reposer l'incapacité à l'effet de constituer hypothèque. Mais, nous l'avons dit, le point de départ est fautif,: la capacité à l'effet de constituer hypothèque, répétons-le, est réglée, non point sur la capacité de s'obliger, mais sur la capacité d'aliéner. L'art. ·2124 est précis à cet égard. Or cette capacité d'aliéner ses immeubles, le mineur émancipé ne l'a pas; donc il n'a pas non plus la capacité à l'effet de les hypothéquer. Qu'importe maintenant que, par l'effet de l'art. 2092, une aliénation éventuelle soit contenue en germe dans l'obligation prise par le mineur émancipé dans les limites de son droit d'administration? D'abord c'est là une menace qui peut-être ne se réalisera jamais, car rien n'assure que le mineur émancipé ne sera pas exact à remplir ses engagements; au contraire, l'affectation hypothécaire agit immédiatement par la brèche qu'elle fait au crédit du débiteur. Et puis autre chose est la sanction établie par la seule volonté de la loi en faveur de toute obligation dont elle reconnaît la validité (voy. suprà, no 16); autre chose serait la sûreté de l'hypothèque que le mineur émancipé donnerait seul et par son action directe et spontanée il y a ici, un'acte de libre disposition, un consentement émanant de la seule volonté du débiteur; et ce débiteur ne peut donner ce consentement d'une manière valable qu'à la condition d'en être reconnu capable par la loi. Le mineur émancipé est-il dans ce cas pour la constitution d'hypothèque?

N

(1) Voy. M. Duranton (t. XIX, no 347),

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