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1422. Mais le créancier à hypothèque légale ainsi définitivement déchu de son droit sur l'immeuble vis-à-vis de l'acquéreur, doit-il être considéré comme déchu également de son droit sur le prix vis-à-vis des autres créanciers, tellement que, les choses étant entières et le prix n'étant encore ni payé, ni distribué, ni délégué, il ne puisse pas, nonobstant le défaut d'inscription, se présenter et demander à être payé à son rang? C'est l'une des questions les plus controversées du régime hypothécaire. La Cour de cassation, qui s'est prononcée pour l'affirmative, a maintenu sa doctrine, au milieu des plus vives attaques, dans une série d'arrêts qui embrassent une période de près de trente années (1). Néanmoins, cette solution n'est pas la meilleure.

Nous avons établi ailleurs (2), du reste, avec la majorité des cours impériales et des auteurs (3), que les principes généraux lui sont contraires. On ne conteste pas, en effet, que la purge des hypothèques légales ne soit établie dans l'intérêt exclusif des acquéreurs; d'un autre côté, il est certain que, vis-à-vis des créanciers, la femme et les mineurs n'ont pas besoin d'inscription. Cela étant, la conclusion se présente d'elle-même; qu'ils aient répondu ou non par une inscription à la mise en demeure dont ils ont été l'objet, la femme, le mineur ou l'interdit, qui se présentent par eux-mêmes ou par leurs représentants à l'ordre ouvert pour la distribution du prix, y doivent être admis. Par qui donc pourraient-ils en être écartés? Par l'acquéreur? Il est sans intérêt, puisque l'immeuble étant désormais purgé vis-à-vis de lui, il lui importe peu de se libérer entre les mains de l'un ou de l'autre. Par

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(1) Voy. les arrêts des 8 mai 1827, 11 août 1829, 15 déc. 1829, 18 juill. 1831, 26 juill. 1831, 1er août 1837, 5 mai 1840, 6 janv. 1841, 3 fév. 1847, 11 mars 1851, 23 fév. 1852 (aud. soleun.), 5 juin 1855 (Dev., 31, 1, 301; 37, 1, 662; 40, 1, 523; 41, 1, 510; 52, 1, 82; 56, 1, 229; Dall., 29, 1, 331; 37, 1, 416; 40, 1, 197; 41, 1, 66; 52, 1, 39; J. P., 1852, t. I, p. 257). - Junge Grenoble, 25 juin 1812, 8 juill. 1822, et 8 fév. 1842; Metz, 5 fév. 1823 et 16 janv. 1827; Nimes, 20 mars et 10 déc. 1828, 7 juill. 1851; Caen, 15 janv. 1829; Bordeaux, 28 mai 1830, 19'déc. 1840; Amiens, 14 août 1839 et 12 mars 1842; Lyon, 31 déc. 1841; Paris, 29 juin 1844 et 27 fév. 1857; Agen, 21 juin 1853; Orléans, 12 juill. 1854 (Dev., 53, 2, 585; 54, 2, 561; 57, 2, 283; Dall., 58, 2, 22). Voy. aussi MM. Grenier (no 490), Hervicu (vo Ordre, no 57), Chardon (Tr. des trois puis., t. II, p. 321), Tessier (t. II, no 150), Benoît (De la Dol, t. II, no 69), Duranton (t. XX, n" 421 bis).

(2) Revue de législation (aunée 1847, t. I, p. 41 et suiv.).

(3) Voy, notamment la monographie de M. Benech sur la question même (Du droit de préf. en mat, de purge des hypoth. leg.), MM. Persil (Quest., t. II, p. 82, ct Reg. hypoth., art. 2195, no 3), Baudot (t. I, no 362), Despréaux (vo Hyp., no 136), Jacob (Saisie immobil., t. I, no 147 et suiv.), Fréminville (t. II, n° 1158), Magnin (t. II, no 1297), Delvincourt (t. III, p. 172, note 1), Zachariæ, t. II, p. 252, note 10), Dupin (Req. el plaid., t. III, p. 89), Coulon (t. II, p. 39), Taulier (t. VII, p. 416), Mourlon (t. III, p. 541), Troplong (n° 984 et suiv.), F. Berriat Saint-Prix (Not. théor., no 8979). Voy. aussi Aix, 21 avr. 1845; Angers, 3 avr. 1835; Besançon, 17 mars 1827; Bordeaux, 31 juill. 1826; Bruxelles, 26 mai 1813; Caen, 22 juin 1816, 5 mai 1823; Colmar, 23 mai 1820, 24 mai 1821, 21 juin 1828; Douai, 14 avr. 1820; Grenoble, 4 fév. 1824, 2 avr., 31 août 1827, 3 fév. 1831; Lyon, 28 janv. 1825; Metz, 16 juill. 1823; Montpellier, 2 juill. 1840, 29 avr. 1845; Nimes, 3 août, 17 nov. 1847; Orléans, 2 mars 1836; Paris, 3 déc. 1838, 24 août 1840; Pau, 30 juin 1830; Riom, 23 fév. 1849; Rouen, 10 avr. 1823; Toulouse, 1er juill. 1828.

les fois qu'on se présente à lui en se prétendant en possession d'un droit hypothécaire, ce serait exposer la propriété foncière à des embarras sans nombre, aux ennuis et aux frais des actions en radiation par lesquelles elle pourrait être incessamment obligée de se défendre. Il faut donc laisser aux conservateurs une certaine faculté d'appréciation, et leur permettre de ne pas opérer l'inscription requise lorsqu'il leur apparaît que le requérant n'a aucun droit hypothécaire. La Cour d'Agen a justement décidé en ce sens que le conservateur des hypothèques peut, sous sa responsabilité personnelle, refuser d'inscrire un privilége ou une hypothèque, lorsqu'il reconnaît qu'il n'existe point de droit hypothécaire à l'occasion de l'inscription demandée (1).

1435. Mais si le conservateur croit ne pas pouvoir refuser la formalité requise, il doit l'accomplir sans retard; l'art. 2199 dit à cet effet nonseulement que le conservateur ne peut pas refuser, mais encore qu'il ne peut pas retarder la transcription des actes de mutation, ni l'inscription des droits hypothécaires. Toutefois il ne faut pas non plus exagérer la règle; les longueurs qui résultent de la force même des choses ou qui tiennent à des nécessités matérielles, comme le temps qu'il faut pour opérer la transcription d'actes compliqués et étendus, ne sauraient jamais constituer un retardement dans le sens de notre article.

1436. Comme les refus ou les retardements imputables au conservateur sont le principe d'une action en responsabilité, notre article se complète par l'indication du mode suivant lequel ils pourront être constatés procès-verbal en doit être dressé sur-le-champ, à la diligence des requérants, soit par un juge de paix, soit par un huissier audiencier du tribunal, soit par un autre huissier ou un notaire assisté de deux témoins.

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IV. 1437. Enfin l'art. 2196 impose aux conservateurs l'obligation de délivrer à tous ceux qui le requièrent copie des actes transcrits sur leurs registres et celle des inscriptions subsistantes, ou certificat qu'il n'en existe aucune. A quoi il convient maintenant d'ajouter l'obligation faite au conservateur, par l'art. 5 de la loi du 23 mars 1855 sur la transcription, de délivrer sous sa responsabilité, lorsqu'il en est requis, l'état spécial ou général des transcriptions et mentions prescrites par les art. 1, 2 et 4 de la loi. A cet égard, nous avons à nous expliquer sur la réquisition même et les personnes qui peuvent la faire, sur le mode suivant lequel elle doit être faite, et sur ce que doivent contenir les états délivrés sur la réquisition faite au conservateur.

1438. Sur le premier point, il n'y a pas d'équivoque possible; les termes mêmes de la loi coupent court à toute difficulté. Toutes personnes peuvent requérir des états de transcription ou d'inscription; cela résulte positivement tant du texte de l'art. 2196 du Code Napoléon que de celui de l'art. 5 de la loi de 1855, et c'était une conséquence nécessaire du principe de la publicité, élément essentiel du régime hypothécaire. La publicité n'existerait pas, en effet, si toute personne

(1) Voy. Agen, 6 août 1852 (J. P., 1853, t. II, p. 433).

n'avait pas le droit de recourir aux registres hypothécaires et d'obtenir des fonctionnaires qui les détiennent des états ou des certificats constatant la siuation de la propriété. Les conservateurs n'auront donc pas à se préoccuper de l'intérêt légal du requérant; il suffit qu'un état soit requis pour que la délivrance en doive être accordée immédiatement et faite sans autres retards que ceux commandés par la nécessité; car l'art. 2199, dont nous parlions tout à l'heure, met sur la même ligne la délivrance des certificats ou des états et la formalité même de la transcription ou de l'inscription, en sorte que tout refus ou retardement autoriserait le requérant à prendre les mesures indiquées au n" 1436.

1439. En général, les réquisitions doivent être faites par écrit. Cela résulte d'une décision ministérielle du 6 janvier 1811, dont l'objet a été de prévenir la confusion qui pourrait naître des réquisitions verbales, et en même temps de couvrir la responsabilité du conservateur. Toutefois, si le requérant ne sait pas écrire, le conservateur doit, d'après une circulaire du 17 janvier 1811, reproduire en tête des états ou certificats par lui délivrés les termes dans lesquels la réquisition verbale lui a été faite, et, de plus, énoncer à l'article, dans le registre des salaires, que le requérant a déclaré ne pas savoir signer.

1440. Enfin les états ou certificats délivrés doivent être en rapport avec la réquisition. Donc, si le requérant a demandé d'une manière générale un certificat constatant l'état de la propriété, le conservateur délivrera soit une copie intégrale des transcriptions et inscriptions, ou un certificat qu'il n'en existe aucune, selon l'expression de l'art. 2196, soit un simple extrait indiquant sommairement les transcriptions et inscriptions (voy. suprà, no 269), suivant que le requérant aura demandé l'état en l'une ou l'autre forme. Et comme le conservateur n'est pas juge du mérite des inscriptions existant sur ses registres, il les comprendra toutes dans l'état, même celles qui s'y trouveraient sans titre (1). Seulement, il doit s'abstenir, comme nous le disons au no 1035, d'y porter les inscriptions périmées (2); et même, quand elles ne sont pas périmées en ce qu'elles ont été renouvelées dans les dix ans (art. 2154), il doit se borner à relater l'inscription prise en renouvellement (3).

1441. Que si le requérant s'est borné à demander un certificat partiel, l'état ne doit pas excéder les termes de la réquisition. Cela est certain aujourd'hui quant aux états de transcription dont parle l'art. 5 de la loi du 23 mars 1855, puisque cet article exprime formellement que le conservateur doit délivrer, lorsqu'il en est requis, l'état spécial ou général, et que, suivant l'observation du rapporteur de la loi, le mot spécial a été ajouté « pour faire comprendre que l'on a le droit de désigner aux conservateurs des hypothèques la transcription dont on désire

(1) Voy. Angers, 9 fév. 1827; Limoges, 15 fév. 1842; Rouen, 7 janv. 1848; Paris, 21 avr. 1842 ct 17 nov. 1855 (Dev., 28, 2, 110; 42, 2, 216 ct 419; 48, 2, 139; 56, 2, 96). Voy. cependant Paris, 23 nov. 1849 (Dev., 49, 2, 686; J. P., 1849, t. II, p. 567). (2) Voy. Paris, 21 janv. 1814, et Rouen, 6 mars 1848 (J. P., 1848, t. II, p. 539). (3) Rej., 4 avr. 1849 (Dev., 49, 1, 512).

avoir la copie, à l'exclusion de toutes les autres qui auraient pu avoir lieu relativement au même immeuble. » Mais la règle est également applicable aux états dont il est question dans l'art. 2196.

C'est donc à tort qu'un jugement du Tribunal de Rouen, en date du 19 juillet 1847, a supposé que l'acquéreur, qui ne veut pas requérir l'état général de toutes les inscriptions existant sur l'immeuble par lui acquis, n'a pas le droit d'obtenir que le certificat qu'il réclame soit limité à telle catégorie de charges qu'il indique, par exemple à celles qui grèvent l'un des précédents propriétaires; et que même, quand il est requis ainsi de délivrer un état partiel, le conservateur n'est pas tenu d'accéder à la réquisition et doit comprendre toutes les charges dans le certificat qu'il délivre. Vainement le tribunal s'autorise-t-il pour le décider ainsi des art. 2197 et 2198, aux termes desquels les conservateurs sont responsables, vis-à-vis des créanciers, des inscriptions qu'ils auraient omises dans les états. Ces articles, auxquels nous allons arriver (voy. infrà, nos 1446 et suiv.), ne touchent pas à notre question. Ils proclament la responsabilité du conservateur pour les omissions commises dans leurs certificats ou états; mais ils se réfèrent à l'art. 2196, dans lequel le principe est écrit, et ils supposent une réquisition faite au conservateur. Si donc aucune réquisition n'a été faite, ou si celle qui a été faite a été expressément limitée, par l'acquéreur, à une catégorie de charges grevant l'immeuble par lui acquis, le conservateur est à l'abri de toute responsabilité en ne délivrant pas de certificat ou en le délivrant dans les termes mêmes et dans la mesure où il a été requis. Si l'acquéreur veut courir les chances auxquelles l'exposent la réquisition et l'obtention d'un certificat ou d'un état ainsi limité, c'est son affaire; personne n'y peut trouver à redire, et, dans tous les cas, le conservateur n'a pas à s'en préoccuper, parce qu'il a satisfait à la demande dans les termes mêmes où elle a été formulée et circonscrite. En cela, il s'est conformé aux circulaires ministérielles (Circulaire du 8 mai 1822) qui l'obligent à suivre, dans les états délivrés, la volonté clairement manifestée par les requérants, et, en présence de la réquisition restrictive qui lui a été faite, sa responsabilité, quoi qu'il arrive, sera complétement à couvert. La question a été résolue en ce sens par nombre de décisions, dont la dernière, émanée de la Cour d'Angers, est en ce moment déférée à la Cour de cassation (1).

V. 1442. Indépendamment des obligations imposées aux conservateurs par les dispositions de ce chapitre, il en est d'autres qui leur sont faites par des dispositions disséminées dans notre titre. Telle est notamment l'obligation imposée par l'art. 2108 de faire d'oflice l'inscription des créances résultant d'actes translatifs de propriété quand la transcription en est requise. Telle est encore l'obligation résultant de l'art. 2157, en ce qui concerne les réductions et radiations des inscriptions. Mais nous nous sommes expliqué avec détail là-dessus dans notre

(1) Voy. Caen, 26 déc. 1848; Trib. de Saint-Omer, 18 janv. 1851 (J. P., 1849, t. I, p. 367; Dev., 49, 2, 669; Rec. des déc. adm, et jud., 1851, p. 216).

commentaire desdits articles; nous nous référons à nos précédentes observations. (Voy. suprà, nos 268 et suiv., et nos 1069 et suiv.)

VI.

- 1443. La publicité serait évidemment illusoire si les fonctionnaires chargés d'accomplir les formalités qui la constituent étaient dégagés de toute responsabilité. Aussi cette responsabilité a-t-elle été écrite de tous temps dans la loi; elle était établie par l'édit du 23 mars 1673 contre les grefliers chargés de l'enregistrement des oppositions formées par les créanciers hypothécaires; l'édit du 17 juin 1771 la consacrait également par son art. 24; le Code Napoléon la rappelle et la maintient par divers articles de ce chapitre, et notamment par l'art. 2197. Toutefois il y a, pour l'appréciation de cette responsabilité, des principes généraux et des règles particulières.

1444. Quant aux principes généraux, ils sont indiqués par M. Grenier, avec lequel on peut dire que « les devoirs imposés aux conservateurs sont très-pénibles, et que les suites en seraient funestes pour eux si on n'apportait un juste tempérament dans l'application des lois et des règlements qui les concernent. On doit d'autant plus être animé de cet esprit que la responsabilité est une espèce de peine qui, de sa nature, mérite plutôt d'être adoucie que d'être aggravée. »

1445. Quant aux règles particulières, la responsabilité ne doit être reconnue et déclarée que dans la mesure du préjudice résultant, pour lá partic, du fait ou de l'omission d'où on la fait découler, et qu'autant que le fait ou l'omission est imputable au conservateur. En effet, d'une part, la responsabilité pour le conservateur se traduit en dommages-intérêts mis à sa charge; or les dommages-intérêts, qui sont la réparation d'un préjudice souffert, ne peuvent être alloués si, en fait, il n'y a pas eu de préjudice; et s'il y a eu préjudice, ils ne peuvent être alloués que dans la mesure du tort à réparer (1). D'une autre part, les dommagesintérêts ayant ici pour principe une contravention, il ne saurait en être prononcé dès qu'il n'y a pas de fait imputable au conservateur. La disposition finale de l'art. 2197 est positive en ce sens, quand elle dit que le conservateur est à l'abri de toute responsabilité si l'erreur provient de désignations insuflisantes qui ne peuvent lui être imputées.

VII. --- 1446. Ceci dit, rappelons les cas de responsabilité spécialement indiqués par notre article. Les conservateurs sont responsables, dit-il, du préjudice résultant, 1o de l'omission sur leurs registres des transcriptions d'actes de mutation, et des incriptions requises en leurs bureaux; 2o du défaut de mention dans leurs certificats d'une ou de plusieurs des inscriptions existantes. C'est la conséquence et le complément des principes posés dans les articles qui imposent au conservateur l'obligation d'inscrire et de transcrire et celle de délivrer des certificats ou des états d'inscription et de transcription. Nous n'avons pas à insister sur ces cas en eux-mêmes.

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(1) Voy. les arrêts de la Cour de cass. des 22 avr. 1808, 4 avr. 1810, et 19 avr. 1836 (Dev., 36, 1, 562). — Junge: Bordeaux, 24 juin 1813; Angers, 16 août 1826; Grenoble, 21 août 1822 et 23 juin 1836; Lyon, 13 avr. 1832 (Dall., Rec. alph., t. IX, p. 454 ct suiv.; Dev., 33, 2, 395; 38, 1, 1004).

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