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DE LA

LITTÉRATURE

ANCIENNE ET MODERNE.

BERTAUT (JEAN), né à Caen en 1552, obtint de la réputation par ses poésies galantes, et fut successivement secrétaire et lecteur du roi, conseiller au parlement de Grenoble, abbé d'Aunay, évêque de Séez, et premier aumônier de la reine Catherine de Médicis. Il était auprès de Henri III, lorsque ce prince fut assassiné, Parvenu aux dignités ecclésiastiques, Bertaut ne se livra plus qu'à des ouvrages de piété. Il contribua à la conversion de Henri IV, dont il a laissé une Oraison funèbre. Il mourut à Séez le 6 ou 8 juin 1611, dans sa cinquante-neuvième année. Il était oncle de madame de Motteville qui a donné des Mémoires sur la reine Anne d'Autriche. Grand admirateur de Ronsard, Bertaut sut cependant éviter les défauts de cet écrivain dont Boileau a dit :

Ce poète orgueilleux, trébuché de si haut,
Rendit plus retenus Desportes et Bertaut.

On trouve parfois du sentiment, de la douceur et de l'élégance dans les poésies de Bertaut, mais aussi un peu trop de recherche. Ses OEuvres poétiques ont été réimprimées plusieurs fois : les éditions de Paris, 1620 et 1623, in-8°, sont les plus complètes; elles contiennent des Poésies chrétiennes et profanes, des Cantiques, des Chansons, des Sonnets, et une Traduction des Psaumes, qui a été fort estimée de son temps.

AUGER.

JUGEMENT.

Bertaut est l'un de ceux qui sauvèrent la langue française du naufrage dont le galimatias pédantesque de Ronsard semblait la menacer, et qui lui conservèrent son génie. En parlant des passions qui nous ont été données pour notre bonheur, et qui deviennent, par l'abus que nous en faisons, l'instrument de toutes nos calamités, il s'est servi de cette comparaison aussi juste qu'ingénieuse :

Ainsi, du plumage qu'il eut
Icare pervertit l'usage;

Il le reçut pour son salut,

Il s'en servit pour son dommage.

PALISSOT, Mémoires sur la Littérature.

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Les cieux inexorables

Me sont si rigoureux,

Que les plus misérables

Se comparant à moi se trouveraient heureux.

Je ne fais à toute heure
Que souhaiter la mort,

Dont la longue demeure

Prolonge dessus moi l'insolence du sort.

Mon lit est de mes larmes

Trempé toutes les nuits,

Et ne peuvent ses charmes,

Lors même que je dors, endormir mes ennuis.

Si je fais quelque songe,

J'en suis épouvanté ;

Car même son mensonge

Exprime de mes maux la triste vérité;

Vérité non croyable

Qu'à l'esprit de celui

Qui, d'un art pitoyable,

Apprend en ses malheurs à plaindre ceux d'autrui.

Toute paix, toute joie

A pris de moi congé,

Laissant mon ame en proie

A cent mille soucis dont mon cœur est rongé.

La pitié, la justice,

La constance et la foi,

Cédant à l'artifice,

Dedans les cœurs humains sont éteintes

L'ingratitude paie

Ma fidèle amitié:

La calomnie essaie

pour moi.

A rendre mes tourments indignes de pitié.

En un cruel orage

On me laisse périr,

Et, courant au naufrage,

Je vois chacun me plaindre, et nul me secourir.

Bref, il n'est sur la terre
Espèce de malheur

Qui, me faisant la guerre,

N'expérimente en moi ce que peut la douleur.

Et ce qui rend plus dure

La misère où je vi,

C'est, ès maux que j'endure,

La mémoire de l'heur que le ciel m'a ravi..
Félicité passée

Qui ne peux revenir :
Tourment de ma pensée,

Que n'ai-je, en te perdant, perdu le souvenir!

II. Sonnet.

Il est temps, ma belle âme, il est temps qu'on finisse Le mal dont vos beaux yeux m'ont quatre ans tourmenté, Soit rendant mon désir doucement contenté,

Soit faisant de ma vie un cruel sacrifice.

Vous tenez en vos mains ma grace et mon supplice : Jugez lequel des deux mon cœur a mérité:

Car ma fidèle

amour, ou ma témérité

Veut qu'on me récompense, ou bien qu'on me punisse.

Mais si vous ne portez un cœur de diamant,
Vous ne punirez point un misérable amant
De vous avoir été si longuement fidèle:

Vu même que son mal vous doit être imputé:
Car enfin, puisqu'Amour est fils de la beauté,
Si c'est péché qu'aimer, c'est malheur qu'être belle.
III. A madame la duchesse ***. (Épigramme.)

Je devrais réserver aux grands coups de fortune
La peine et le travail de cette belle main
Que pour de bas sujets tous les jours j'importune,

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