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depuis que Dumouriez s'en était emparé, et elle était revenue à son rôle de violente opposition.

La nouvelle garde constitutionnelle du roi avait été récemment formée. On aurait dû, d'après la loi, composer aussi la maison civile, mais la noblesse n'y voulait pas entrer, pour ne pas reconnaître la constitution en occupant les emplois créés par elle. On ne voulait pas d'autre part choisir des hommes nouveaux, et on y renonça. « Comment voulez-vous, ma» dame, écrivait Barnave à la reine, parvenir » à donner le moindre doute à ces gens-ci sur » vos sentimens? Lorsqu'ils vous décrètent une » maison militaire et une maison civile, sem» blable au jeune Achille parmi les filles de Lycomède, vous saisissez avec empressement » le sabre pour dédaigner de simples orne» mens *. » Les ministres et Bertrand luimême insistèrent de leur côté dans le même sens que Barnave, mais ils ne purent réussir; et la composition de la maison civile fut abandonnée.

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La maison militaire formée sur un plan proposé par Delessart, avait été composée d'un tiers de troupes de ligne, et de deux tiers de

* Mémoires de Mme Campan, tome II, page 154.

jeunes citoyens pris dans les gardes nationales. Cette composition devait paraître rassurante. Mais les officiers avaient été choisis de manière à alarmer les patriotes. Les soldats de la ligne l'avaient été avec le même soin et dans le même sens, et par leur coalition avec leurs officiers, ils abreuvaient de dégoûts tous les jeunes gardes nationaux qui étaient attachés à la cause nationale; ils les avaient même obligés de se retirer à force de mauvais traitemens. les démissionnaires avaient été bientôt remplacés par des hommes sûrs; le nombre de cette garde avait été singulièrement augmenté, et au lieu de dix-huit cents hommes fixés par la loi, elle s'élevait, dit-on, à près de six mille. Dumouriez en avait averti le roi, qui répondait sans cesse que le vieux duc de Brissac, chef de cette troupe, ne pouvait pas être regardé comme un conspirateur. Cependant la conduite de la nouvelle garde était telle au château et ailleurs, que les soupçons éclatèrent de toutes parts, et que les clubs s'en occupèrent. A la même époque douze Suisses arborèrent la cocarde blanche à Neuilly; des dépôts considérables de papier furent brûlés à Sèvres (11), et firent naître de graves soupçons. L'alarme devint alors générale ;

l'assemblée se déclara en permanence, comme si elle s'était trouvée aux jours où trente mille hommes menaçaient Paris. Il est vrai cependant que les troubles étaient universels; que les prêtres insermentés excitaient le peuple dans les provinces méridionales, et abusaient du secret de la confession pour réveiller le fanatisme; que le concert des puissances était manifeste; que la Prusse allait se joindre à l'Autriche; que les armées étrangères devenaient menaçantes; et que les derniers désastres de Lille et de Mons remplissaient encore tous les esprits. Il est encore vrai que la puissance du peuple excite peu de confiance, qu'on n'y croit jamais avant qu'il l'ait exercée, et que la multitude irrégulière, si nombreuse qu'elle soit, ne saurait contrebalancer la force de six mille hommes armés et enrégimentés, dont le devoir est de se battre et de mourir. L'assemblée se hâta donc de se déclarer en permanence, et elle fit faire un rapport exact sur la composition de la maison militaire du roi, sur le nombre, le choix et la conduite de ceux qui la composaient. Après avoir constaté que la constitution se trouvait violée, elle rendit un décret de licenciement contre la garde, un autre d'accusation contre

le duc de Brissac, et envoya ces deux décrets à la sanction. Le roi voulait d'abord apposer son veto. Dumouriez lui rappela le renvoi de ses gardes-du-corps, bien plus anciens à son service que sa nouvelle maison militaire, et l'engagea à renouveler un sacrifice bien moins difficile. Il lui rappela d'ailleurs les véritables torts de sa garde, et obtint l'exécution du décret. Mais aussitôt il insista pour sa récomposition, et le roi, soit qu'il revînt à sa première politique de paraître opprimé, soit qu'il comptât sur cette garde licenciée, à laquelle il conserva ses appointemens, le roi refusa de la remplacer, et se trouva ainsi livré sans protection à la fureur du peuple.

La Gironde, désespérant de ses dispositions, poursuivit son attaque avec la persévérance la plus obstinée. Déjà elle avait rendu un nouveau décret contre les prêtres, pour suppléer à celui que le roi avait refusé de sanctionner. Les rapports se succédant sans interruption sur leur conduite factieuse, elle venait de les condamner à la déportation. La désignation étant difficile, et cette mesure, comme toutes celles de sûreté, reposant sur la suspicion, c'était en quelque sorte d'après la notoriété que les prêtres étaient déclarés coupables, et qu'ils étaient

déportés. Sur la dénonciation de vingt citoyens actifs, et sur l'approbation du directoire de district, le directoire de département prononçait la déportation : le prêtre condamné devait sortir du canton en vingt-quatre heures, du département en trois jours, et du royaume dans un mois. S'il était indigent, trois livres par jour lui étaient accordées jusqu'à la frontière. Cette loi sévère était la mesure de l'irritation croissante de l'assemblée. Un autre décret suivit immédiatement celui-là. Le ministre Servan, sans en avoir reçu l'ordre du roi, et sans avoir consulté ses collègues, proposa, à l'occasion de la prochaine fédération du 14 juillet, de former un camp de vingt mille fédérés, qui serait destiné à protéger l'assemblée et la capitale. Il est facile de concevoir avec quel empressement ce projet fut accueilli par la majorité, composée des girondins. Ceux-ci étaient encore confondus avec les jacobins, parce que les partis ne se décomposent qu'après le succès. Dans le moment leur puissance était au comble. Ils gouvernaient l'assemblée, où les constitutionnels et les républicains précoces étaient en minorité, et où les prétendus impartiaux n'étaient plus que de lâches indifférens, toujours plus soumis à mesure

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