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ressés à réussir. Mais les partis mettent toujours les hommes à la place des circonstances, afin de pouvoir s'en prendre à quelqu'un des maux qui leur arrivent.

Degraves, effrayé du tumulte excité par ces derniers événemens militaires, voulut se démettre d'une charge qui lui pesait depuis long-temps, et Dumouriez eut le tort de ne vouloir pas la subir. Louis XVI, toujours sous l'empire de la Gironde, donna ce ministère à Servan, ancien militaire, connu par ses opinions patriotiques. Ce nouveau choix ajouta des forces à la Gironde, qui se trouva presque en majorité dans le conseil, ayant Servan, Clavières et Roland à sa disposition. Dès cet instant, la désunion commença d'éclater entre les ministres. La Gironde devenait toujours plus méfiante, et par conséquent plus exigeante en témoignages de bonne foi de la part de Louis XVI. Dumouriez, que les opinions asservissaient peu, et que la confiance de Louis XVI avait touché, se rangeait toujours de son côté. Lacoste, qui s'était fortement attaché au prince, en faisait de même. Duranthon était neutre, et n'avait de préférence marquée que pour les partis les plus faibles. Servan, Clavières et Roland étaient inflexibles,

et pleins des craintes de leurs amis, se montraient tous les jours plus difficiles et plus inexorables au conseil. Une dernière circonstance acheva de brouiller Dumouriez avec les principaux membres de la Gironde. Dumouriez avait demandé en entrant au ministère des affaires étrangères, six millions pour des dépenses secrètes, et sans être tenu d'en rendre compte. Les feuillans s'y étaient opposés, mais la Gironde lui avait donné l'avantage, et les six millions avaient été accordés. Pétion avait demandé des fonds pour la police de Paris; Dumouriez lui avait alloué trente mille francs par mois; mais, cessant d'être girondin, il ne consentit à les payer qu'une fois. D'autre part, of avait appris ou soupçonné qu'il venait de consacrer cent mille francs à ses plaisirs. Roland, chez lequel se réunissait la Gironde, en avait été indigné avec tous les siens. Les ministres dînaient. alternativement les uns chez les autres, pour s'entretenir des affaires publiques. Lorsqu'ils étaient reçus chez Roland, c'était en présence de sa femme et de tous ses amis; et on peut dire que le conseil était alors tenu par la Gironde elle-même. Ce fut en pareille réunion qu'on fit des remontrances à Dumouriez sur

la nature de ses dépenses secrètes. D'abord il répondit avec esprit et légèreté, prit de l'humeur ensuite, et se brouilla décidément avec Roland et les girondins. Il ne reparut plus aux réunions accoutumées, et il en donna pour motif qu'il ne voulait traiter des affaires publiques, ni devant une femme, ni devant les amis de Roland. Cependant il retourna quelquefois encore chez Roland, mais sans s'entretenir d'affaires, ou du moins très-peu. Une autre discussion le détacha encore davantage des girondins : Guadet, le plus pétulant de son parti, fit lecture d'une lettre par laquelle il voulait que les ministres engageassent le roi à prendre pour directeur un prêtre assermenté; Dumouriez soutint que les ministres ne pouvaient intervenir dans les actes religieux du roi. Il fut approuvé, il est vrai, par Vergniaud et Gensonné; mais la querelle n'en fut pas moins vive et la rupture devint définitive.

Les journaux commencèrent l'attaque contre Dumouriez. Les feuillans, qui déjà étaient conjurés contre lui, furent alors aidés par les jacobins et les girondins. Dumouriez, attaqué de toutes parts, tint ferme contre l'orage, et fit sévir contre quelques journalistes.

Déjà on avait lancé un décret d'accusa

tion contre Marat, auteur de l'Ami du peuple, ouvrage effrayant où il demandait ouvertement le meurtre, et couvrait des plus audacieuses injures la famille royale et tous les hommes qui étaient suspects à son imagination délirante. Pour balancer l'effet de cette mesure, on mit en accusation Royou, qui était auteur de l'Ami du roi, et qui poursuivait les républicains avec la même violence que Marat déployait contre les royalistes.

Depuis long-temps il était partout question du comité autrichien; les patriotes en parlaient à la ville, comme à la cour on parlait de la faction d'Orléans. On attribuait à ce comité autrichien une influence secrète et désastreuse, qui s'exerçait par l'intermédiaire de la reine. Si cependant durant la constituante il avait existé quelque chose qui ressemblait à un comité autrichien, rien de pareil ne se passait sous la législative. Alors un grand personnage placé dans les Pays-Bas communiquait à la reine, et au nom de sa famille, des avis assez sages, qui étaient encore commentés avec plus de prudence par l'intermédiaire français. Mais sous la législative ces communications particulières avaient cessé d'exister; la famille de la reine avait continué

sa correspondance avec elle, mais on ne cessait de lui conseiller la patience et la résignation. Seulement, Bertrand de Molleville et Montmorin se rendaient encore au château depuis leur sortie du ministère; c'est sur eux que se dirigeaient tous les soupçons, et ils étaient en effet les agens de toutes les commissions secrètes. Ils furent publiquement accusés par le journaliste Carra. Résolus de le poursuivre comme calomniateur, ils le sommèrent de produire les pièces à l'appui de sa dénonciation. Le journaliste se replia sur trois députés, et nomma Chabot, Merlin et Bazire comme auteurs des renseignemens qu'il avait publiés. Le juge-de-paix Larivière, qui, se dévouant à la cause du roi, poursuivait cette affaire avec beaucoup de courage, eut la hardiesse de lancer un mandat d'amener contre les trois députés désignés. L'assemblée, offensée qu'on osât porter atteinte à l'inviolabilité de ses membres, répondit au juge-de-paix par un décret d'accusation, et envoya l'infortuné Larivière à Orléans.

Cette tentative malheureuse ne fit qu'augmenter l'agitation générale, et la haine qui régnait contre la cour. La Gironde ne se regardait plus comme maîtresse de Louis XVI

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