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constituante n'était pas plus capable que la nation elle-même de faire une pareille abdication. Elle réduisit donc le roi à une simple magistrature héréditaire, espérant que la nation la lui laisserait, et qu'il se contenterait lui-même de cette magistrature toute brillante encore d'honneurs, de richesses et de puis

sance.

Mais que l'assemblée l'espérât ou non, pouvait-elle dans ce doute trancher la question, c'est-à-dire, supprimer le roi, ou lui donner toute la puissance que l'Angleterre accorde à ses monarques?

Elle ne pouvait d'une part déposer Louis XVI; car, s'il est toujours permis de mettre la justice dans un gouvernement, il ne l'est pas d'en changer la forme, quand déjà la justice s'y trouve, et de convertir tout à coup une monarchie en république. D'ailleurs la possession est respectable, et si l'assemblée eût dépossédé la dynastie, que n'eussent pas dit ses ennemis, qui l'accusaient de violer la propriété parce qu'elle attaquait les droits féodaux?

D'autre part, elle ne pouvait accorder au roi le veto absolu, la nomination des juges et autres prérogatives semblables, parce que l'opinion publique s'y opposait, et que

cette opinion faisant sa seule force, elle était obligée de lui céder.

Quant à l'établissement d'une seule chambre, son erreur a été plus réelle peut-être, mais tout aussi inévitable. S'il était dangereux de ne laisser que le souvenir du pouvoir à un roi qui l'avait eu tout entier, et en présence d'un peuple qui voulait en reprendre jusqu'au dernier reste, il était bien plus faux en principe de ne pas reconnaître les inégalités et les gradations sociales, lorsque les républiques elles-mêmes les admettent, et que chez toutes on trouve un sénat, ou héréditaire, ou électif. Mais il ne faut exiger des hommes et des esprits que ce qu'ils peuvent à chaque époque. Comment à l'instant d'une révolte contre l'injustice des rangs, reconnaître leur nécessité? Comment constituer l'aristocratie au moment de la guerre contre l'aristocratie? Constituer la royauté eût été plutôt possible, parce que, placée loin du peuple, elle avait été moins oppressive, parce que d'ailleurs elle remplit des fonctions qui semblent plus nécessaires.

Mais je le répète, si ces erreurs n'avaient pas été dans l'assemblée, elles étaient dans la nation, et la suite des événemens prouvera que si l'assemblée avait laissé au roi et à

l'aristocratie tous les pouvoirs qu'elle ne leur laissa pas, la révolution n'en aurait pas moins eu lieu jusque dans ses derniers excès.

Il faut, pour s'en convaincre, distinguer les révolutions qui ont lieu chez les peuples long-temps soumis, de celles qui ont lieu chez les peuples libres, c'est-à-dire en possession d'une certaine activité politique. A Rome, Athènes et ailleurs, on voit les nations et leurs chefs se disputer le plus ou le moins d'autorité. Chez les peuples modernes entièrement dépouillés, la marche est différente. Complétement asservis, ils dorment longtemps. Le réveil a lieu d'abord dans les classes les plus éclairées : celles-ci se soulèvent et recouvrent une partie du pouvoir. Le réveil est successif, l'ambition l'est aussi, et gagne les dernières classes, jusqu'à ce que la masse entière soit en mouvement. Bientôt satisfaites de ce qu'elles ont obtenu, les classes éclairées veulent s'arrêter, mais elles ne le peuvent plus, et sont incessamment foulées par celles qui les suivent. Celles qui s'arrêtent, fussent-elles les avant-dernières, si elles veulent s'opposer aux dernières sont pour celles-ci une aristocratie, et en essuyent le nom? Le simple bourgeois est

nommé aristocrate par le manouvrier, et poursuivi comme tel.

L'assemblée constituante présente cette génération qui s'éclaire et réclame la premièré contre le pouvoir encore tout puissant : assez sage pour voir ce que l'on doit à ceux qui avaient tout et à ceux qui n'avaient rien, elle veut laisser aux premiers une partie de ce qu'ils ont, parce qu'ils l'ont toujours eu, et procurer surtout aux seconds les lumières et les droits qu'elles donnent. Mais le regret est chez les uns, l'ambition chez les autres; le regret veut tout recouvrer, l'ambition tout conquérir, et une guerre d'extermination s'engage. Les constituans sont donc ces premiers hommes de bien qui, secouant l'esclavage, tentent un ordre juste, l'essaient sans effroi, accomplissent même cette immense tâche, mais succombent en voulant engager les uns à céder quelque chose, les autres à ne pas tout désirer. Des deux côtés on les accuse, et suivant l'usage on leur fait les reproches les plus contraires. Pourquoi, disent ceux qu'ils ont troublés dans leurs injustes jouissances, pourquoi ont-ils donné le signal de la guerre? Pourquoi! parce qu'il faut que justice se fasse; parce que, lorsque le présent est insupportable, il est

permis de se jeter dans l'avenir même incertain; parce qu'il faut que l'homme redevienne homme, même au prix des calamités ; et tel est le vœu de la nature, puisqu'elle lui a donné pour se développer la force et la témérité de briser tous les obstacles.

Pourquoi s'écrient au contraire ceux dont les constituans ont voulu arrêter le débordement, pourquoi ont-ils voulu arrêter une révolution qu'ils avaient commencée? Parce que, lorsque assez de droits sont rendus aux peuples, lorsque la justice leur est restituée, le devoir est de ne pas poursuivre de nouvelles acquisitions à travers de périlleux hasards; parce que, lorsqu'on a arraché à ceux qui avaient trop, la portion qu'ils ne pouvaient garder sans iniquité, il faut leur laisser le reste, par cela seul qu'ils l'eurent autrefois. Ce qui fut, quand il n'est pas inique, mérite d'être encore.

L'assemblée constituante, dans sa répartition équitable, avait ménagé les anciens possesseurs. Louis XVI, avec le titre de roi des Français, trente millions de revenus, le commandement des armées, et le droit de suspendre les volontés nationales, avait encore d'assez belles prérogatives. Le souvenir seul

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