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» Dans le moment elle fut calmée, et s'approcha de lui. Il continua: croyez-moi, » madame, je n'ai aucun intérêt à vous » tromper, j'abhorre autant que vous l'anarchie et les crimes. Croyez-moi, j'ai de l'expérience. Je suis mieux placé que votre majesté pour juger les événemens. Ceci n'est › pas un mouvement populaire momentané, » comme vous semblez le croire. C'est l'insur»rection presqu'unanime.d'une grande nation » contre des abus invétérés. De grandes factions » attisent cet incendie; il y a dans toutes des » scélérats et des fous. Je n'envisage dans la » révolution que le roi et la nation entière; tout » ce qui tend à les séparer conduit à leur ruine › mutuelle ; je travaille autant que je peux à › les réunir, c'est à vous à m'aider. Si je suis » un obstacle à vos desseins, si vous y persistez, dites-le-moi ; je porte sur-le-champ ma démission au roi, et je vais gémir dans un coin sur » le sort de ma patrie et sur le vôtre.

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» La fin de cette conversation établit entiè› rement la confiance de la reine. Ils parcou› rurent ensemble les diverses factions; il lui » cita des fautes et des crimes de toutes; il › lui prouva qu'elle était trahie dans son intérieur; il lui cita des propos tenus dans

> sa confidence la plus intime; cette princesse

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lui parut à la fin entièrement convaincue, » et elle le congédia avec un air serein et » affable. Elle était de bonne foi, mais ses » entours et les horribles excès des feuilles de >> Marat et des Jacobins la replongèrent bientôt » dans ses funestes résolutions.

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» Un autre jour elle lui dit devant le roi : » Vous me voyez désolée; je n'ose pas me mettre » à la fenêtre du côté du jardin. Hier au soir, » pour prendre l'air, je me suis montrée à la fenêtre de la cour: un canonnier de garde m'a apostrophée d'une injure grossière, en ajou» tant: Que j'aurais de plaisir à voir ta tête » au bout de ma baïonnette! Dans cet affreux jardin, d'un côté on voit un homme monté » sur une chaise, lisant à haute voix des hor>> reurs contre nous; d'un autre, c'est un militaire ou un abbé qu'on traîne dans un bassin, » en l'accablant d'injures et de coups; pendant » ce temps-là d'autres jouent aù ballon, ou se promènent tranquillement. Quel séjour ! quel » peuple! (Mém. de Dumouriez; livre III, chapitre VI.) (7)

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Ainsi, par une espèce de fatalité, les intentions supposées du château excitaient la défiance et là fureur du peuple, et les hurle

mens du peuple augmentaient les douleurs et les imprudences du château. Ainsi le désespoir régnait au dehors et au dedans. Mais pourquoi, se demande-t-on, une franche explication ne terminait pas tant de maux ? Pourquoi le château ne comprenait-il pas les craintes du peuple? Pourquoi le peuple ne comprenait-il pas les douleurs du château? mais pourquoi les hommes sont-ils hommes?... à cette dernière question, il faut s'arrêter, se soumettre, se résigner à la nature humaine et poursuivre ces tristes récits.

Léopold II était mort; les dispositions pacifiques de ce prince étaient à regretter pour la tranquillité de l'Europe, et on n'avait pas à attendre la même modération de son successeur et neveu, le roi de Bohème et de Hongrie. Gustave, le roi de Suède, venait d'être assassiné au milieu d'une fête. Les ennemis des jacobins leur attribuaient, cet assassinat; mais il était bien prouvé qu'il était le crime de la noblesse humiliée par Gustave dans la dernière révolution de Suède. Ainsi la noblesse, qui accusait en France les fureurs. révolutionnaires du peuple, donnait dans le nord un exemple de ce qu'elle avait jadis été elle-même, et de ce qu'elle était encore dans

les pays où la civilisation était moins avancée. Quel exemple pour Louis XVI, et quelle leçon, si dans le moment il avait pu la comprendre! La mort de Gustave fit échouer l'entreprise qu'il avait méditée contre la France, entreprise à laquelle Catherine devait fournir des soldats, et l'Espagne des subsides. Il est douteux cependant que la perfide Catherine eût fait ce qu'elle avait promis, et la mort de Gustave dont on s'exagéra les conséquences fut en réalité un événement fort peu important. (8)

Delessart avait été mis en accusation pour la faiblesse de ses dépêches; il n'était ni dans les goûts ni dans les intérêts de Dumouriez de traiter faiblement avec les puissances. Les dernières dépêches avaient paru satisfaire Louis XVI, par le mélange de la force et de la raison. M. de Noailles, ambassadeur à Vienne, et serviteur peu sincère, envoya sa démission à Dumouriez en disant qu'il n'espérait pas faire écouter au chef de l'empire le langage qu'on venait de lui dicter. Dumouriez se hâta d'en prévenir l'assemblée, qui, indignée de cette démission, mit aussitôt M. de Noailles en accusation; un nouvel ambassadeur fut envoyé sur-le-champ avec de nouvelles dépêches. Deux jours après, Noailles revint sur

sa démission et envoya la réponse catégorique qu'il avait exigée de la cour de Vienne. Cette note de M. de Cobentzel est entre toutes les fautes des puissances, une des plus impolitiques qu'elles aient commises. M. de Cobentzel exigeait, au nom de sa cour, le rétablissement de la monarchie française, sur les bases fixées par la déclaration royale du 23 juin 1789. C'était imposer le rétablissement des trois ordres, la restitution des biens du clergé, et celle du Comtat-Venaissin au pape; enfin la restitution aux princes de l'empire des terres d'Alsace, avec tous leurs droits féodaux. Il fallait ne connaître la France que par les passions de Coblentz, pour proposer des conditions pareilles. C'était exiger à la fois la destruction d'une constitution jurée par le roi et la nation, la révocation d'une grande détermination à l'égard d'Avignon; c'était imposer enfin la banqueroute par la restitution des biens du clergé déjà vendus. D'ailleurs de quel droit réclamer une pareille soumission? De quel droit intervenir dans nos affaires ? Quelle plainte avait-on même à élever pour les princes d'Alsace, lorsque leurs terres étaient enclavées dans la souveraineté française, et devaient en subir la loi?

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