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ment distingué aux Jacobins, et qui avait obtenu la faveur de la Gironde depuis qu'il avait si bien soutenu l'opinion de Brissot en faveur de la guerre. L'envieux Robespierre le fit dénoncer aussitôt; il se justifia avec succès, mais on ne voulut pas d'un homme d'une popularité contestée, et on fit venir Duranthon, avocat de Bordeaux, homme éclairé, droit, mais trop faible. Il restait à remplir le ministère des finances et de l'intérieur. La Gironde proposa encore Clavière, connu par des écrits estimés sur les finances. Clavière avait beaucoup d'idées, toute l'opiniâtreté de la méditation, et une grande ardeur au travail. Le ministre placé à l'intérieur fut Roland, autrefois inspecteur des manufactures, connu par de bons écrits sur l'industrie et les arts mécaniques. Cet homme, avec des mœurs austères, des doctrines inflexibles, et un aspect froid et dur, cédait sans s'en douter à l'ascendant supérieur de sa femme. Madame Roland était jeune et belle. Nourrie au fond de la retraite d'idées philosophiques et républicaines, elle avait conçu des pensées supérieures à son sexe, et s'était fait des principes qui régnaient alors une religion sévère. Vivant dans une amitié intime avec son époux, elle

lui prêtait sa plume, lui communiquait sa vivacité de femme, et soufflait son ardeur nonseulement à son mari, mais à tous les girondins qui, enthousiastes de la liberté et de la philosophie, adoraient en elle la beauté, l'esprit et leurs opinions.

Le nouveau ministère réunissait d'assez grandes qualités pour prospérer; mais il fallait qu'il ne déplût pas trop à Louis XVI, et qu'il conservât son alliance avec la Gironde. Il pouvait alors suffire à sa tâche; mais si quelques fautes des hommes venaient se joindre à l'incompatibilité des parties qui s'étaient unies, tout était perdu; et c'est ce qui arriva bientôt. Louis XVI, frappé de l'activité de ses ministres, de leurs bonnes intentions, et de leur talent pour les affaires, fut charmé un instant, surtout de leurs réformes économiques; car il avait toujours aimé ce genre de bien qui n'exigeait aucun sacrifice de pouvoir ni de principes. S'il avait pu être rassuré toujours comme il l'était alors, et se séparer des siens, il eût supporté facilement la constitution. Il le répéta avec sincérité aux ministres, et parvint à convaincre les deux plus difficiles, Roland et Clavières. La persuasion fut entière de part et d'autre ; la Gironde, qui n'était

républicaine que par méfiance du roi, cessa de l'être alors, et Vergniaud, Gensonné, Guadet, correspondirent avec Louis XVI, ce qui plus tard fut contre eux un chef d'accusation. L'inflexible épouse de Roland était seule en doute, et retenait ses amis trop faciles, suivant elle, à se livrer. La raison de ses défiances est naturelle : elle ne voyait pas le roi. Les ministres au contraire l'entretenaient tous les jours, et d'honnêtes gens qui s'approchent sont bientôt rassurés. Mais cette confiance ne pouvait durer parce que d'inévitables questions allaient faire renaître entr'eux toute la différence de leurs opinions.

La cour cherchait à répandre le ridicule sur la simplicité un peu républicaine du nouveau ministère, et sur la rudesse sauvage de Roland, qui se présentait au château sans boucles aux souliers. Dumouriez rendait les sarcasmes, et mêlant la gaîté au travail le plus assidu, plaisait au roi, le charmait par son esprit, et peut-être aussi lui convenait mieux que les autres par la flexibilité de ses opinions. La reine, s'apercevant qu'il était le plus puissant sur l'esprit du monarque, voulut le voir. Il nous a conservé dans ses mémoires cet entretien singulier qui peint les agitations de cette

princesse infortunée digne d'un autre règne, d'autres amis, et d'un autre sort.

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« Introduit, dit-il, dans la chambre de la

reine, il la trouva seule, très-rouge, se promenant à grands pas, avec une agitation qui présageait une explication très-vive; il alla se poster au coin de la cheminée, dou> loureusement affecté du sort de cette prin» cesse, et des sensations terribles qu'elle

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éprouvait. Elle vint à lui d'un air majestueux » et irrité, et lui dit: Monsieur, vous êtes tout

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puissant en ce moment, mais c'est par la faveur du peuple qui brise bien vite ses idoles. » Votre existence dépend de votre conduite. On » dit que vous avez beaucoup de talens. Vous » devez juger que ni le roi ni moi, ne pouvons souffrir toutes ces nouveautés ni la constitution. Je vous le déclare franchement; prenez › votre parti.

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» Il lui répondit: Madame, je suis désolé » de la pénible confidence que vient de me faire » votre majesté. Je ne la trahirai pas: mais je › suis entre le roi et la nation, et j'appartiens › à ma patrie. Permettez-moi de vous repré» senter que le salut du roi, le vôtre, celui de › vos augustes enfans, est attaché à la consti» tution, ainsi que le rétablissement de son au

» torité légitime. Je vous servirais mal et lui » aussi, si je vous parlais différemment. Vous » êtes tous les deux entourés d'ennemis qui vous

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sacrifient à leur propre intérêt. La constitu» tion, si une fois elle est en vigueur, bien loin » de faire le malheur du roi, fera sa félicité et » sa gloire; il faut qu'il concoure à ce qu'elle » s'établisse solidement et promptement.—L’in» fortunée reine choquée de ce que Dumou»riez heurtait ses idées, lui dit en haussant » la voix, avec colère: Cela ne durera pas; » prenez garde à vous.

- » Dumouriez répondit avec une fermeté » modeste: Madame, j'ai plus de cinquante » ans ; ma vie a été traversée de bien des périls, » et en prenant le ministère, j'ai bien réfléchi » que la responsabilité n'est pas le plus grand de » mes dangers. Il ne manquait plus, s'écria»t-elle avec douleur, que de me calomnier. Vous »semblez croire que je suis capable de vous faire assassiner : et des larmes coulèrent de >> ses yeux.

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Agité autant qu'elle-même : Dieu me préserve, dit-il, de vous faire une aussi cruelle

injure. Le caractère de votre majesté est grand » et noble; elle en a donné des preuves héroïques. » que j'ai admirées, et qui m'ont attache à elle.

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