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montré partout une fermeté, une intelligence rares. Il s'était tantôt offert à la cour, tantôt à l'assemblée constituante, parce que tout parti lui était égal, pourvu qu'il pût exercer son activité et ses talens extraordinaires. Dumouriez, rapetissé par le siècle, avait passé une partie de sa vie dans les intrigues diplo matiques; et avec sa bravoure, son génie militaire et politique, et ses cinquante ans, il n'était encore, à l'ouverture de la révolution qu'un brillant aventurier. Cependant il avait conservé le feu et la hardiesse de la jeunesse ; dès qu'une guerre ou une révolution s'ouvrait, il faisait des plans, les adressait à tous les partis, prêt à agir pour tous, pourvu qu'il pût agir. Il s'était ainsi habitué à ne faire aucun cas de la nature d'une cause; mais quoique trop dépourvu de conviction, il était généreux, sensible, et capable d'attachement, sinon pour les principes du moins pour les personnes. Mais avec son esprit si gracieux, si prompt, si vaste, son courage tour à tour calme ou impétueux, il était admirable pour servir, et incapable de dominer. Il n'avait nila dignité d'une conviction profonde, ni la fierté d'une volonté despotique, et il ne pouvait commander qu'à des soldats. Si avec son

génie il avait eu les passions de Mirabeau ou la volonté d'un Cromwel, ou seulement le dogmatisme d'un Robespierre, il eût dominé la révolution et la France.

Dumouriez, en arrivant auprès de Narbonne, forma tout de suite un vaste plan militaire. Il voulait à la fois la guerre offensive et défensive. Partout où la France s'étendait jusqu'à ses limites naturelles, le Rhin, les Alpes, les Pyrénées et la mer, il voulait qu'on se bornât à la défensive. Mais dans les Pays-Bas, où notre territoire n'allait pas jusqu'au Rhin, dans la Savoie, où il n'allait pas jusqu'aux Alpes, il voulait qu'on attaquât sur-le-champ, et qu'arrivé aux limites naturelles on reprît la défensive. C'était concilier à la fois nos avantages et les principes; c'était profiter d'une guerre qu'on n'avait pas provoquée, pour en revenir, en fait de limites, aux véritables lois de la nature. Il proposa une quatrième armée, destinée à occuper le midi, et en demanda le commandement qui lui fut promis. Il fut ainsi le premier qui, donnant à la science militaire un vaste essor, calcula sur un immense empire comme sur un champ de bataille, et disposa des armées comme d'un simple régiment.

Dumouriez s'était concilié Gensonné, l'un des commissaires civils envoyés dans la Vendée par l'assemblée constituante, député depuis à la législative et l'un des membres les plus influens de la Gironde. Il avait remarqué en outre que les jacobins étaient la puissance dominatrice; il s'était présenté dans leur club, avait lu divers mémoires qui avaient été fort applaudis, et n'en avait pas moins continué sa vieille amitié avec Delaporte, intendant de la liste civile et ami dévoué de Louis XVI. Tenant ainsi aux diverses puissances qui allaient s'allier, Dumouriez ne pouvait manquer de l'emporter et d'être appelé au ministère. Louis XVI lui fit offrir le porte-feuille des affaires étrangères, que le décret d'accusation contre Delessart venait de rendre vacant; mais, encore attaché au ministre accusé, le roi ne l'offrit que par intérim. Dumouriez se sentant fortement appuyé, et ne voulant pas paraître garder la place pour un ministre feuillant, refusa et l'obtint sans intérim. Il ne trouva au ministère que Cahier de Gerville et Degraves. Cahier de Gerville, quoique ayant donné sa démission n'avait pas encore quitté les affaires. Degraves avait remplacé Narbonne. Il était jeune, facile, et inexpérimenté. Dumouriez sut s'en

emparer, et il eut ainsi dans sa main les relations extérieures et l'administration militaire, c'est-à-dire, les causes et l'organisation de la guerre. Il ne fallait pas moins à ce génie si entreprenant. A peine arrivé au ministère, il mit le bonnet rouge aux Jacobins, parure nouvelle empruntée aux Phrygiens, et devenue l'emblème de la liberté. Il leur promit de gouverner pour eux et par eux. Présenté à Louis XVI, il le rassura, sur sa conduite aux Jacobins, il parvint à détruire les préventions qu'on lui avait inspirées, et sut lui plaire par ses témoignages empressés de dévouement, et égayer sa tristesse par son esprit. I persuada au roi qu'il ne cherchait à se populariser que pour le rendre plus puissant; mais malgré toute sa déférence, il ne manqua pas de dire au monarque que la constitution était inévitable, et le consola en lui assurant qu'on pouvait encore devenir assez puissant par elle. Ses premières dépêches aux puissances, pleines de raison et de fermeté, changèrent la nature des négociations, donnèrent à la France une attitude toute nouvelle, mais rendirent la guerre imminente. Il était naturel que Dumouriez désirât la guerre, puisqu'il en avait le génie, et qu'il avait médité trente

six ans sur ce grand art; mais il faut convenir qu'elle était devenue inévitable et que la conduite du cabinet de Vienne, et l'irritation de l'assemblée, l'avaient rendue nécessaire.

Dumouriez, par sa conduite aux Jacobins, par ses alliances connues avec la Gironde, devait, même sans haine contre les feuillans, se brouiller avec eux parce qu'il les déplaçait. Aussi fut-il dans une constante opposition avec tous les chefs de ce parti; et bravant les railleries et les dédains qu'ils dirigeaient contre les jacobins et l'assemblée, il se décida à poursuivre sa carrière avec une extrême persévérance.

Il fallait compléter le ministère; Pétion, Gensonné et Brissot étaient consultés sur le choix; on ne pouvait, d'après la loi, les prendre dans l'assemblée actuelle, ni dans la dernière; les choix se trouvaient donc extrêmement bornés. Dumouriez proposa un ancien commis au ministère de la marine, Lacoste, travailleur expérimenté, patriote opiniâtre, qui cependant s'attacha au roi, en fut aimé, et resta auprès de lui plus long-temps que tous les autres. On voulait donner le ministère de la justice à ce jeune Louvet, qui s'était récem

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