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Ce duc d'Orléans, qu'on voit reparaître encore dans les soupçons de ses ennemis, plutôt que dans la révolution, était alors presque éclipsé. On avait pu se servir de son nom, et lui-même avait pu concevoir quelque espérance de ceux auxquels il le prêtait, mais tout était bien changé depuis. Sentant luimême combien il était déplacé dans le parti populaire, il avait essayé d'obtenir le pardon de la cour pendant les derniers temps de la constituante, et il avait été repoussé. Sous la législative il avait été conservé au rang des amiraux, et avait fait de nouvelles tentatives auprès du roi. Cette fois il fut admis auprès de lui, eut un entretien assez long, et ne fut pas mal accueilli. Il devait retourner au château. Il s'y rendit le couvert de la reine était mis, et tous les courtisans s'y trouvaient en grand nombre. A peine fut-il aperçu, que les mots les plus outrageans furent proférés. «Prenez garde aux plats », s'écriait-onde toutes parts, comme si on avait redouté le poison. On le pressait, on lui marchait sur les pieds, et on l'obligea de se retirer. En descendant l'escalier, il reçut de nouveaux outrages, et sortit indigné, croyant que le roi et la reine lui avaient préparé cette scène humiliante. Cependant le roi et la reine

furent désespérés de cette imprudence des courtisans qu'ils ignoraient complétement. (6) Ce prince dut être plus irrité qu'il ne l'ayait jamais été ; mais il n'en devint certainement ni plus actif, ni plus habile chef de parti qu'auparavant. Ses amis, qui occupaient les Jacobins et l'assemblée, durent faire sans doute un peu plus de mouvement; de là on crut voir reparaître sa faction, et on pensa que ses prétentions et ses espérances renaissaient avec les dangers du trône.

Les girondins crurent que les cordeliers et les jacobins excessifs ne soutenaient la paix que pour priver Lafayette, rival du duc d'Orléans, des avantages que la guerre pouvait lui procurer. Quoi qu'il en soit, la guerre, repoussée par les jacobins, mais soutenue par les girondins, dut l'emporter dans l'assemblée où ceux-ci dominaient. L'assemblée commença par mettre d'abord en accusation, dès le 1 janvier, Monsieur, frère du roi, le comte d'Artois, le prince de Condé, Calonne, Mirabeau jeune et Laqueuille, comme prévenus d'hostilités contre la France. Un décret d'accusation n'étant point soumis à la sanction, on n'avait pas cette fois à redouter le veto. Le séquestre des biens des émigrés et la perception

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de leurs revenus au profit de l'état, ordonnés par

le décret non sanctionné, furent prescrits de nouveau par un autre décret auquel le roi ne mit aucune opposition. L'assemblée s'emparait des revenus à titre d'indemnités de guerre. Monsieur fut aussi privé de la régence, en vertu de la décision précédemment rendue.

Le rapport sur le dernier office de l'empereur fut enfin présenté à l'assemblée par Gensonné. Il fit remarquer que la France avait toujours prodigué ses trésors et ses soldats à l'Autriche sans jamais en obtenir de retour; que le traité d'alliance conclu en 1756 avait été violé par la déclaration de Pilnitz et les suivantes, dont l'objet était de susciter une coalition armée des souverains; qu'il l'avait été encore par l'armement des émigrés, souffert et secondé même par les princes de l'empire. Gensonné soutint de plus que, quoique des ordres eussent été récemment donnés pour la dispersion des rassemblemens, ces ordres apparens n'avaient pas été exécutés; que la cocarde blanche n'avait pas cessé d'être portée au delà du Rhin, la cocarde nationale outragée, et les Français voyageurs maltraités; qu'en conséquence il fallait demander à l'empereur une dernière explication sur le traité de 1756.

L'impression et l'ajournement de ce rapport furent ordonnés.

Le même jour, 14 janvier 1792, Guadet monte à la tribune; de tous les faits, dit-il, communiqués à l'assemblée, celui qui l'a le plus frappé, c'est le projet d'un congrès dont l'objet serait d'obtenir la modification de la constitution française, projet annoncé depuis long-temps, et enfin dénoncé comme possible par les comités et les ministres. « S'il est vrai, ajoute Guadet, que cette intrigue est conduite par des hommes qui croient y voir le moyen de sortir de la nullité politique dans laquelle ils viennent de descendre; s'il est vrai que quelques-uns des agens du pouvoir exécutif secondent de toute la puissance de leurs relations cet abominable complot; s'il est vrai qu'on veuille nous amener par les longueurs et le découragement à accepter cette honteuse, médiation, l'assemblée nationale doit-elle fermer les yeux sur de pareils dangers? Jurons, s'écrie l'orateur, de mourir tous ici, plutôt... On ne le laisse pas achever; toute l'assemblée se lève en criant: Oui, oui, nous le jurons; et d'enthousiasme on déclare infâme et traître à la patrie tout Français qui pourrait prendre part

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à un congrès dont l'objet serait de modifier la constitution. C'était surtout contre les anciens constituans et le ministre Delessart que ce décret était dirigé. C'est Delessart qu'on accusait de traîner les négociations en longueur. Le 17 la discussion sur le rapport de Gensonné fut reprise, et il fut décrété que le roi ne traiterait plus qu'au nom de la nation française, et qu'il requerrait l'empereur de s'expliquer définitivement avant le 1er mars prochain. Le roi répondit que depuis plus de quinze jours il avait demandé des explications positives à Léopold.

Dans cet intervalle, on apprit que l'électeur de Trèves, effrayé de l'insistance du cabinet français, avait donné de nouveaux ordres pour la dispersion des rassemblemens, pour la vente des magasins formés dans ses états, pour la prohibition des recrutemens et des exercices militaires, et que ces ordres étaient en effet mis à exécution. Dans les dispositions où l'on était, une pareille nouvelle fut froidement accueillie. On ne voulut y voir que de vaines démonstrations sans résultat ; et on persista à demander la réponse définitive de Léopold.

Des divisions existaient dans le ministère,

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