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La reine fut encore applaudie une fois à l'Opéra comme dans les jours de son éclat et de sa puissance, et elle revint toute joyeuse dire à son époux qu'on l'avait accueillie comme autrefois. Mais c'étaient les derniers témoignages qu'elle recevait de ce peuple jadis idolâtre de ses grâces royales. Ce sentiment d'égalité, qui demeure si long-temps étouffé chez les hommes, et qui est si fougueux lorsqu'il se réveille, se manifestait déjà de toute part. On touchait à la fin de l'année 1791; l'assemblée abolit l'antique cérémonial du premier de l'an, et décida que les hommages portés au roi, dans ce jour solennel, ne le seraient plus à l'avenir. A peu près à la même époque, une députation se plaignit de ce qu'on ne lui avait pas ouvert la porte du conseil à deux battans. La discussion fut scandaleuse, et l'assemblée, en écrivant à Louis XVI, supprima les titres de sire et de majesté. Un autre jour un député entra chez le roi, le chapeau sur la tête et dans un costume peu convenable. Cette conduite était souvent provoquée par le mauvais accueil que les gens de la cour faisaient aux députés, et dans ces représailles, l'orgueil des uns et des autres n'était jamais en arrière.

Narbonne poursuivait sa tournée avec une

rare activité. Trois armées furent établies sur la frontière menacée. Rochambeau, vieux général qui avait autrefois bien conduit la guerre, mais qui était aujourd'hui maladif, chagrin et mécontent, commandait l'armée placée en Flandre et dite du Nord. Lafayette avait l'armée du centre et campait vers Metz. Luckner, vieux guerrier, médiocre général, brave soldat, et très-popularisé dans les camps par ses mœurs toutes militaires, commandait la division d'Alsace. C'était là tout ce qu'une longue paix et une désertion générale nous avaient laissé de généraux.

Rochambeau, mécontent du nouveau régime, irrité d'une indiscipline inconnue pour lui, se plaignait sans cesse et ne donnait aucune espérance au ministère. Lafayette, jeune, actif, habile et jaloux de se distinguer bientôt en défendant la patrie, rétablissait la discipline dans ses troupes, et surmontait toutes les difficultés que lui suscitait la mauvaise volonté des officiers, qui étaient les aristocrates de l'armée. Il les avait réunis, et leur parlant le langage de l'honneur, il leur avait dit qu'ils devaient quitter le camp s'ils ne voulaient pas servir loyalement ; que s'il en était qui voulussent se retirer, il se chargeait de leur procurer

à tous ou des retraites en France, ou des passe-ports pour l'étranger; mais que s'ils persistaient à servir, il attendait de leur part zèle et fidélité. Il était ainsi parvenu à établir dans son armée un ordre meilleur que celui qui régnait dans toutes les autres. Quant à Luckner, dépourvu d'opinion politique et par conséquent facile à tous les régimes, il promettait beaucoup à l'assemblée, et avait su en effet s'attacher ses soldats.

Narbonne voyagea avec la plus grande célérité, et vint rendre compte à l'assemblée de sa rapide expédition. Il annonça que la réparation des places fortes était déjà très-avancée, que l'armée, depuis Dunkerque, jusqu'à Besançon, présentait une masse de deux cent quarante bataillons et cent soixante escadrons, avec l'artillerie nécessaire pour deux cent mille hommes, et des approvisionnemens pour six mois. Il donna les plus grands éloges au patriotisme des gardes nationales volontaires, et assura que sous peu leur équipement allait être complet. Le jeune ministre cédait sans doute aux illusions du zèle, mais ses intentions étaient si nobles, ses travaux si prompts, que l'assemblée le couvrit d'applaudissemens, offrit son rapport à la reconnaissance publique,

et l'envoya à tous les départemens; manière ordinaire de témoigner son estime à tout ce dont elle était satisfaite.

La guerre était donc la grande question du moment; c'était pour la révolution celle de l'existence même. Ses ennemis n'étant plus qu'au dehors, il ne restait qu'à les vaincre sur ce point, et tout était fini. Le roi, chef des armées, agirait-il de bonne foi contre ses parens et ses anciens courtisans, c'était là le doute sur lequel il importait surtout de rassurer la nation. Cette question de la guerre s'agitait aux Jacobins, qui n'en laissaient passer aucune sans la décider souverainement. Ce qui paraîtra singulier, les jacobins excessifs et Robespierre leur chef, étaient portés pour la paix, et les jacobins modérés, ou les girondins, pour la guerre. Brissot et Louvet étaient à leur tête. Brissot soutenait la guerre de son talent et de son influence. Il pensait avec Louvet et tous les girondins, qu'elle convenait à la nation parce qu'elle terminerait une dangereuse incertitude, et dévoilerait les véritables intentions du roi. Ces hommes jugeant du résultat d'après leur enthousiasme, ne pouvaient pas croire que la nation fût vaincue ; et ils pensaient que si, par la faute

du roi, elle éprouvait quelque échec passager, elle serait aussitôt éclairée, et déposerait un chef infidèle. Comment se faisait-il que Robespierre et les autres jacobins ne voulussent pas d'une détermination qui devait amener un dénoûment si prompt et décisif? C'est ce qu'on ne peut expliquer que par des conjectures. Le timide Robespierre s'effrayait-il de la guerre? ou bien ne la combattait-il que parce que Brissot, son rival aux Jacobins, la soutenait, et parce que le jeune Louvet l'avait défendue avec un rare talent? Quoi qu'il en soit, il combattit pour la paix avec une extrême opiniâtreté. Les cordeliers, qui étaient jacobins, se rendirent à la délibération et soutinrent Robespierre. Ils semblaient redouter surtout que la guerre ne donnât de trop grands avantages à Lafayette, et ne lui procurât bientôt la dictature militaire. C'était la crainte continuelle de Camille Desmoulins, qui ne cessait de se le figurer à la tête d'une armée victorieuse, écrasant, comme au Champ-de-Mars, jacobins et cordeliers. Louvet et les girondins supposaient un autre motif aux cordeliers, croyaient qu'ils ne poursuivaient dans Lafayette que l'ennemi du duc d'Orléans, auquel on les disait soumis.

et

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