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le décret contre des prêtres. Le matin on eut soin de répandre dans les journaux la destitú→ tion des anciens agens diplomatiques accusés d'aristocratie, et la nomination des nouveaux. Grâce à ces précautions le message fut accueilli sans murmure. Déjà l'assemblée s'y attendait, et la sensation ne fut pas aussi fâcheuse qu'on aurait pu le craindre. On voit quels ménagemens infinis le roi était obligé de garder pour faire usage de sa prérogative, et quel danger il y avait pour lui à l'employer. Quand même l'assemblée constituante, qu'on a accusée de l'avoir perdu en le dépouillant, lui eût accordé le veto absolu, en eût-il été plus puissant pour cela? Léveto suspensif ne faisait-il pas ici tout l'effet du veto absolu? Était-ce la puissance légale qui manquait au roi ou la puissance d'opinion? On le voit par l'effet même; ce n'est pas le défaut de prérogatives suffisantes qui a perdu Louis XVI, mais l'usage inconsidéré de celles qui lui restaient.

L'activité promise à l'assemblée ne se ralentit pas; les propositions pour les dépenses de guerre, pour la nomination des deux maréehaux Luckner et Rochambeau, se succédèrent sans interruption. Lafayette, arraché à la retraite où il était allé se délasser de trois

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années de fatigues, se présenta à l'assemblée où il fut parfaitement accueilli. Des bataillons de la garde nationale l'accompagnèrent à sa sortie de Paris; tout lui prouva que le nom de Lafayette n'était pas oublié, et qu'on le regardait encore comme un des fondateurs de la liberté.

Cependant Léopold, naturellement pacifique, ne voulait pas la guerre, car il savait qu'elle ne convenait pas à ses intérêts, mais il désirait un congrès soutenu d'une force imposante pour amener un accommodement et quelques réformes dans la constitution. Les émigrés ne voulaient pas des réformes, mais une destruction complète. Plus sage et mieux instruit, l'empereur savait qu'il fallait accorder beaucoup aux opinions nouvelles, et que tout ce qu'on pouvait désirer c'était tout au plus de rendre au roi quelques prérogatives, et de revenir sur la composition du corps législatif, en admettant deux chambres au lieu d'une. (5) Cette dernière mesure était la plus redoutée, et celle dont on faisait le plus souvent le reproche au parti feuillant ou constitutionnel. Il est certain que, si ce parti avait, dans les premiers temps de la constituante, repoussé la chambre haute, parce qu'il craignait avec

raison de voir la noblesse s'y retrancher, ses craintes alors n'étaient plus les mêmes, et il avait la juste espérance de la remplir presqu'à lui seul. Beaucoup de constituans, replongés dans une nullité complète, y auraient trouvé une occasion de rentrer sur la scène politique. Si donc cette chambre haute n'était pas dans leurs vues, elle était du moins dans leurs intérêts. Il est certain que les journaux en parlaient souvent, et que ce reproche était dans toutes les bouches. Combien avait été rapide la marche de la révolution! Le côté droit aujourd'hui, était composé des membres de l'ancien côté gauche ; et l'attentat redouté et reproché n'était plus le retour à l'ancien régime, mais l'établissement d'une chambre haute. Quelle différence de 89; et combien une folle résistance n'avait-elle pas précipité les événemens!

Léopold ne voyait donc pour Louis XVI que cette amélioration possible. En attendant son but était de traîner les négociations en longueur, et sans rompre avec la France de lui imposer par de la fermeté. Mais il manqua son but par sa réponse. Cette réponse consistait à notifier les conclusions de la diète de Ratisbonne, qui refusait d'accepter aucune indemnité pour les princes possessionnés en

Alsace. Rien n'était plus ridicule qu'une décision pareille, car tout le territoire compris sous une même domination doit relever des mêmes lois : si des princes de l'empire avaient des terres en France, ils devaient subir l'abolition des droits féodaux, et l'assemblée constituante avait déjà beaucoup fait en leur accordant des indemnités. Plusieurs d'entre eux ayant déjà traité à cet égard, la diète annulait leurs conventions, et leur défendait d'accepter aucun arrangement. L'empire prétendait ainsi ne pas reconnaître la révolution en ce qui le concernait. Quant à ce qui regardait les rassemblemens d'émigrés, Léopold, sans s'expliquer sur leur dispersion, répondait à Louis XVI que l'électeur de Trèves, pouvant d'après les injonctions du gouvernement français, essuyer de prochaines hostilités, il avait été ordonné au général Bender de lui porter de prompts secours.

Cette réponse ne pouvait pas être plus mal calculée; elle obligeait Louis XVI, pour ne pas se compromettre, de prendre des mesures vigoureuses, et de proposer la guerre. Delessart fut aussitôt envoyé à l'assemblée pour faire part de cette réponse, et témoigner l'étonnement que causait au roi la conduite de

Léopold. Le ministre assura que probablement on avait trompé l'empereur, et qu'on lui avait faussement persuadé que l'électeur avait satisfait à tous les devoirs du bon voisinage. Delessart communiqua en outre la réplique faite à Léopold. On lui avait signifié que nonobstant sa réponse et les ordres donnés au maréchal Bender, si les électeurs n'avaient pas au terme prescrit, c'est-à-dire au 15 janvier, satisfait à la demande de la France, on emploîrait contre eux la voie des armes. « Si cette déclaration, disait Louis XVI dans sa lettre à l'assemblée, ne produit pas l'effet que je dois en espérer, si la destinée de la France est d'avoir à combattre ses enfans et ses alliés, je ferai connaître à l'Europe la justice de notre cause; le peuple français la soutiendra par son courage, et la nation verra que je n'ai point d'autre intérêt que les siens, et que je regarderai toujours le maintien de sa dignité et de sa sûreté, comme le plus essentiel de mes devoirs >>

Ces paroles, où le roi semblait dans le commun danger s'unir à la nation, furent vivement applaudies. Les pièces furent livrées au comité diplomatique, pour en faire un prompt rapport à l'assemblée.

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