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d'hui libre, serait-il faible et timide ? On se trompe, dit Montesquieu, si l'on croit qu'un peuple en révolution est disposé à être conquis; il est prêt au contraire à conquérir les autres. (Applaudissemens.)

On vous propose des capitulations! On veut augmenter la prérogative royale, augmenter le pouvoir du roi, d'un homme dont la volonté peut paralyser celle de toute la nation, d'un homme qui reçoit trente millions, tandis que des milliers de citoyens meurent dans la détresse. (Nouveaux applaudissemens.) On veut ramener la noblesse! Dussent tous les nobles de la terre nous assaillir, les Français tenant d'une main leur or, et de l'autre leur fer, combattront cette race orgueilleuse, et la forceront d'endurer le supplice de l'égalité!

» Parlez aux ministres, au roi et à l'Europe, le langage qui convient aux représentans de la France. Dites aux ministres que jusqu'ici vous n'êtes pas très-satisfaits de leur conduite, et que par la responsabilité vous entendez la mort. (Applaudissemens prolongés.) Dites à l'Europe que vous respecterez les constitutions de tous les empires, mais que, si on suscite une guerre des rois contre la France, vous susci

terez une guerre des peuples contre les rois ! » Les applaudissemens se renouvelant encore, Respectez, s'écrie l'orateur, respectez mon enthousiasme, c'est celui de la liberté. Dites, ajoute-t-il, que les combats que se livrent les peuples par ordre des despotes, ressemblent aux coups que deux amis, excités par un instigateur perfide, se portent dans l'obscurité ! Si le jour vient à paraître, ils s'embrassent et se vengent de celui qui les trompait. De même si, au moment que les armées ennemies lutteront avec les nôtres, la philosophie frappe leurs les peuples s'embrasseront à la face des tyrans détrônés, de la terre consolée, et du ciel satisfait!»

yeux,

L'enthousiasme excité par ces paroles fut tel qu'on se pressait autour, de l'orateur pour l'embrasser. Le décret qu'il appuyait fut adopté sur-le-champ. M. de Vaublanc fut chargé de le porter au roi, à la tête d'une députation de vingt-quatre membres. Par ce décret l'assemblée déclarait qu'elle regardait comme indispensable de requérir les électeurs de Trèves, Mayence et autres princes de l'empire, de mettre fin aux rassemblemens formés sur la frontière. Elle suppliait en même temps le roi de hâter les négociations entamées pour les

indemnités dues aux princes possessionnés en Alsace.

M. de Vaublanc accompagna ce décret d'un discours ferme et respectueux, fort applaudi par l'assemblée. « Sire, disait-il, si les Français chassés de leur patrie par la révocation de l'édit de Nantes s'étaient rassemblés en armes sur les frontières, s'ils avaient été protégés par des princes d'Allemagne, sire, nous vous le demandons, quelle eût été la conduite de Louis XIV? Eût-il souffert ces rassemblemens? Ce qu'il eût fait pour son autorité, que votre majesté le fasse pour le maintien de la constitution! »

Louis XVI, décidé, comme nous l'avons dit, à corriger l'effet du veto par des actes qui plussent à l'opinion, résolut de se rendre à l'assemblée, et de répondre lui-même à son message par un discours qui pût la satisfaire.

Le 14 décembre, au soir, le roi s'y rendit après s'être annoncé le matin par un simple billet. Il fut reçu dans un profond silence. Il dit que le message de l'assemblée méritait une grande considération, et que, dans une circonstance où était compromis l'honneur français, il croyait devoir se présenter luimême ; que, partageant les intentions de l'as

semblée, mais redoutant le fléau de la guerre, il avait essayé de ramener des Français égarés; que les insinuations amicales ayant été inutiles, il avait prévenu le message des représentans, et avait signifié aux électeurs que, si avant le 15 janvier tout attroupement n'avait pas cessé, ils seraient considérés comme ennemis de la France; qu'il avait écrit à l'empereur pour réclamer son intervention en qualité de chef de l'empire et qu'en cas où satisfaction ne serait pas obtenue, il proposerait la guerre. Il finissait en disant qu'on chercherait vainement à environner de dégoûts l'exercice de son autorité, qu'il garderait fidèlement le dépôt de la constitution, et qu'il sentait profondément combien c'était beau d'être roi d'un peuple libre.

Les applaudissemens succédèrent au silence, et dédommagèrent le roi de l'accueil qu'il avait reçu en entrant. L'assemblée ayant décrété le matin qu'il lui serait répondu par un message, ne put lui exprimer sur-le-champ sa satisfaction, mais elle décida que son discours serait envoyé aux quatre-vingt-trois départemens. Narbonne entra aussitôt après, pour faire connaître les moyens qui avaient été pris afin d'assurer l'effet des injonctions adressées à

l'empire. Cent cinquante mille hommes devaient être réunis sur le Rhin, et ce n'était pas impossible, ajoutait-il. Trois généraux étaient nommés pour les commander, Luckner, Rochambeau et Lafayette. Les applaudissemens couvrirent le dernier nom. Narbonne ajoutait qu'il allait partir pour visiter les frontières, s'assurer de l'état des places fortes, et donner la plus grande activité aux travaux de défense; que sans doute l'assemblée accorderait les fonds nécessaires, et ne marchanderait pas la liberté. Non; non, s'écria-t-on de toutes parts. Enfin il demanda si l'assemblée, malgré que le nombre légal des maréchaux fût complet, ne permettrait pas au roi de conférer ce grade aux deux généraux Luckner et Rochambeau, chargés de sauver la liberté. Des acclamations témoignèrent le consentement de l'assemblée et la satisfaction que lui causait l'activité du jeune ministre. C'est par une conduite pareille que Louis XVI serait parvenu à se populariser, et à se concilier les républicains, qui ne voulaient de la république que parce qu'ils croyaient un roi incapable d'aimer et de défendre la liberté.

On profita de la satisfaction produite par ces mesures, pour signifier le véto apposé sur

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