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Ceux qui tireront sur les colonnes du peuple, seront mis à mort sur-le-champ. Cette affiche, imprimée chez le libraire Buisson, avait été apportée chez Santerre, où j'allai la chercher à minuit. Notre projet manqua cette fois par la prudence du maire, qui sentit vraisemblablement que nous n'étions pas assez en mesure dans ce moment; et la seconde séance active du directoire fut renvoyée au 4 août suivant.

Les mêmes personnes à peu près se trouvèrent dans cette séance, et en outre Camille Desmoulins : elle se tint au Cadran-Bleu, sur le boulevart; et sur les huit heures du soir, elle se transporta dans la chambre d'Antoine, l'ex-constituant, rue Saint-Honoré, visà-vis l'Assomption, juste dans la même maison où demeure Robespierre. L'hôtesse de Robespierre fut tellement effrayée de ce conciliabule, qu'elle vint, sur les onze heures du soir, demander à Antoine s'il voulait faire égorger Robespierre: Si quelqu'un doit être égorgé, dit Antoine, ce sera nous sans doute; il ne s'agit pas de Robespierre, il n'a qu'à se cacher.

» Ce fut dans cette seconde séance active que j'écrivis de ma main tout le plan de l'insurrection, la marche des colonnes et l'attaque du château. Simon fit une copie de ce plan, et nous l'envoyâmes à Santerre et à Alexandre, vers minuit; mais une seconde fois notre projet manqua, parce qu'Alexandre et Santerre n'étaient pas encore assez en mesure, et plusieurs voulaient attendre la discussion renvoyée au 10 août, sur la suspension du roi.

» Enfin la troisième séance active de ce directoire se tint dans la nuit du 9 au 10 août dernier, au moment

où le tocsin sonna, et dans trois endroits différens en même temps; savoir: Fournier l'Américain avec quelques autres au faubourg Saint-Marceau; Westermann, Santerre et deux autres au faubourg SaintAntoine; Garin, journaliste de Strasbourg, et moi, dans la caserne des Marseillais, et dans la chambre même du commandant, où nous avons été vus par tout le bataillon...

» Dans ce précis, qui est de la plus exacte vérité, et que je défie qui que ce soit de révoquer en doute dans ses moindres détails, on voit qu'il ne s'agit ni de Marat, ni de Robespierre, ni de tant d'autres qui veulent passer pour acteurs dans cette affaire; et que ceux-là qui peuvent s'attribuer directement la gloire de la fameuse journée du 10, sont ceux que je viens de nommer, et qui ont formé le directoire secret des fédérés.

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Copie de la lettre écrite au citoyen Boze, par Guadet, Vergniaud et Gensonné.

« Vous nous demandez, monsieur, quelle est notre opinion sur la situation actuelle de la France, et le choix des mesures qui pourraient garantir la chose publique des dangers pressans dont elle est menacée; c'est là le sujet des inquiétudes des bons citoyens, et l'objet de leurs plus profondes méditations.

» Lorsque vous nous interrogez sur d'aussi grands intérêts, nous ne balancerons pas à nous expliquer avec franchise.

>> On ne doit plus le dissimuler, la conduite du pouvoir exécutif est la cause immédiate de tous les maux qui affligent la France et des dangers qui environnent le trône. On trompe le roi, si on cherche à lui persuader que des opinions exagérées, l'effervescence des clubs, les manœuvres de quelques agitateurs et des factions puissantes ont fait naître et entretiennent ces mouvemens désordonnés dont chaque jour peut accroître la violence, et dont peut-être on ne pourra plus calculer les suites; c'est placer la cause du mal dans ses symptômes.

» Si le peuple était tranquille sur le succès d'une révolution si chèrement achetée, si la liberté publique

n'était plus en danger, si la conduite du roi n'excitait aucune méfiance, le niveau dans les opinions s'établirait de lui-même; la grande masse des citoyens ne songerait qu'à jouir des bienfaits que la constitution lui assure, et si dans cet état de choses il existait encore des factions, elles cesseraient d'être dangereuses, elles n'auraient plus ni prétexte ni objet.

» Mais tout autant que la liberté publique sera en péril, tout autant que les alarmes des citoyens seront entretenues par la conduite du pouvoir exécutif, et que les conspirations qui se trament dans l'intérieur et à l'extérieur du royaume paraîtront plus ou moins ouvertement favorisées par le roi, cet état de choses appelle nécessairement les troubles, le désordre et les factions. Dans les états les mieux constitués, et constitués depuis des siècles, les révolutions n'ont pas d'autre principe, et l'effet en doit être pour nous d'autant plus prompt qu'il n'y a point eu d'intervalle entre les mouvemens qui ont entraîné la première et ceux qui semblent aujourd'hui nous annoncer une seconde révolution.

» Il n'est donc que trop évident que l'état actuel des choses doit amener une crise dont presque toutes les chances seront contre la royauté. En effet, on sépare les intérêts du roi de ceux de la nation; on fait du premier fonctionnaire public d'une nation libre un chef de parti, et, par cette affreuse politique, on fait rejaillir sur lui l'odieux de tous les maux dont la France est affligée.

» Eh! quel peut être le succès des puissances étrangères, quand bien même on parviendrait, par leur

intervention, à augmenter l'autorité du roi et à donner au gouvernement une forme nouvelle ? N'est-il pas évident que les hommes qui ont eu l'idée de ce congrès ont sacrifié à leurs préjugés, à leur intérêt personnel, l'intérêt même du monarque; que le succès de ces manœuvres donnerait un caractère d'usurpation à des pouvoirs que la nation seule délégue, et que sa seule confiance peut soutenir ? Comment n'a-t-on pas vu que la force qui entraînerait ce changement serait longtemps nécessaire à la conservation, et qu'on sèmerait par-là dans le sein du royaume un germe de divisions et de discordes que le laps de plusieurs siècles aurait peine à étouffer?

» Aussi sincèrement qu'invariablement attachés aux intérêts de la nation, dont nous ne séparerons jamais ceux du roi qu'autant qu'il les séparera lui-même, nous pensons que le seul moyen de prévenir les maux dont l'empire est menacé, et de rétablir le calme, serait que le roi, par sa conduite, fît cesser tous les sujets de méfiance, se prononçât par le fait de la manière la plus franche et la moins équivoque, et s'entourât enfin de la confiance du peuple, qui seule fait sa force et peut faire son bonheur.

» Ce n'est pas aujourd'hui par des protestations nouvelles qu'il peut y parvenir; elles seraient dérisoires, et, dans les circonstances actuelles, elles prendraient un caractère d'ironie qui, bien loin de dissiper les alarmes, ne ferait qu'en accroître le danger.

» Il n'en est qu'une dont on pût attendre quelque effet ce serait la déclaration la plus solennelle qu'en aucun cas le roi n'accepterait une augmentation de

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