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au Louvre, au lieu de déserter leur poste, avaient chargé les assiégans repoussés, c'en était fait, et la victoire appartenait au château.

Mais dans ce moment arriva l'ordre du roi, confié à M. d'Hervilly, et portant défense de faire feu. M. d'Hervilly parvient sous le vestibule au moment où les Suisses venaient de repousser les assiégeans. Il les arrête, et leur enjoint, de la part du roi, de le suivre à l'assemblée. Les Suisses alors, en assez grand nombre, suivent M. d'Hervilly aux Feuillans, au milieu des décharges les plus meurtrières. Le château se trouve ainsi privé de la majeure partie de ses défenseurs. Il reste cependant encore, soit dans l'escalier, soit dans les appartemens, un assez grand nombre de malheureux Suisses, auxquels l'ordre n'est point parvenu, et qui bientôt vont être exposés, sans moyens de résistance, aux plus terribles dangers.

Pendant ce temps, les assiégeans s'étaient ralliés. Les Marseillais, unis aux Bretons, s'indignaient d'avoir cédé; ils se raniment et reviennent à la charge, pleins de fureur. Westermann, qui depuis montra des talens véritables, dirige leurs efforts avec intelligence; ils se précipitent avec ardeur, tombent

en grand nombre, mais arrivent enfin sous le vestibule, franchissent l'escalier, et se rendent maîtres du château. La populace à piques s'y précipite à leur suite, et le reste de cette scène n'est bientôt plus qu'un massacre. Les malheureux Suisses implorent en vain leur grâce en jettant leurs armes ; ils sont impitoyablement massacrés. Le feu est mis au château; les serviteurs qui le remplissent sont poursuivis; les uns fuyent, les autres sont immolés. Dans le nombre, il y a des vainqueurs généreux: «Grâce aux femmes ! s'écrie l'un d'entre » eux; ne déshonorez pas la nation! » et il sauve des dames de la reine, qui étaient à genoux, en présence des sabres levés sur leur tête. Il y eut des victimes courageuses; il y en eut d'ingénieuses à se sauver, quand il n'y avait plus de courage à se défendre; il y eut même, chez ces vainqueurs furieux, des mouvemens de probité; et l'or trouvé au château, soit vanité populaire, soit le désintéressement qui naît de l'exaltation, fut rapporté à l'assemblée.

L'assemblée était demeurée dans l'anxiété, attendant l'issue du combat. Enfin à onze heures, on entend les cris de victoire mille fois répétés. Les portes cèdent sous l'effort

d'une multitude ivre de joie et de fureur. La salle est remplie des débris qu'on y apporte, des Suisses qu'on a faits prisonniers, et auxquels on accorde la vie, pour faire hommage à l'assemblée de cette clémence populaire. Pendant ce temps, le roi et sa famille, retirés dans l'étroite loge d'un journaliste, assistaient à la ruine de leur trône et à la joie de leurs vainqueurs. Vergniaud avait quitté un instant la présidence pour rédiger le décret de la déchéance; il rentre, et l'assemblée rend ce décret célèbre, d'après lequel,

Louis XVI est provisoirement suspendu de la royauté ;

Un plan d'éducation est ordonné pour le prince royal;

Une convention nationale est convoquée. Était-ce donc un projet longuement arrêté que celui de ruiner la monarchie puisqu'on ne faisait que suspendre le roi, et qu'on préparait l'éducation du prince? Avec quelle crainte, au contraire, ne touchait-on pas à cet antique pouvoir? Avec quelle espèce d'hésitation n'approchait-on pas de ce vieux tronc, sous lequel les générations françaises avaient tour à tour souffert ou été heureuses, mais sous lequel enfin elles avaient vécu ?

Cependant l'imagination publique est prompte ; peu de temps lui devait suffire pour dépouiller les restes d'un antique respect; et la monarchie suspendue allait être bientôt la monarchie détruite. Elle allait périr, non dans la personne d'un Louis XI, d'un Charles IX, d'un Louis XIV, mais dans celle de Louis XVI, l'un des rois les plus honnêtes qui se soient assis sur le trône.

FIN DU TOME SECOND.

NOTES

ET

PIÈCES JUSTIFICATIVES

DU SECOND VOLUME.

NOTE 1. Page 12.

LE ministre Bertrand de Molleville a fait connaître les dispositions du roi et de la reine, au commencement de la première législature, d'une manière qui laisse peu de doutes sur leur sincérité. Voici comment il raconte sa première entrevue avec ces augustes personnages:

« Après avoir répondu à quelques observations générales que j'avais faites sur la difficulté des circonstances, et sur les fautes sans nombre que je pourrais commettre dans un département que je ne connaissais point, le roi me dit : « Eh bien ! vous reste-t-il encore » quelque objection ? Non, sire; le désir d'obéir et » de plaire à votre majesté est le seul sentiment que j'éprouve; mais pour savoir si je peux me flatter de

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