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une artillerie formidable pointée sur le château. Sa présence excita encore quelques restes d'enthousiasme; les bonnets des grenadiers furent tout à coup élevés sur la pointe des sabres et des baïonnettes; l'antique cri de Vive le roi, retentit une dernière fois sous les voûtes du château paternel. Un dernier reste de courage se ranima, les cœurs abattus s'échauffèrent on eut encore un moment de confiance et d'espoir; mais dans l'instant il arrivait de nouveaux bataillons de la garde nationale, qui avaient été formés plus tard que les autres, et qui se rendaient à l'ordre précédemment donné par Mandat. Ils entrèrent à l'instant où les cris de Vive le roi retentissaient dans la cour. Les uns se joignirent à ceux qui saluaient ainsi la présence du monarque; les autres, qui n'étaient pas du même sentiment, se crurent en danger, et se rappelant toutes les fables populaires qu'on avait débitées, s'imaginèrent qu'ils allaient être livrés aux chevaliers du poignard. Ils s'écrièrent aussitôt que le scélérat de Mandat les avait trahis, et ils s'agitèrent en tumulte. Les canonniers, imitant cet exemple, tournèrent leurs pièces contre la façade du château. Une dispute s'engagea aussitôt avec les bataillons

dévoués; les canonniers furent désarmés et remis à un détachement; on dirigea vers les jardins les nouveaux arrivans.

Le roi, dans cet instant, descendait l'escalier pour faire la revue des cours. On annonce son arrivée chacun reprend ses rangs; il les traverse avec une contenance tranquille, et en promenant sur tout le monde des regards expressifs qui pénétraient les cœurs. S'adressant aux soldats, il leur dit avec une voix assurée, qu'il était touché de leur dévouement, qu'il serait à leurs côtés, et qu'en le défendant lui-même ils défendaient leurs femmes et leurs enfans. Il passe ensuite sous le vestibule pour se rendre dans le jardin ; mais au même instant, il entend le cri à bas le veto, poussé par un des bataillons qui venaient d'entrer. Deux officiers, placés à côté de lui, veulent alors l'empêcher de faire la revue dans le jardin, d'autres l'engagent à aller visiter le poste du Pont-Tournant; il y consent avec courage. Mais il est obligé de passer le long de la terrasse des feuillans, chargée de peuple. Pendant ce trajet, il n'est séparé de la foule furieuse que par un ruban tricolore ; il s'avance cependant et reçoit toutes sortes d'insultes et d'outrages; il voit même les ba

taillons défiler devant lui, parcourir le jardin, et en sortir sous ses yeux, pour aller se réunir aux assaillans sur la place du Carousel.

Cette désertion, celle des canonniers, les cris d'à bas le veto, avaient ôté toute espérance au roi. Dans ce même moment, les gendarmes réunis à la colonnade du Louvre et ailleurs s'étaient ou dispersés ou réunis au peuple. De son côté, la garde nationale qui occupait les appartemens, et sur laquelle on croyait pouvoir se fier, était mécontente de se trouver avec les gentilshommes, et paraissait se défier d'eux. La reine la rassura. « Grenadiers, s'é› cria-t-elle en montrant ces gentilshommes, » ce sont vos compagnons, ils viennent mourir » à vos côtés. Cependant, malgré ce courage apparent, le désespoir était dans son âme. Cette revue avait tout perdu, et elle se plaignait que le roi n'eût montré aucune énergie. Il faut le répéter, ce malheureux prince ne craignait rien pour lui-même. Il avait en effet refusé de se revêtir d'un plastron, comme au dernier 14 juillet, disant qu'en un jour de combat, il devait être découvert comme le dernier de ses serviteurs. Le courage ne lui manquait done pas, et depuis il en montra un assez noble, assez élevé; mais il lui man

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quait l'audace de l'offensive; il lui manquait d'être plus conséquent, et par exemple de ne craindre l'effusion du sang, lorsqu'il consentait à l'arrivée de l'étranger en France. Il est certain, comme on l'a souvent dit, que s'il fût monté à cheval et qu'il eût chargé à la tête des siens, l'insurrection se serait dissipée.

Dans ce moment, les membres du département voyant le désordre général du château, et désespérant du succès de la résistance, se présentèrent au roi, et lui conseillèrent de se retirer au sein de l'assemblée. Ce conseil, tant de fois calomnié, comme tous ceux qu'on donne aux rois, et qui ne réussissent pas, était le seul convenable dans le moment. Par cette retraite, toute effusion de sang était prévenue, et la famille royale était préservée d'une mort qui était presque certaine, si le palais était pris d'assaut. Dans l'état où se trouvaient les choses, le succès de cet assaut n'était pas douteux; et le fût-il, le doute suffisait pour qu'on évitât de s'y exposer.

La reine s'opposa vivement à ce projet. Madame, lui dit Roederer, vous exposez la vie de votre époux et celle de vos enfans: songez à la responsabilité dont vous vous chargez. L'altercation fut assez vive; enfin le roi se

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décida à se retirer dans l'assemblée; et d'un air résigné : « Partons, dit-il à sa famille et à ceux qui l'entouraient. — Monsieur, dit la reine à Roederer, vous répondez de la vie du roi et de mes enfans. Madame, répliqua le procureur-syndic, je réponds de mourir à leurs côtés, mais je ne promets rien de plus. On se mit alors en marche pour se rendre à l'assemblé, par le jardin, la terrasse des Feuillans et la cour du Manége. Tous les gentilshommes et les serviteurs du château se précipitaient pour suivre le roi, et ils pouvaient le compromettre en irritant le peuple et en indisposant l'assemblée par leur présence. Rœderer faisait de vains efforts pour les arrêter, et leur répétait de toutes ses forces, qu'ils allaient faire égorger la famille royale. Il parvint enfin à en écarter un grand nombre, et on se mit en marche. Un détachement de Suisses et de gardes nationaux accompagnèrent la famille royale. Une députation de l'assemblée vint la recevoir pour la conduire dans son sein. Dans ce moment, l'affluence était si grande, que la foule était impénétrable. Un grenadier d'une haute taille se saisit du dauphin, et l'élevant dans ses bras, traverse la multitude en le portant au-dessus de sa tête. La reine,

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