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servir au besoin, et de réunir leurs efforts à ceux des constitutionnels pour protéger sa personne et son trône. En outre leur présence à Coblentz provoquait des lois sévères qu'il ne voulait pas sanctionner; sa résistance à l'assemblée le compromettait avec elle; et on verra que c'est l'usage qu'il fit du veto, qui le dépopularisa complètement en le faisant regarder comme complice des émigrés. Il serait étrange qu'il n'eût pas aperçu la justesse de ces raisons, que tous les ministres avaient sentie. Ceux-ci pensaient unanimement que les émigrés devaient retourner auprès de sa personne, pour la défendre, pour faire cesser les alarmes et ôter tout prétexte aux agitateurs. C'était même l'opinion de Bertrand de Molleville, dont les penchans n'étaient rien moins que constitutionnels. « Il fallait, dit-il, employer tous » les moyens possibles d'augmenter la popu»larité du roi. Le plus efficace et le plus utile » de tous, dans ce moment, était de rappeler › les émigrés. Leur retour généralement dé› siré aurait fait revivre en France le parti royaliste que l'émigration avait entièrement désorganisé. Ce parti fortifié par le discré> dit de l'assemblée et recruté par les nombreux déserteurs du parti constitutionnel,

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» et par tous les mécontens, serait bientôt » devenu assez puissant pour rendre décisive en faveur du roi l'explosion plus ou moins prochaine à laquelle il fallait s'attendre. >> ( Tome 6, page 42.)

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Louis XVI, se conformant à cet avis des ministres, adresse des exhortations aux principaux chefs de l'armée et aux officiers de marine pour leur rappeler leur devoir, et les retenir à leur poste. Cependant ses exhortations furent inutiles et la désertion continua sans interruption. Le ministre de la guerre vint annoncer que dix-neuf cents officiers avaient déserté. L'assemblée ne put plus alors se modérer, et elle résolut de prendre des mesures vigoureuses. La constituante s'était bornée, en dernier lieu, à prononcer la destitution des fonctionnaires publics qui étaient hors du royaume, et à frapper les biens des émigrés d'une triple contribution, pour dédommager l'état des services dont ils le privaient par leur absence. L'assemblée nouvelle proposa des peines plus sévères.

Divers projets furent présentés. Brissot distingua trois classes d'émigrés : les chefs de la desertion, les fonctionnaires publics qui abandonnaient leurs fonctions, et enfin ceux qui

par crainte avaient fui le sol de leur patrie. Il fallait, disait-il, sévir contre les premiers mépriser et plaindre les autres.

Il est certain que la liberté de l'homme ne permet pas qu'on l'enchaîne au sol; mais, lorsque la certitude est acquise par une foule de circonstances que les citoyens qui le quittent vont se réunir au dehors pour lui déclarer la guerre, il est permis de prendre des précautions contre des projets aussi dangereux.

La discussion fut longue et opiniâtre. Les constitutionnels s'opposaient à toutes les mesures proposées, et soutenaient qu'il fallait mépriser d'inutiles tentatives, comme avaient toujours fait leurs prédécesseurs. Cependant le parti opposé l'emporta, et un premier décret fut rendu, qui enjoignit à Monsieur, frère du roi, de rentrer sous deux mois, faute de quoi il perdrait son droit éventuel à la régence. Un second décret plus sévère fut porté contre les émigrés en général; il déclarait que les Français rassemblés au delà des frontières du royaume étaient suspects de conjuration contre la France; que, premier janvier prochain ils étaient encore en état de rassemblement, ils seraient déclarés

si au

coupables de conjuration, poursuivis comme tels, et punis de mort; et que les revenus des contumaces seraient pendant leur vie perçus au profit de la nation, sans préjudice des droits des femmes, enfans et créanciers légitimes.

L'action d'émigrer n'étant pas répréhensible en elle-même, il est difficile de caractériser le cas où elle le devient. Ce que pouvait faire la loi, c'était d'avertir d'avance qu'on allait devenir coupable à telle condition; et tous ceux qui ne voulaient pas l'être n'avaient qu'à obéir. Ceux qui, avertis du terme auquel l'absence du royaume devenait un crime, ne rentraient pas, consentaient par cela même à passer pour criminels. Ceux qui, sans motif de guerre ou de politique, étaient hors du royaume, devaient se hâter de revenir; et c'est un sacrifice assez léger à la sûreté d'un état, que d'abréger un voyage de plaisir ou d'intérêt.

Louis XVI, afin de satisfaire l'assemblée et l'opinion publique, consentit au décret qui ordonnait à Monsieur de rentrer, sous peine de perdre son droit à la régence, mais il apposa son veto sur la loi contre les émigrés. Les ministres furent chargés de se rendre tous

ensemble à l'assemblée, pour y annoncer les volontés du roi. Hls lurent d'abord divers décrets auxquels la sanction était donnée. Quand arriva celui des émigrés, un silence profond se fit dans l'assemblée; et lorsque le garde des sceaux prononça la formule officielle, le roi examinera, un grand mécontentement se manifesta de tous côtés. Il voulut développer les motifs du veto; mais une foule de voix s'élevèrent, et dirent au ministre que la constitution accordait au roi le droit de faire opposition, mais non celui de la motiver. Le ministre fut donc obligé de se retirer en laissant après lui une profonde irritation. Cette première résistance du roi à l'assemblée fut une rupture définitive; et quoiqu'il eût sanctionné le décret qui privait son frère de la régence, on ne put s'empêcher d'y voir une affection pour les insurgés de Coblentz. On se rappela qu'il était leur parent, leur ami, et en quelque sorte leur cointéressé; et on en conclut qu'il lui était impossible de ne pas faire cause commune avec eux contre la nation.

Dès le lendemain Louis XVI fit publier une proclamation aux émigrés, et deux lettres particulières à chacun de ses frères. Les raisons qu'il leur présentait aux uns et aux autres

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