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par la conformité des vues, et par l'envie que sa nouvelle dignité inspira aux Jacobins.

Cependant si, malgré ces dispositions des partis, on avait pu compter sur le roi, il est possible que les méfiances des Girondins se fussent calmées, et que, le prétexte des troubles n'existant plus, les agitateurs, n'eussent trouvé désormais aucun moyen d'ameuter la populace.

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Les intentions du roi étaient formées ; mais il était si faible qu'elles n'étaient jamais irrévocables. Il fallait qu'il les prouvât avant qu'on y crût; et, en attendant la preuve, était exposé à plus d'un outrage. Son caractère, quoique bon, n'était pas sans une certaine disposition à l'humeur; ses résolutions devaient donc être facilement ébranlées par les premières fautes de l'assemblée. Elle se forma elle-même, et prêta serment avec pompe sur le livre de la constitution. Son premier décret, relatif au cérémonial, abolit les titres de sire et de majesté donnés ordinairement au roi. Elle ordonna de plus qu'en paraissant dans l'assemblée, il serait assis sur un fauteuil absolument semblable à celui du président. C'étaient là les premiers effets de l'esprit républicain; et la fierté de Louis XVI en fut

cruellement blessée. Pour se soustraire à ce qu'il regardait comme une humiliation, il résolut de ne pas se montrer à l'assemblée et d'envoyer ses ministres ouvrir la session législative. L'assemblée, se repentant de cette première hostilité, révoqua son décret le lendemain, et donna ainsi un rare exemple de retour. Le roi s'y rendit alors et fut parfaitement accueilli. Malheureusement on avait décrété que les députés, si le roi restait assis, pourraient également s'asseoir; c'est ce qu'ils firent, et Louis XVI y vit une nouvelle insulte. Les applaudissemens dont il fut couvert ne purent guérir sa blessure. Il rentra pâle et les traits altérés. A peine fut-il seul avec la reine, qu'il se jeta sur un siège en sanglotant. « Ah! madame, s'écria-t-il, vous avez été témoin de cette humiliation! Quoi! venir en France pour voir... » La reine s'efforça de le consoler, mais son cœur était profondément blessé, et ses bonnes intentions durent en être ébranlées*.

Cependant si dès lors il ne songea plus qu'à recourir aux étrangers, les dispositions des puissances durent lui donner peu d'espoir. La déclaration de Pilnitz était demeurée sans

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* Voyez M Campan, tome II, page 129.

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effet, soit par défaut de zèle de la part des souverains, soit aussi à cause du danger que Louis XVI aurait couru, étant depuis le retour de Varennes prisonnier de l'assemblée constituante. L'acceptation de la constitution était un nouveau motif d'attendre les résultats de l'expérience, avant d'agir. C'était l'avis de Léopold et du ministre Kaunitz. Aussi lorsque Louis XVI eut notifié à toutes les cours qu'il acceptait la constitution, et que son intention était de l'observer fidèlement, L'Autriche donna une réponse très-pacifiqueLa Prusse et l'Angleterre en firent de même, et protestèrent de leurs intentions amicales. Il est à observer que les puissances voisines agissaient avec plus de réserve que les puissances éloignées, telles que la Suède et la Russie, parce qu'elles étaient plus immédiatement compromises dans la guerre. Gustave, qui rêvait une entreprise brillante sur la France, répondit à la notification qu'il ne regardait pas le roi comme libre. La Russie différa de s'expliquer. La Hollande, les principautés italiennes, mais surtout la Suisse, firent des réponses satisfaisantes. Les électeurs de Trèves et de Mayence, dans les territoires desquels se trouvaient les émigrés,

employèrent des expressions évasives. L'Espagne, assiégée par les émissaires de Coblentz, ne se prononça pas davantage, et prétendit qu'elle désirait du temps pour s'assurer de la liberté du roi; mais elle assura néanmoins qu'elle n'entendait pas troubler la tranquillité du royaume.

De telles réponses, dont aucune n'était hostile, la neutralité assurée de l'Angleterre, l'incertitude de Frédéric-Guillaume, les dispositions pacifiques et bien connues de Léopold, tout faisait prévoir la paix. Il est difficile de savoir ce qui se passait dans l'âme vacillante de Louis XVI, mais son intérêt évident, et les craintes mêmes que la guerre lui inspira plus tard, doivent porter à croire qu'il désirait aussi la conservation de la paix. Au milieu de ce concert général, les émigrés seuls s'obstinèrent à vouloir la guerre et à la préparer.

Ils se rendaient toujours en foule à Coblentz; ils y armaient avec activité, ils préparaient des magasins, passaient des marchés pour les fournitures, formaient des cadres qui à la vérité ne se remplissaient pas, car aucun d'eux ne voulait se faire soldat; ils instituaient des grades, qui se vendaient; et, s'ils ne tentaient rien de véritablement dangereux

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ils faisaient néanmoins de grands préparatifs, qu'eux-mêmes croyaient redoutables, et dont l'imagination populaire dut s'effrayer.

La grande question était de savoir si Louis XVI les favorisait ou non ; et il était difficile de croire qu'il ne fût pas très-disposé en faveur de parens et de serviteurs qui s'armaient pour lui rendre ses anciens pouvoirs. Il ne fallait pas moins que la plus grande sincérité et de continuelles démonstrations pour persuader le contraire. Les lettres du roi aux émigrés portaient l'invitation et même l'ordre de rentrer; mais il avait, dit-on (2), une correspondance secrète qui démentait sa correspondance publique et en détruisait l'effet. On ne peut sans doute contester les communications secrètes avec Coblentz, mais je ne crois pas que Louis XVI s'en soit servi pour annuler les injonctions de rentrer qu'il avait publiquement faites aux émigrés. Son intérêt le plus évident voulait qu'ils rentrassent. Leur présence à Coblentz ne pouvait être utile qu'autant qu'ils avaient le projet de combattre; or Louis XVI redoutait la guerre civile par-dessus tout. Ne voulant donc pas employer leur épée sur le Rhin, il valait mieux qu'il les eût auprès de lui, afin de s'en

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