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avec les autres. Sous la constituante, lorsqu'une liberté réelle régnait encore, cette masse était restée indépendante; mais comme elle ne l'était pas par force, mais en partie par indifférence, dans les assemblées postérieures et sous le règne de la violence, elle devint lâche et méprisable, et reçut le nom trivial et honteux de ventre.

Les clubs acquirent à cette époque une tout autre importance. Agitateurs sous la constituante, ils devinrent dominateurs sous la législative. L'assemblée nationale, ne pouvant contenir toutes les ambitions, elles se réfugiaient dans les clubs, où elles trouvaient une tribune et des orages. C'était là que se rendait tout ce qui voulait parler, s'agiter, s'émouvoir, c'est-à-dire la nation presque entière. Le peuple courait à ce spectacle nouveau ; il occupait les tribunes de toutes les assemblées, et y trouvait dès ce temps même un emploi lucratif, car on commencait à payer les applaudissemens. Le ministre Bertrand avoue les avoir payés lui-même.

Le plus ancien des clubs, celui des Jacobins, avait acquis une importance extraordi→ naire. Une église suffisait à peine à la foule de ses membres et de ses auditeurs. Un im

mense amphithéâtre s'élevait en forme de cirque, et occupait toute la grande nef de l'église des Jacobins. Un bureau se trouvait au centre; le président et les secrétaires l'occupaient. On y receuillait les voix; on y constatait les délibérations sur un registre. Une correspondance active entretenait le zèle des sociétés répandues sur la surface entière de la France; c'était celles qu'on nommait sociétés affiliées. Ce club, par son ancienneté et une violence soutenue, l'avait constamment emporté sur tous ceux qui avaient voulu se montrer plus modérés ou même plus véhémens. Les Lameths, après le voyage de Varenne, l'avaient abandonné avec tout ce qu'il renfermait de plus distingué, et s'étaient transportés aux Feuillans. C'était dans ce dernier que se trouvaient confondus tous les essais de clubs modérés, essais qui n'avaient jamais réussi parce qu'ils allaient contre le besoin même qui faisait courir aux clubs, celui de l'agitation. C'est aux Feuillans que se réunissaient alors les constitutionnels, ou partisans de la première révolution. Aussi le nom de Feuillant devint-il un titre de proscription, lorsque celui de modéré en fut un.

Un autre club avait voulu rivaliser par la

violence avec celui des Jacobins, c'était celui des Cordeliers. Camille Desmoulins en était l'écrivain, et Danton le chef. Ce dernier n'ayant pas réussi au barreau, s'était fait adorer de la multitude qu'il touchait vivement par ses formes athlétiques, sa voix sonore, et ses passions toutes populaires. Les Cordeliers. n'avaient pu, même avec de l'exagération, l'emporter sur leurs rivaux, vers lesquels l'habitude portait l'affluence. Mais ils étaient presque tous du club jacobin, et lorsqu'il le fallait, ils s'y rendaient à la suite de Danton pour déterminer la majorité en sa faveur.

Robespierre, qu'on a vu pendant l'assemblée constituante se distinguer par le rigorisme de ses principes, était exclu de l'assemblée législative par le décret de nonréélection qu'il avait lui-même contribué à faire rendre. Il s'était retranché chez les Jacobins où il dominait sans partage, par le dogmatisme de ses opinions et une réputation d'intégrité qui lui valut le nom d'incorruptible. Saisi d'effroi comme on l'a vu, au moment de la révision, il s'était rassuré depuis, et il continuait l'œuvre de sa popularité. Robespierre avait trouvé deux rivaux qu'il commençait à haïr, c'étaient Brissot et Louvet.

Brissot, mêlé à tous les hommes de la première assemblée, ami de Mirabeau et de Lafayette, connu pour républicain, et l'un des membres les plus distingués de la législative, était léger de caractère, mais supérieur par l'étendue ét l'élévation de son esprit. Louvet, avec une âme chaude, beaucoup d'esprit et une grande audace, était du nombre de ceux qui, ayant dépassé la constituante, rêvaient la république: il se trouvait par là naturellement jeté vers les Girondins. Bientôt ses luttes avec Robespierre le leur attachérent davantage. Ce parti de la Gironde formé peu à peu, sans intention, par des hommes qui avaient trop de mérite pour s'allier à la populace, assez d'éclat pour être envié par elle et ses chefs, et qui étaient plutôt unis par leur situation que par un concert, ce parti dut être brillant mais faible, et périr devant les factions plus réelles qui se formaient autour de lui.

Tel était donc l'état de la France : les anciens privilégiés étaient retirés au delà du Rhin. Les partisans de la constitution occupaient la droite de l'assemblée, la garde nationale, et le club des Feuillans; les Girondins avaient la majorité dans l'assemblée, mais non dans les clubs, où la basse violence l'em

portait davantage; enfin les exagérés de cette nouvelle époque, placés sur les bancs les plus élevés de l'assemblée, et nommés la Montagne à cause de cela, étaient tout puissans dans les clubs et sur la populace.

Lafayette avait déposé tout grade militaire, et avait été accompagné dans ses terres par les hommages et les regrets de ses compagnons d'armes. Le commandement n'avait pas été délégué à un nouveau général, mais six chefs de légions commandaient alternativement la garde nationale tout entière. Bailly, le fidèle allié de Lafayette pendant ces trois années si pénibles, quitta aussi la mairie. Les voix des électeurs se partagèrent entre Lafayette et Pétion; mais la cour, qui ne voulait à aucun prix de Lafayette, dont cependant les dispositions lui étaient favorables, préféra Pétion, quoiqu'il fût républicain. Elle espéra davantage d'une espèce de froideur qu'elle prenait pour de la stupidité, mais qui n'en était pas, et elle dépensa beaucoup pour lui assurer la majorité. Il l'obtint en effet, et fut nommé maire. Pétion, avec un esprit éclairé, une conviction froide mais solide, avec assez d'adresse, servit constamment les républicains contre la cour, et se trouva lié à la Gironde

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