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de plus en plus. On annonce une lettre de Santerre; elle est lue au milieu des applaudissemens des tribunes. Les habitans du faubourg Saint-Antoine, portait cette lettre, célèbrent le 20 juin; on les a calomniés, et ils demandent à être admis à la barre de l'assemblée pour confondre leurs détracteurs, et prouver qu'ils sont toujours les hommes du 14 juillet.

Vergniaud répond ensuite à Dumolard que si la loi a été violée, l'exemple n'est pas nouveau ; que vouloir s'y opposer cette fois, ce serait renouveler la scène sanglante du Champ-deMars; et qu'après tout, les sentimens des pétitionnaires n'ont rien de répréhensible. Justement inquiets de l'avenir, ajoute Vergniaud, ils veulent prouver que, malgré toutes les intrigues ourdies contre la liberté, ils sont toujours prêts à la défendre. — Ici, comme on le voit, la pensée véritable du jour se découvrait, par l'effet ordinaire de la discussion. Le tumulte continue. Ramond demande la parole, et il faut un décret pour la lui obtenir. Dans ce moment on annonce que les pétitionnaires sont huit mille. Ils sont huit

mille, reprend Calvet, et nous ne sommes que sept cent quarante-cinq? retirons-nous. A l'ordre, à l'ordre, s'écrie-t-on de toutes

parts. Calvet est rappelé à l'ordre, et on presse Ramond de parler, parce que huit mille citoyens attendent. Si huit mille citoyens m'attendent, dit-il, vingt-quatre millions de Français ne m'attendent pas moins. Il renouvelle alors les raisons données par ses amis du côté droit. Tout à coup les pétitionnaires se jettent dans la salle. L'assemblée indignée se lève, le président se couvre, et les pétitionnaires se retirent avec docilité. L'assemblée satisfaite consent à les recevoir.

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Cette pétition, dont le ton était on ne peut plus audacieux, exprimait l'idée de toutes les pétitions de cette époque: «Le peuple est prêt; il n'attend que vous ; il est disposé à se servir de grands moyens pour exécuter l'article 2 de la déclaration des droits, résistance » à l'oppression.... Que le petit nombre d'entre » vous qui ne s'unit pas à vos sentimens et aux » nôtres, purge la terre de la liberté, et s'en » aille à Coblentz.... Cherchez la cause des » maux qui nous menacent; si elle dérive du pouvoir exécutif, qu'il soit anéanti!... »

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Le président, après une réponse où il leur promet la vigilance des représentans du peuple, et leur recommande l'obéissance aux lois, leur accorde au nom de l'assemblée la

permission de défiler devant elle. Les portes s'ouvrent alors, et le cortége, qui était dans le moment de trente mille personnes au moins, traverse la salle. On se figure facilement tout ce que peut produire l'imagination du peuple livrée à elle-même. D'énormes tables portant la déclaration des droits précédaient la marche. Des femmes, des enfans dansaient autour de ces tables en portant des oliviers et des piques, c'est-à-dire la paix ou la guerre, au choix de l'ennemi. Ils répétaient en chœur le fameux refrain ça ira. Venaient ensuite les forts des halles, les ouvriers de toutes les classes, avec des piques, de mauvais fusils, des sabres et des fers tranchans placés au bout de gros bâtons. Santerre, et le marquis de Saint-Hurugues déjà signalé dans le 5 et 6 octobre, marchaient le sabre nu à leur tête. Des bataillons de la garde nationale suivaient en bon ordre, pour contenir le tumulte par leur présence. Après, venaient encore des femmes, encore des hommes armés. Des banderoles flottantes portaient ces mots : La constitution ou la mort. Des culottes déchirées étaient élevées en l'air, aux cris de vivent les sans-culottes! Enfin un signe atroce vint ajouter la férocité à la bizarrerie du spectacle. Au bout d'une pique était porté un

cœur de veau avec cette inscription: Cœur d'aristocrate. La douleur et l'indignation éclatèrent à cette vue sur-le-champ l'emblème affreux disparut, mais pour reparaître bientôt encore aux portes des Tuileries. Les applaudissemens des tribunes, les cris du peuple qui traversait la salle, ses chants civiques, ses rumeurs confuses, le silence plein d'anxiété de l'assemblée composaient une scène étrange et affligeante, pour les députés mêmes, qui voyaient un auxiliaire dans la multitude. Hélas! pourquoi faut-il que dans ces temps de discordes, la raison ne suffise pas! pourquoi ceux qui appelaient les barbares disciplinés du nord, obligeaient-ils leurs adversaires à appeler ces autres barbares indisciplinés, tour à tour gais et féroces, qui pullulent au sein des villes, et croupissent au-dessous de la civilisation la plus brillante !

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Cette scène dura trois heures. Enfin San

terre, reparaissant de nouveau pour faire à l'assemblée les remercîmens du peuple, lui offrit un drapeau en signe de reconnaissance et de dévouement.

La multitude en ce moment voulait entrer dans le jardin des Tuileries, dont les grilles étaient fermées. De nombreux détachemens

de la garde nationale entouraient le château, et, s'étendant en ligne depuis les feuillans jusqu'à la rivière, présentaient un front imposant. Un ordre du roi fit ouvrir la porte du jardin le peuple s'y précipitant aussitôt, : défila sous les fenêtres du palais, et devant les rangs de la garde nationale, sans aucune démonstration hostile. A bas le véto, vivent les sans-culottes, étaient les cris les plus fréquens. Cependant quelques-uns ajoutaienten parlant du roi Pourquoi ne se montre-t-il pas ?... Nous ne voulons lui faire aucun mal. - Cet ancien mot, on le trompe, se faisait entendre quelquefois encore, mais rarement. Le peuple, prompt à recevoir l'opinion de ses chefs, avait désespéré comme eux.

La multitude sortit par la porte du jardin qui donne sur le pont royal, remonta le quai, et vint, en traversant les guichets du Louvre, occuper la place du Carrousel. Cette place, aujourd'hui si vaste, était alors coupée par une foule de rues, qui étaient comme des espèces de chemins couverts. Au lieu de cette cour immense qui s'étend entre le corps du château et la grille, et depuis une aile jusqu'à l'autre, étaient de petites cours séparées par des murs et des habitations. D'antiques gui

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