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du pouvoir absolu peut l'excuser de ne pas s'être résigné à ce reste si brillant de puis

sance.

Le clergé dépouillé des biens immenses qu'il avait reçus jadis, à charge de secourir les pauvres, qu'il ne secourait pas, d'entretenir le culte dont il laissait le soin à des curés indigens, le clergé n'était plus un ordre politique. Mais ses dignités eoclésiastiques étaient conservées, ses dogmes respectés, ses richesses scandaleuses changées en un revenu suffisant, et on peut même dire abondant, car il permettait encore un assez grand luxe épiscopal. La noblesse n'était plus un ordre, elle n'avait plus les droits exclusifs de chasse, et autres pareils; elle n'était plus exempte d'impôts; mais pouvait-elle faire de ces choses l'objet d'un regret raisonnable? Ses immenses propriétés lui étaient laissées. Au lieu de la faveur de la cour, elle avait la certitude des succès accordés au mérite. Elle avait la faculté d'être élue par le peuple, et de le représenter dans l'état, pour peu qu'elle voulût se montrer bienveillante et résignée. La robe et l'épée étaient assurées à ses talens; pourquoi une généreuse émulation ne venait-elle pas l'animer tout à coup? Quel aveu d'incapacité ne

faisait-elle point en regrettant les faveurs d'autrefois ?

Les anciens pensionnaires avaient été ménagés; les ecclésiastiques avaient reçu des dédommagemens; chacun avait été traité avec égard; le sort que l'assemblée constituante avait fait à tous, était-il donc si insupportable?

La constitution étant achevée, aucune espérance ne restait au roi de recouvrer, par des délibérations, les prérogatives qu'il regrettait. Il n'avait plus qu'une chose à faire, c'était de se résigner, et d'observer la constitution, à moins qu'il ne comptât sur les puissances étrangères. Mais il espérait trèspeu de leur zèle, et se défiait de l'émigration. Il se décida donc pour le premier parti, et ce qui prouve sa sincérité, c'est qu'il voulait franchement exprimer à l'assemblée les défauts qu'il trouvait à la constitution. Mais on l'en détourna et il se résolut à attendre du temps les restitutions de pouvoir qu'il croyait lui être dues. La reine n'était pas moins résignée. «< Courage, dit-elle au ministre Bertrand, qui se présenta à elle, tout n'est pas encore perdu. Le roi veut s'en tenir à la constitution, ce système est certainement

le meilleur. » Et il est permis de croire que, si elle avait eu d'autres pensées à exprimer, elle n'eût pas hésité en présence de Bertrand de Molleville. (1)

L'ancienne assemblée venait de se séparer. Ses membres étaient retournés au sein de leurs familles, ou s'étaient répandus dans Paris. Quelques-uns des plus marquans, tels que Lameth, Duport, Barnave, communiquaient avec la cour, et lui donnaient leurs conseils. Mais le roi, tout décidé qu'il était à observer la constitution, ne pouvait se résigner à suivre les avis qu'il recevait, car on ne lui recommandait pas seulement de ne point violer cette constitution, mais de faire croire par tous ses actes qu'il lui était sincèrement attaché. Ces membres de l'ancienne assemblée, réunis à Lafayette depuis la révision, étaient les chefs de cette première génération révolutionnaire, qui avait donné les premières règles de liberté, et voulait qu'on s'y tînt. Ils étaient soutenus par la garde nationale, que ses longs services, sous Lafayette, avaient entièrement attachée à lui et à ses principes. Les constituans eurent alors un tort, celui de dédaigner la nouvelle assemblée, et de l'irriter souvent pas leur mépris. Une espèce de vanité aristocratique

s'était déjà emparée de ces premiers législateurs, et il semblait que toute la science législative était devenue impossible après

eux.

La nouvelle assemblée était composée de diverses classes d'hommes. On y comptait des partisans éclairés de la première révolution, Ramond, Girardin, Vaublanc, Dumas et autres, qui se nommèrent les constitutionnels, et occupèrent le côté droit, où ne se trouvait plus un seul des anciens privilégiés. Ainsi par la marche naturelle et progressive de la révolution, le côté gauche de la première assemblée devait devenir le côté droit de la seconde. Après les constitutionnels, on y trouvait, beaucoup d'hommes distingués, dont la révolution avait enflammé la tête, et exageré les désirs. Témoins des travaux de la constituante, et impatiens comme ceux qui regardent faire, ils avaient trouvé qu'on n'avait pas encore assez fait. Ils n'osaient pas s'avouer républicains, parce que de toute part on se recommandait d'être fidèle à la constitution; mais l'essai de république qu'on avait fait pendant le voyage de Louis XVI, les intentions suspectes de la cour, ramenaient sans cesse leurs esprits à cette idée, et ils devaient s'y

attacher toujours davantage par leurs hostilités continuelles avec le gouvernement.

Parmi cette nouvelle génération de talens, on remarquait principalement les députés de la Gironde, d'où le parti entier, quoique formé par des hommes de tous les départemens, se nomma girondin. Condorcet, écrivain connu. par une grande étendue d'idées, par une extrême rigueur d'esprit et de caractère, en était l'écrivain; et Vergniaud, improvisateur pur et entraînant, en était l'orateur. Ce parti, grossi sans cesse de tout ce qui désespérait de la cour, ne voulait pas la république qui lui échut en 1793; il la rêvait avec tous ses prestiges, avec ses vertus et ses mœurs sévères. L'enthousiasme et la véhémence devaient être ses principaux caractères.

Il devait avoir ses extrêmes ; c'étaient Bazire, Chabot, Merlin de Thionville et autres; inférieurs par par le talent, ils l'emportaient par la violence; déclamateurs forcenés, alliés obscurs de la populace, ils devinrent le parti de la Montagne, lorsqu'après le renversement du trône ils se séparèrent de la Gironde. Cette seconde assemblée avait enfin, comme la première, une masse moyenne, qui, sans engagement pris, votait tantôt avec les uns, tantôt

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