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ture de M. de Lafayette, et malgré cela, sa lettre est renvoyée au comité des douze pour en constater l'authenticité. Elle est ainsi privée de l'impression et de l'envoi aux départemens.

Cette généreuse démarche fut donc toutà-fait inutile, et devait l'être en l'état des esprits. Dès cet instant le général fut presque aussi dépopularisé que la cour; et si les chefs de la Gironde, plus éclairés que le peuple, ne croyaient pas Lafayette capable de trahir son pays parce qu'il avait attaqué les jacobins, la masse le croyait cependant, à force de l'entendre répéter dans les clubs, les journaux et les lieux publics.

Ainsi, aux alarmes que la cour avait inspirées au parti populaire, se joignirent celles que Lafayette vient y ajouter par ses propres démarches. Alors ce parti désespéra tout-à-fait, et résolut de frapper la cour, avant qu'elle pût mettre à exécution les complots dont on l'accusait.

On a déjà vu comment le parti populaire était composé. En se prononçant davantage il se caractérisait mieux, et de nouveaux personnages s'y faisaient remarquer. Robespierre s'est déjà fait connaître aux Jacobins, et Danton aux Cordeliers. Les clubs, la muni

cipalité et les sections renfermaient beaucoup d'hommes qui, par l'ardeur de leur caractère et de leurs opinions, étaient prêts à tout entreprendre. De ce nombre étaient Sergent et Panis, qui plus tard attachèrent leur nom à un événement formidable. Dans les faubourgs on remarquait plusieurs chefs de bataillon qui s'étaient rendus redoutables; le principal d'entre eux était un brasseur de bierre nommé Santerre. Par sa stature, sa voix, et une certaine facilité de langage, il plaisait au peuple, et avait acquis la domination du faubourg Saint-Antoine, dont il commandait le bataillon. Santerre s'était déjà distingué à l'attaque de Vincennes, repoussée par Lafayette en février 1791; et, comme tous les hommes trop faciles, il pouvait devenir bon ou cruel selon les inspirations du moment. Il assistait à tous les conciliabules qui se tenaient dans les faubourgs éloignés. Là se réunissaient le journaliste Carra, poursuivi pour avoir attaqué Bertrand de Molleville et Montmorin; un nommé Alexandre, commandant du faubourg Saint-Marceau; un autre très-connu sous le nom de Fournier l'Américain; plusieurs membres des Jacobins ; le boucher Legendre, qui fut depuis député à

la convention; un compagnon orfévre appelé Rossignol; et plusieurs autres qui par leurs communications avec la populace remuaient tous les faubourgs. Par les plus relevés d'entre eux, ils communiquaient avec les chefs du parti populaire, et pouvaient ainsi conformer leurs mouvemens à une direction supérieure.

On ne peut pas désigner d'une manière précise ceux des députés qui contribuaient à cette direction. Les plus distingués d'entre eux étaient étrangers à Paris, et n'y avaient d'autre influence que celle de leur éloquence. Guadet, Isnard, Vergniaux, étaient tous provinciaux et communiquaient plus avec leurs départemens qu'avec Paris même. D'ailleurs, très-ardens à la tribune, ils agissaient peu hors de l'assemblée, et n'étaient point capables de remuer la multitude. Condorcet, Brissot, députés de Paris, n'avaient pas plus d'activité que les précédens,,et par leur conformité d'opinion avec les députés de l'Ouest et du Midi, étaient devenus Girondins. Roland, depuis le renvoi du ministère patriote, était rentré dans la vie privée. Il habitait une demeure modeste et obscure dans la rue SaintJacques. Persuadé que la cour avait le projet de livrer la France et la liberté aux étrangers,

il déplorait les malheurs de son pays avec quelques-uns de ses amis députés à l'assemblée. Cependant il ne paraît pas que l'on travaillât dans sa société à attaquer la cour. I favorisait seulement l'impression d'un journalaffiche, intitulé la Sentinelle, que Louvet, déjà connu aux Jacobins par sa controverse avec Robespierre, rédigeait dans un sens tout patriotique. Roland, pendant son ministère avait alloué des fonds pour éclairer l'opinion publique par des écrits, et c'est avec un reste de ces fonds qu'on imprimait la Sentinelle.

Vers cette époque, il y avait à Paris un jeune Marseillais plein d'ardeur, de courage et d'illusions républicaines, et qu'on nommait l'Antinos, tant il était beau. Il avait été député par sa commune à l'assemblée législative, pour réclamer contre le directoire de son département ; car cette division entre les autorités inférieures et supérieures, entre les municipalités et les directoires de département, était générale dans toute la France. Ce jeune Marseillais se nommait Barbaroux. Avec de l'intelligence, beaucoup d'activité, il pouvait devenir utile à la cause populaire. Il vit Roland, et déplora avec lui les catastrophes dont les patriotes étaient menacés. Ils con

vinrent que le péril devenant tous les jours plus grand dans le Nord de la France, il faudrait, si on était réduit à la dernière extrémité, se retirer dans le Midi, et y fonder une république, qu'on pourrait étendre un jour, comme Charles VII avait autrefois étendu son royaume de Bourges. Ils examinaient la carte avec l'ex-ministre Servan, et se disaient que, battue sur le Rhin et au delà, la liberté devait se retirer derrière les Vosges et la Loire; que, repoussée dans ces retranchemens, il lui restait encore à l'Est, le Doubs, l'Ain, le Rhône ; à l'Ouest la Vienne, la Dordogne; au centre, les rochers et les rivières du Limousin. « Plus » loin encore, ajoute Barbaroux lui-même, » nous avions l'Auvergne, ses buttes escarpées, ses ravins, ses vieilles forêts, et les » montagnes du Velay, jadis embrasées par le feu, maintenant couvertes de sapins; » lieux sauvages où les hommes labourent la

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neige, mais où ils vivent indépendans. Les » Cévennes nous offraient encore un asile trop » célèbre pour n'être pas rédoutable à la tyran» nie; et à l'extrémité du Midi, nous trouvions » pour barrières l'Isère, la Durance, le Rhône depuis Lyon jusqu'à la mer, les Alpes et les remparts de Toulon. Enfin si tous ces points

»

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