Page images
PDF
EPUB

mens envers les habitans des provinces qu'ils traverseraient, et de se faire précéder par un manifeste dans lequel ils attesteraient leurs intentions pacifiques et conciliatrices. (12) Quelque modéré que fût ce projet, cependant ce n'en était pas moins l'invitation de s'avancer dans le pays; et d'ailleurs, si tel était le cœur du roi, celui des princes étrangers et rivaux de la France, celui des émigrés courroucés, était-il le même ? Louis XVI était-il assuré de n'être pas entraîné au delà de ses intentions? Les ministres de Prusse et d'Autriche témoignèrent eux-mêmes à Mallet-du-Pan les méfiances que leur inspirait l'emportement de l'émigration, et il paraît qu'il eut quelque peine à les rassurer à cet égard. (13) La reine s'en défiait tout autant; elle redoutait surtout Calonne comme le plus dangereux de ses ennemis (14); mais elle n'en conjurait pas moins sa famille d'agir avec la plus grande célérité pour sa délivrance. Dès cet instant le parti populaire dut regarder la cour comme une ennemie d'autant plus dangereuse qu'elle disposait de toutes les forces de l'état ; et le combat qui s'engageait devint un combat à mort. Le roi, en composant son nouveau ministère, ne choisit aucun homme

prononcé. Dans l'attente de sa prochaine délivrance, il n'avait qu'à passer quelques jours encore, et il lui suffisait pour cela du ministère le plus insignifiant.

Les feuillans songèrent à profiter de l'occasion pour se rattacher à la cour, moins, il faut le dire, par ambition personnelle de parti, que par intérêt pour le roi. Ils ne comptaient nullement sur l'invasion; ils y voyaient pour la plupart un attentat, et de plus un péril aussi grand pour la cour que pour la nation. Ils prévoyaient avec raison que le roi aurait peut-être succombé avant que les secours pussent lui arriver; et après l'invasion ils redoutaient des vengeances atroces, peut-être le démembrement du territoire, et certainement l'abolition de toute liberté.:

dès

Lally-Tolendal, qu'on a vu quitter la France

que les deux chambres furent devenues impossibles; Mallouet, qui les avait encore essayées lors de la révision; Duport, Lameth, Lafayette et autres, qui voulaient conserver ce qui était, se réunirent pour tenter un dernier effort. Ce parti n'était pas plus d'accord avec lui-même que tous les autres, pas plus que celui de la cour et des jacobins, mais il se réunissait dans une seule

vue, celle de sauver le roi de ses propres fautes, et de celles qu'on imputait à l'assemblée. Tout parti obligé d'agir dans l'ombre est réduit à des démarches qu'on appelle intrigues, quand elles ne sont pas heureuses. En ce sens les feuillans intriguèrent. Dès qu'ils virent le renvoi de Servan, Clavière et Roland opéré par Dumouriez, ils se rapprochèrent de celui-ci, et lui proposèrent leur alliance, à condition qu'il signerait le veto contre le décret sur les prêtres. Dumouriez, peut-être par humeur, peut-être par défaut de confiance dans leurs moyens, et sans doute aussi par l'engagement qu'il avait pris de faire sanctionner le décret, refusa cette alliance, et se rendit à l'armée, avec le désir, écrivait-il à l'assemblée, qu'un coup de canon réunît toutes les opinions sur son compte.

Il restait aux feuillans Lafayette, qui, sans prendre part à leurs secrètes menées, avait partagé leurs mauvaises dispositions contre Dumouriez, et voulait surtout sauver le roi, sans altérer la constitution. Leurs moyens étaient faibles, car indépendamment de ce qu'ils voulaient lutter avec un parti violent, et qui avait pour lui toute la force des passions populaires, la cour, qu'ils cher

chaient à sauver, ne voulait pas l'être par eux. La reine, qui se confiait volontiers en Barnave, avait toujours employé les plus grandes précautions pour le voir, et ne l'avait jamais reçu qu'en secret. Les émigrés et la cour ne lui eussent pas pardonné de voir un constitutionnel; on lui recommandait en effet de ne point traiter avec eux, et de leur préférer plutôt les jacobins, parce que, disait-on, il faudrait transiger avec les premiers, et qu'on ne serait tenu à rien envers les seconds (15). Qu'on ajoute à ces conseils, souvent répétés, la haine personnelle de la reine pour M. de Lafayette, et on comprendra combien la cour était peu disposée à se laisser servir par les constitutionnels ou feuillans. Outre ces mauvaises dispositions de la cour, il faut considérer encore la faiblesse de leurs moyens contre le parti populaire. Lafayette, il est vrai, était adoré de ses soldats, et pouvait compter sur son armée; mais il avait l'ennemi en tête, et il ne pouvait découvrir la frontière pour se porter vers l'intérieur. Le vieux Luckner, sur lequel il s'appuyait, était faible, mobile et facile à intimider, quoique fort brave sur les champs de bataille. Mais en comptant même sur leurs moyens militaires, les constitution

nels n'avaient aucuns moyens civils. La majorité de l'assemblée était à la Gironde; la garde nationale leur était dévouée en partie, mais elle était désunie et presque désorganisée; ils étaient donc réduits, pour user de leurs forces militaires, à marcher de la frontière sur Paris, c'est-à-dire, à tenter une insurrection contre l'assemblée; et les insurrections excellentes pour un parti violent qui attaque, sont funestes et inconvenantes pour un parti modéré qui résiste en s'appuyant sur les lois.

Cependant on entoura Lafayette et on concerta avec lui le projet d'une lettre à l'assemblée. Cette lettre, écrite en son nom, devait exprimer ses sentimens pour le roi et la constitution, et sa désapprobation contre tout ce qui tendait à attaquer l'un ou l'autre. Ses amis étaient partagés ; les uns excitaient, les autres retenaient son zèle. Mais, ne songeant qu'à ce qui pouvait servir le roi auquel il avait juré fidélité, il écrivit la lettre et brava tous les dangers qui allaient menacer sa tête. Le roi et la reine, quoique résolus à ne pas se servir de lui, le laissèrent écrire, parce qu'ils ne voyaient là qu'un échange de reproches entre les amis de la liberté. La lettre arriva à l'assemblée le 18 juin. Lafayette, désapprouvant d'abord le

« PreviousContinue »