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M.

Le jeune officier qui commandoit les hussards
de Varennes, n'ayant point été instruit par
de Goguelas de leur véritable destination, crut
qu'il n'étoit là que pour escorter un convoi
d'argent. En conséquence, il n'avoit pas ras-
semblé sa troupe. Les hussards s'étoient mêlés
avec le peuple; et quand il leur ordonna de
monter à cheval et de se mettre sous les armes,
ils refusèrent d'obéir. Les deux officiers que
j'avois envoyé à Varennes, conformément à
mes ordres, s'étoient tenus renfermés dans
l'auberge où étoient les chevaux destinés au
roi, attendant toujours M. de Goguelas, et
ignorant entiérement ce qui se passoit dans la
ville.

Environ une heure après l'arrestation du roi, M. de Goguelas et M. de N*** arrivèrent à Varennes, et furent reconnus par les gardes nationales, qui obligèrent leurs détachemens à descendre de cheval, avant de leur permettre d'entrer dans la ville. Ils demandèrent à parler au roi. On le leur accorda. Sa majesté leur dit de rester tranquilles, et de ne point tenter de le délivrer par la force. Elle leur observa que j'aurois sûrement le tems de venir à son secours. «< En outre, ajouta-t-elle, d'après la >> manière dont les membres de la municipalité

1791.

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1791. » m'ont parlé, j'ai lieu de croire qu'ils me lais>> seront continuer mon voyage. » Dans le fait, pendant quelques instans, ces hommes avoient paru indécis, et le roi doutoit encore qu'ils attendissent des ordres de Paris. M. de Goguelas sortit alors, et s'adressant aux hussards, il leur fit le commandement de haut les armes, et leur demanda : « pour qui ils étoient. » Vive la nation, s'écrièrent-ils tous; nous sommes et serons toujours pour elle. A l'instant un officier de la garde nationale se mit à la tête de ces hussards. Leur commandant, ayant joint les deux officiers que j'avois envoyé à Varennes, vint m'instruire de ce qui s'étoit passé. Vers les sept heures du matin, un aidede-camp de Lafayette arriva, apportant l'ordre à la municipalité de faire retourner le roi à Paris. M. Deslong demanda de nouveau des ordres à sa majesté ; elle répondit une seconde fois : « Je suis prisonnier; en conséquence je » n'en puis donner aucun. »

Telles sont les circonstances de cette malheureuse affaire, que j'ai pu recueillir. On a déja vu que je n'ai jamais eu le moindre espoir de son succès. Je crois nécessaire d'ajouter, qu'à l'époque où on l'entreprit, le peuple et les troupes étoient animés jusqu'à la rage

contre

contre leur souverain; à Metz et à Verdun 179 en particulier, il étoit impossible de se méprendre sur leurs dispositions. Dans leur marche sur Varennes, les canonniers de la garnison de la première de ces deux villes, dirent à leurs officiers, qu'ils avoient forcés de les suivre, que leur première décharge seroit dirigée contre la voiture du roi, et la seconde contre eux, s'ils ne faisoient pas leur devoir.

A mon arrivée à Luxembourg, j'y fus reçu de la manière la plus flatteuse ; j'y restai quel que tems; mais je ne fus pas peu surpris de ne trouver aucunes troupes dans ce canton. A Luxembourg même, malgré l'extrême importance de cette place, il n'y avoit que trois mille hommes, encore étoit-ce des recrues et des invalides. Je sçus, à la vérité, que l'empereur avoit donné l'ordre au gouvernement des Pays-Bas, de faire tous ses efforts pour secourir le roi, et de lui fournir sur la caisse militaire impériale, tout l'argent dont il pourroit avoir besoin.

J'appris que Monsieur, frère du roi, et Madame, étoient arrivés à Bruxelles. Cette nouvelle me fit le plus grand plaisir ; car j'étois très-inquiet sur leur sort. Ils avoient quitté les Tuileries une heure après le roi, et pris lą Tome II. F

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1791. route de Flandres, sans aucune précaution extraordinaire pour assurer leur route.

Une fois à Luxembourg, épouvanté de la dangereuse situation du roi et de la famille royale, craignant même pour leur vie, je crus de mon devoir, d'écrire à l'assemblée nationale une lettre, dans laquelle je m'accusai moi-même d'avoir engagé sa majesté à prendre les mesures qu'elle avoit adoptées, et j'assurai que c'étoit sur mes instances réitérées, qu'elle avoit consenti à quitter Paris, et à se retirer sur les frontières, au milieu de ses troupes fidèles. Je pensai qu'il convenoit d'ajouter que si l'assemblée se portoit à quelque violence contre la personne du roi, si elle attentoit à sa liberté, ou si même elle manquoit à son devoir et au respect qu'elle lui devoit, elle avoit tout à redouter de la vengeance des souverains alliés de ce malheureux prince.

Cette lettre, qui depuis a été imprimée et répandue dans toute l'Europe, n'avoit d'autre objet que de tourner contre moi la fureur du peuple, alors dirigée contre le roi et contre la reine, et qui me faisoit craindre pour leurs jours. Je désirois aussi intimider les nombreux ennemis de ce prince et de la monarchie. Cette démarche, cependant, a été sévèrement blâ

mée par tous les partis qui ont imputé à un esprit de fanfaronade, ce qui n'étoit l'effet que de la fureur et de la vengeance. Mais, comment a-t-on pu méconnoître ainsi les motifs de ma conduite? Si je n'avois été uniquement animé du désir de sauver le roi, auroisje été assez extravagant pour annoncer, que les armées étrangères alloient entrer en France, tandis que je ne voyois aucuns préparatifs de guerre? Aurois-je proféré des menaces dans un moment où je sentois toute l'impossibilité de les réaliser? me serois-je exposé moi et les miens, non-seulement à la proscription et à la persécution, mais à toute la rage d'ennemis acharnés qui, j'en étois certain, ne me donneroient point de relâche, et qui dans le fait, peu de tems après, mirent ma tête à prix ?

Je reprends le cours des événemens. Vers le commencement de juillet, j'eus la satisfaction d'apprendre, qu'il n'y avoit plus rien à craindre pour la vie du roi, que le duc d'Orléans, à la tête de ses jacobins, n'avoit pu venir à bout de déterminer l'assemblée à prononcer sa déchéance ou à le mettre en jugement. Par le fait, en restant fidèle à la constitution, elle ne pouvoit prendre ni l'une ni l'autre de ces mesures. Les loix, il est vrai

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