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1791. partir de Paris, dans le courant de mars out d'avril. Il voulut connoître la route qu'il auroit à suivre pour se rendre à Montmédi, et les mesures que j'avois prises, afin d'assurer sa retraite dans cette ville. Je lui écrivis : « Il y a deux routes qui conduisent de Paris à cette forteresse; l'une par Reims et Stenay, sur laquelle (ce qui est fort important) on rencontre très-peu de villes; l'autre par Châlons, Sainte-Menehould, Varennes ou Verdun ; mais cette dernière ville est extrêmement dangereuse, parce que ses habitans, sa garnison et sa municipalité sont détestables. Pour eviler ce danger, il est nécessaire de prendre la routs de Varennes. D'un autre côté, il n'y a point de poste dans cette ville; inconvénient assez grand, auquel il faudra pourvoir. » Je pressai encore sa majesté d'engager l'empereur à faire marcher un corps de troupes à la frontière de Luxembourg, près de Montmédi, afin que j'eusse un prétexte de rassembler une armée, et de faire tous les préparatifs nécessaires pour le camp projetté. J'observai, en finissant, que ce seroit un motif de sécurité de plus pour sa majesté, quand elle seroit arrivée au lieu de sa retraite.

Peu de jours après, je reçus une réponse

du roi, dans laquelle il m'informa que, dési 1791. rant éviter Reims, où il avoit été couronné 2 et où il étoit plus connu du peuple, il préféroit la route de Varennes. Il me dit en même tems, qu'il avoit reçu la promesse formelle de l'empereur, de faire marcher, au premier avis, un corps de douze ou quinze mille hommes, vers la frontière de France.

Quels étoient les projets du roi, à son arrivée à Montmédi? Quelle conduite se proposoit-il de tenir envers l'assemblée ? Je n'en ai jamais été instruit. Quand on sait combien ce prince étoit religieux, il est impossible de douter que, lorqu'il s'engagea solemnellement à défendre la constitution, il ne fût . dans l'intention d'observer scrupuleusement ses sermens. J'étois dans les mêmes dispositions, lorsque par le désir exprès du roi, sacrifiant toute ma répugance, je pris un pareil engagement. Mais cette constitution étoit si défectueuse, si incomplète, si remplie d'erreurs, manifestées chaque jour par l'expérience, qu'il étoit impossible de la maintenir et de l'exécuter, comme les événemens ne l'ont depuis que trop prouvé. D'un autre côté, les constitutionnels étant tous des intrigans et des brouillons, on ne pouvoit rester ·

1791. fidèle à leur constitution, sans être continuellement en garde contre leurs projets et leurs machinations, et sans s'exposer par cela même à leur jalousie et à leur haîne. Le respect et l'attachement pour le roi, quoiqu'ordonnés en théorie par la constitution, étoient des crimes à leurs yeux. Si donc la situation du roi étoit embarrassante et pénible, la mienne étoit insupportable. Qu'on imagine, en effet, les tourmens d'un homme d'honneur, obligé, par conscience et par devoir, d'agir constam ment en opposition à ses principes, et forcé de revêtir un caractère emprunté aux yeux des différentes factions, qui appelloient perfidie tout ce qui tendoit à s'opposer à leur fureur et à leur scélératesse!

Je pense donc que sa majesté auroit subordonné sa conduite aux dispositions du peuple et de l'armée, et qu'elle n'auroit point em ployé la force, à moins que l'assemblée ne se fût refusé à tout arrangement raisonnable.. Ses principaux membres, à la tête desquels étoient Mirabeau, Duport, et même les Lameth, désiroient alors en venir à un accommodement. Ils appercevoient clairement les nombreux défauts de leur constitution. Ils voyoient évidemment qu'elle n'étoit autre,

chose qu'un chemin frayé à la république 179 1. qu'ils ne désiroient pas peut-être à une anarchie, dont ils craignoient d'être les premières victimes. Ils convenoient presque tous, qu'ils n'avoient suivi aucun plan dans la construction de leur gouvernement, et qu'ils avoient été iuvinciblement entraînés beaucoup plus loin, qu'ils ne le vouloient. Mais déja les jacobins étoient les plus puissans dans l'assemblée. Ils avoient repris leur ascendant, et le duc d'Orléans, leur chef, poursuivant toujours ses projets désorganisateurs, attaquoit Lafayette avec plus de violence que jamais. Les partisans de ce prince le pressoient vigoureusement. Alarmés du danger de leur situation, plusieurs constitutionnels cherchoient tous les moyens de s'en tirer. Mirabeau lui-même s'étoit vendu au roi, qui, une fois arrivé à la frontière placé à la tête de ses troupes, et appuyé par ses alliés, auroient pu forcer l'assemblée à traiter avec lui à des conditions raisonnables. S'il eût exécuté son projet à cette époque, il lui restoit encore des resources pour se tirer, lui et son royaume, de l'état épouvantable où ils étoient tombés. Il étoit encore possible d'établir un ordre quelconque. Mais nous verrons bientôt que les choses ne tardèrent pas

1791. à prendre une tournure défavorable, et continuèrent à aller de mal en pis, jusqu'au moment du départ du roi. Aussi, ce qui étoit exécutable au mois de janvier, ne le fut plus au mois de juin.

Je ne tardai pas à recevoir une nouvelle lettre du roi, dans laquelle il me prévint que j'étois suspect à tous les partis, que Lafayette, en particulier, ne me voyoit qu'avec des yeux jaloux. Il m'apprit, en même tems, que l'on intriguoit pour distraire l'Alsace de mon commandement, et donner cette province au général Luckner, ce qui me parut lui causer beaucoup d'inquiétudes. Dans ma réponsé, j'observai à sa majesté, que sentant l'impossibilité de conserver le gouvernement de cette province, je croyois devoir prévenir l'assemblée, en y renonçant de moi-même; mais qu'il falloit tout faire pour me donner un successeur sur lequel je puisse compter. Je lui désignai M. de Gelb, lieutenant-général, né et résidant.en Alsace.

Indépendamment de ses talens militaires, (c'étoit, quoiqu'il n'eût jamais été connu à la cour, un de nos meilleurs officiers-généraux ) M. de Gelb joignoit à la plus sévère probité, un grand attachement au roi et à la

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